Amérique latine : De la France de 1968 à la Colombie de 1971




Le mouvement de Mai eut des répercussions jusqu’en Amérique latine, avec quelques années de décalage, et le contexte sud-américain de fascination pour la guérilla.

Les journées de France ? Quelque chose était sorti dans El Tiempo. Les militantes et les militants de gauche assuraient qu’ici ce mouvement ébranlait à peine de petits cercles d’intellectuels. En fait, le Mai français, avec des similitudes et des différences, sera en Colombie le mouvement étudiant de 1971. […]

Si en Colombie, à ce moment-là, le Mai français avait très peu été ressenti, tout du moins dans ses effets politiques immédiats et directs, cela s’explique par le bouleversement qu’on vivait ici.

À cette époque, trois groupes de guérilleros étaient déjà en lutte, avec une audience dans certains secteurs, et le sacrifice de Camilo Torres [1] inspirait les jeunes révolutionnaires. L’influence de la Havane faisait rayonner l’idée de lutte armée, Moscou était généreux avec quiconque l’aidait dans sa querelle avec Washington pour le contrôle de la planète, et Régis Debray, un Français plus influent en Amérique latine que tous les Parisiens des journées de Mai, publiait Révolution dans la révolution, livre dans lequel, en interprétant de travers ce qui s’était passé à Cuba, il plantait la théorie du foco [foyer] révolutionnaire, spéculation selon laquelle il suffisait d’un petit groupe armé vaillant pour soulever l’ensemble de la population.

Il était alors bien difficile de défendre, au sein de la gauche colombienne, l’idée que la lutte armée gênait en réalité l’objectif de transformer la société colombienne dans son ensemble. Les masses se mobiliseraient pour une transformation démocratique car elles subissaient le Front national, cette espèce de dictature constitutionnelle, qui nourrissait la corruption et qui privait de droits politiques ceux qui ne militaient pas dans les deux partis responsables du retard et de la pauvreté nationale.

C’est dans cette ambiance que survint le mouvement étudiant de 1971, qui ressembla le plus en Colombie aux journées françaises de Mai, dont les influences commençaient à mieux se faire sentir. À la fin de cette année et au début de 1972, les étudiantes et les étudiants livrèrent la lutte la plus massive et longue de leur histoire. Cela s’expliquent en partie par la claire volonté de défendre la souveraineté et la démocratie, mises en danger par le plan éducatif de Rudolph Atcon, défini depuis Washington pour le gouvernement et contre les étudiants et professeurs des universités publiques. À l’ordre du jour il y eut aussi d’autres mots d’ordres comme l’autonomie de l’Université, la réussite de l’éducation publique, universelle et gratuite, au même plan que l’impérieuse nécessité de porter un développement scientifique qui puisse donner des bases au pays et à son peuple.

Comme on le vit dans le monde entier, les influences du Mai français étaient toujours présentes en Colombie en 1971.

Jorge Enrique Robledo

* Article paru dans Cambio en mai 2008.
Traduction par Valentin Frémonti (AL Aix).

[11. Camilo Torres (1929-1966), figure mythique de l’extrême gauche colombienne. Curé proche de la Théologie de la libération, il intègre en 1966 la guérilla marxiste de l’Armée de libération nationale (ELN) et est tué lors d’une attaque.

 
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