Bibliographie : Pour découvrir la Révolution russe




Le sujet est immense, les enjeux labyrinthiques, les événements alternativement grandioses et désolants. Une sélection de livres pour s’initier.

Orlando Figes, La Révolution russe (1996). Cette fresque épique, débutant avec la famine catastrophique de 1891 et s’achevant avec la mort de Lénine en 1924, balaie les aspects politique, militaire, économique et culturel de la révolution. L’auteur entrelarde son récit de points de vue éloquents, comme ceux de l’intellectuel socialiste Gorki, de l’ouvrier bolchevik Kanatchikov ou du paysan progressiste Semenov. Malgré une tonalité sarcastique parfois désagréable, cet historien qui semble éprouver de la sympathie pour le bolche­visme modéré de Lev Kamenev brosse un vif tableau de ce que fut la so­ciété russe d’alors, si ardue à se représenter un siècle plus tard.

  • 2 tomes, 1 600 pages, Gallimard, 2009.

Marc Ferro, La Révolution de 1917 (1975). L’historiographie française sur la Révolution russe est très en deçà de son homo­logue anglo-saxonne, mais Marc Ferro a considérablement relevé le niveau avec cette étude iné­galée depuis plus de quarante ans. Moins bon conteur, mais meilleur analyste que Figes, Ferro enrichit son livre d’études thématiques sur la démocratie des soviets, le contrôle ouvrier et l’autogestion, la bureaucratisation, le rôle des femmes et des minorités nationales. Son petit recueil de textes commentés, Des soviets au communisme bureaucratique (Gallimard, 1980), est moins réussi.

  • 1 102 pages, Albin Michel, 1997.

Alexandre Rabinovitch, Prelude to Revolution (1968). Jamais traduite en français, cette étude fondatrice, centrée sur les Journées de juillet, brisa le mythe d’un Parti bolchevik monolithique et discipliné en 1917. Il en montre les divergences et les hésitations – logiques dans un contexte de révolution – mais aussi la porosité aux influences extérieures – notamment celle des anarchistes sur sa base ouvrière. Malgré cela, son effort pour conserver une cohésion organisationnelle aura fait la différence avec ses concurrents. Rabinovitch a étendu son étude à Octobre dans Les Bolcheviks prennent le pouvoir (La Fabrique, 2016), où l’on prend la mesure du rôle joué par Lénine. Il est peu de cas dans l’Histoire où la volonté d’un homme aura autant pesé sur le cours des événements.

  • 304 pages, First Midland Book Edition, 1991.

Retrouvez la tournée AL 1917-2017 : Les anarchistes, leur rôle, leurs choix


Paul Avrich, Les Anarchistes russes (1967). D’un style assez scolaire, c’est malgré tout le livre le plus complet sur le sujet, centré sur les deux phases de l’activité libertaire en Russie : 1905-1908, puis 1917-1921. Avrich détaille la singularité de l’anarchisme russe dans sa première vague, fascinée par la violence bezmotiv sans motif ») – sans autre but que de tuer des riches pour réveiller le peuple. En parallèle était inventé en Ukraine l’« anarcho-syndicalisme » vingt-cinq ou trente ans avant que la formule ne soit officialisée en Espagne et en France. L’étude de la seconde vague est plus décevante. Les débats et l’action des anarchistes aux moments-clefs de 1917-1918 ne sont que sur­volés ; les personnages à peine esquissés. Le livre d’Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917 (Éditions de Paris, 2000) reprend peu ou prou les mêmes informations qu’Avrich, en ajoutant des témoignages et des documents en annexe.

  • 400 pages, Nada, 2017.

Voline, La Révolution inconnue (1947). C’est le témoignage libertaire de référence, apportant nombre d’informations de première main. Il reste néanmoins très évasif quant aux organisations anarchistes, à leurs débats, à leurs divergences et à leurs acteurs, comme si Voline n’avait voulu se fâcher avec personne. Même la scission de son propre journal, Golos Trouda, en 1918, est pudiquement passée sous silence. A contrario, les Mémoires et écrits de Makhno (Ivrea, 2010) racontent l’action révolutionnaire des années 1906-1918 – avant la Makhnovchtchina, donc – avec un luxe de détails, mais restent cantonnés à l’Ukraine. On complétera avec l’excellente biographie Nestor Makhno, le cosaque libertaire, par Alexandre Skirda (Éditions de Paris, 2005).

  • 720 pages, Entremonde, 2010.

Stephen A. Smith, Petrograd rouge. La révolution dans les usines (1983). Avec sa solide composante sociologique, on tient là un livre de premier plan pour comprendre la classe ouvrière dans la capitale des tsars. Le prolétaire type y était jeune, concentré dans une usine métallurgique géante, célibataire sans enfants, relativement éduqué et affamé : bref, de la dynamite. Smith explore les institutions ouvrières spontanément créées en 1917 – milice populaire, Garde rouge, comités d’usines – et aborde les débats sur leur rôle… avant que la classe ouvrière ne s’évapore en 1918-1919. L’effondrement de l’industrie la poussera alors à retourner aux champs ou à s’enrôler dans l’Armée rouge… hormis la fraction qui sera, entre-temps, devenue fonctionnaire dans les soviets.

  • 450 pages, Les Nuits rouges, 2017.

Leonard Schapiro, Les Bolcheviks et l’opposition (1955). Un livre précis et richement documenté qui éclaire la trajectoire des « perdants » de la révolution : mencheviks et socialistes-révolutionnaires principalement – les anarchistes ne sont que survolés, le Bund est ignoré. D’où il ressort qu’à plusieurs moments-clefs – le IIe congrès des soviets, les négociations pour un gouvernement socialiste pluraliste, la dissolution de la Constituante, les débuts de la guerre civile… – ces partis ont laissé filer leur chance de peser sur le cours des événements.

  • 560 pages, Les Nuits rouges, 2007.

Oskar Anweiler, Les Soviets en Russie (1972). Les soviets furent avant tout des organes d’administration, mais aussi – palliant l’absence de syndicats – de représentation ouvrière et de coordination des luttes. Et, potentiellement seulement, de pouvoir populaire. L’auteur détaille l’architecture qu’ils adoptèrent pour se structurer au niveau national, et dépeint leur existence et leurs travers de façon plus concrète que la plupart des livres d’histoire de la Révolution russe.

  • 384 pages, Gallimard, 1972.

Jacques Baynac, Les Socialistes-révolutionnaires (1979). Ce fut le principal courant socialiste en Russie de 1880 à 1917, avant d’être enfermé dans la caricature qu’en firent les historiens soviétiques, et effacé des mémoires. Baynac fait tomber bien des préjugés sur ce parti marxiste hétérodoxe, membre de la IIe Internationale, bien implanté dans la classe ouvrière, sans concurrent sérieux au sein de la gauche paysanne, plutôt antiparlementaire et menant la lutte armée contre le tsarisme. Seul le tome 1, consacré à l’avant-1917, est paru.

  • 394 pages, Robert Laffont, 1979.

René Berthier, Octobre 1917 : le Thermidor de la Révolution russe (1999). Outre l’action des anarchistes, René Berthier se ­livre à un long examen des responsabilités du bolchevisme dans la bureaucratisation de la révolution, en établissant des comparaisons avec l’anarcho-syndicalisme espagnol en 1936. Les nombreuses citations édifiantes de Lénine et de Trotski (fascinés par le taylorisme, résolus à employer la terreur contre les travailleurs pour redresser la production) forment un implacable plaidoyer contre toute dictature, fut-elle « éclairée » ou « révolutionnaire ».

  • 288 pages, Éditions CNT-RP, 2003.

Du côté des témoignages

On lira les Mémoires d’un révolutionnaire de ­Victor Serge (Lux, 2010), dont le souffle humaniste compense les zones d’ombre ; Le Mythe bolchevik d’Alexandre Berkman, et ses observations pertinentes sur la dégénérescence de la révolution en 1920-1921 (Klincksieck, 2017) ; L’Agonie de la révolution, d’Emma Goldman, qui y voyagea en même temps que Berkman (Les Nuits rouges, 2017) ; les Mémoires d’un anarchiste juif de Samuel Schwartzbard (Syllepse, 2010), qui s’emmêle un peu dans la chronologie, mais dont les souvenirs sur la résistance aux pogroms en Ukraine, sur les déboires des premiers gardes rouges ou sur les profiteurs du désordre feront utilement réfléchir les adeptes du spontanéisme et de la non-organisation.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


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