Assurance chômage : un échec soigneusement orchestré




Le 22 février, les négociations sur l’assurance chômage se sont terminées sur un échec, permettant à l’État de reprendre la main. L’objectif du gouvernement paraît de plus en plus évident  : affaiblir l’Unedic pour mettre l’assurance chômage sous tutelle de l’État.

Les dernières négociations sur la convention relative à l’indemnisation du chômage sont l’histoire d’un massacre. Si l’on reprend l’historique de ces négociations, on aperçoit facilement la stratégie du gouvernement pour en finir avec l’Unédic.

À sa création en 1945, la Sécurité sociale est gérée à 80 % par les syndicats – donc par la CGT –, 20 % par le patronat. Il est prévu d’y intégrer l’assurance chômage mais le besoin au sortir de la guerre ne s’en fait pas sentir. La reconstruction du pays assure le plein emploi. Vers la fin des années 1950, le pays est reconstruit. À cela s’ajoutent la construction européenne et le processus de décolonisation qui laissent craindre le développement du chômage. C’est l’occasion pour FO de doubler la CGT en proposant au patronat de créer une caisse en dehors du giron de la Sécurité sociale : c’est la création de l’Unédic en 1958. Le patronat profite de l’occasion pour proposer une gestion paritaire : 50 % pour le patronat, 50 % pour les syndicats.

Le problème avec la gestion paritaire 50-50 – qui sera aussi imposée à la Sécurité sociale en 1967 – c’est qu’il suffit qu’un seul syndicat vote avec le patron, pour que ce dernier l’emporte à chaque décision. Et c’est évidemment ce qui va rythmer l’histoire des négociations relatives à l’assurance chômage. Au début, les modalités d’indemnisation sont généreuses  : 90 % du salaire antérieur brut pendant 3 ans  ; tout le monde est indemnisé. Mais la création d’un chômage de masse structurel à partir des années 1970 dégrade progressivement la situation. Aujourd’hui, l’indemnisation est équivalente à 57 % du salaire brut pour une durée de deux ans maximum  ; les conditions d’affiliation ne permettent d’indemniser que 43 % des chômeurs.

Mais Emmanuel Macron et son gouvernement ont passé la vitesse supérieure et veulent en finir avec ce système. On peut identifier trois grandes étapes dans ce processus de mise en pièce : la suppression des cotisations, la mise en faillite, et la mise sous tutelle.

La mise en faillite du système

En 2017, le gouvernement remplace les cotisations salariales par un impôt, la CSG. La caisse de solidarité des travailleurs, financée par les travailleurs et pour les travailleurs qui visait à les arracher à l’arbitraire du chômage et du patronat, est dorénavant financée par l’État. Son indépendance est donc définitivement piétinée.

Lors de la campagne électorale, le candidat Macron a fait grand bruit de sa volonté d’une assurance chômage universelle. Une fois au pouvoir, il réunit les partenaires sociaux qui accouchent en février 2018 d’un accord national interprofessionnel (Ani) qui prévoit l’indemnisation des démissionnaires et des indépendants. Ces dispositifs seront repris dans la loi du 5 septembre 2018 «  pour la liberté de choisir son avenir professionnel  ». Les partenaires sociaux doivent donc trouver une solution pour élargir le champ de l’indemnisation à ces nouveaux publics, alors même que plus de la moitié des salarié-es au chômage ne sont pas indemnisés et doivent se contenter du régime d’assistance (RSA et ASS). La loi du 5 septembre 2018 prévoit aussi la tutelle financière de l’État sur l’Unédic via une lettre de cadrage. Après tout, argue le gouvernement, rien de plus normal dorénavant, puisque c’est l’État qui finance via la CSG  !

L’article 57 de la loi du 5 septembre impose aux partenaires sociaux de se réunir pour définir d’ici les quatre prochains mois une nouvelle convention relative à l’assurance chômage. Si aucune solution n’est trouvée d’ici là, alors le gouvernement reprendra la main. Les négociations doivent traiter des cinq sujets qui avaient été identifiés dans l’Ani de février 2018 et repris dans la loi du 5 septembre  : les démissionnaires, les indépendants, les contrats courts, le contrôle des chômeurs et la gouvernance de l’Unédic. On pourrait en conclure que ces dispositifs justifient une augmentation du budget de l’Unédic… Bien au contraire  !

Un calendrier biaisé

La fameuse lettre de cadrage est publiée fin septembre et impose aux partenaires sociaux de traiter ces sujets en intégrant un impératif budgétaire  : réaliser 4 milliards d’économies sur trois ans. Tout était donc réuni pour faire échouer les négociations. Le calendrier lui-même paraissait biaisé : quatre mois pour aboutir à une convention prête à être agréé par l’État, sur des sujets aussi explosifs, avec d’importantes contraintes budgétaires… Le programme annoncé d’un naufrage.

Les négociations commencent donc en octobre et doivent aboutir pour le 26 janvier. Pour les organisations patronales, l’unique objectif est de réduire le budget conformément à la lettre de cadrage. Elles rivaliseront d’inventivité pour baisser le montant des indemnités en proposant d’augmenter la durée d’affiliation, de réduire les jours indemnisés en fonction de l’intensité de la période travaillée avec un rythme de versement des allocations aligné sur celui des périodes travaillées, ou encore de réduire la durée d’indemnisation en fonction des dynamiques du marché du travail régional. Face à ces propositions, les syndicats feront bloc : pas question de dégrader encore les droits des chômeurs.

L’enjeu des contrats courts

Pour les syndicats, l’enjeu majeur des négociations est de mettre en place des mesures de luttes contre la précarité. Après tout, c’était aussi une promesse du candidat Macron. Entre 2000 et aujourd’hui, les embauches en CDD de moins d’un mois sont passées de 1,6 à 4,3 millions par trimestre. Dès l’ouverture des négociations, la CGT réclame une surcotisation en fonction du recours des entreprises aux contrats courts, à un niveau identique quelles que soient les professions. Mais dès l’Ani de février 2018, le Medef avait annoncé qu’il n’entendait pas accepter de bonus-malus sur les contrats courts et souhaitait renvoyer aux branches professionnelles les discussions sur la définition de la précarité et les moyens de la limiter. C’est ce discours qu’il opposera systématiquement aux syndicats durant toutes les négociations.

Dialogue de sourds, contraintes budgétaires, calendrier biaisé… Comme prévu, le gouvernement a annoncé le 22 février dernier qu’il reprenait la main. Il devrait annoncer ses plans le mois prochain pour une publication des décrets un mois plus tard. Il pourrait aussi attendre que les élections européennes soient passées. Quoi qu’il en soit, on peut s’attendre au pire…

Franz Müller (Ami d’AL)

 
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