Chronique du travail aliéné : Suzanne *, cadre dans un conseil général




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

<titre|titre=“Ou vous filez doux, ou je vous briserai !” >

« En fait il m’arrive ce qui arrive à beaucoup de gens. Du jour au lendemain, j’ai été invitée à aller voir ailleurs. Je suis directrice d’un service depuis trente ans. Quand je suis revenue de vacances, le directeur général m’a dit qu’il ne souhaitait pas me maintenir dans mon poste, qu’il me dégradait, qu’il me nommait cheffe de service ailleurs. J’ai déplu. Il assure que je n’ai rien à me reprocher professionnellement mais que j’ai « des relations difficiles avec certains élus »… La vice-présidente s’est retrouvée dans l’opposition après les présidentielles, elle s’est retrouvée mutée avant et m’avait dit en partant : « Prends garde à toi, ils t’ont dans le collimateur. »

J’avais critiqué l’embauche d’un poulain du président du conseil général sur un poste-clé, il n’était pas compétent. Le président a insisté, c’était une embauche stratégique, quelqu’un de son parti en vue des futures élections. Pour limiter les dégâts, j’ai dû me débarrasser d’un agent de base pour le remplacer par un bon technicien, qui connaissait bien le poste, afin qu’il pallie les carences du nouveau chef. C’était dur pour moi de virer un agent qui n’y était pour rien. Surtout qu’au final, le poulain n’est jamais venu…

À chaque changement de majorité, on essaie de me coller n’importe qui. Mais là c’est la première fois que je suis confrontée à un revers, c’est assez violent. « Le président travaille avec les collaborateurs qu’il se choisit », m’a dit le directeur général. Il est payé pour le savoir, les directeurs généraux sont sur des postes « fonctionnels » : en gros, ils sont mutés à chaque élection. Il est à deux ans de la retraite et il est arrivé juste après les élections. Je le connais bien, j’ai déjà travaillé sous ses ordres dans un autre département il y a plus de vingt ans, je l’avais vu pleurer tellement il avait peur du préfet à l’époque… ce qui ne l’avait pas empêché de me dire : « Ou vous filez doux, ou je vous briserai ! » J’avais demandé ma mutation.

Ce qui m’affecte le plus, c’est la réaction des syndicats : il y a eu beaucoup de gens virés en même temps que moi, mais par un heureux hasard, ceux qui sont inscrits dans le nouveau syndicat des cadres sont tous maintenus ou promus, alors…

Il y en a qui ne me disent même plus bonjour, je suis pestiférée. La nouvelle DRH vient du privé, elle nous a collé un « plan management » sous la houlette d’une boîte de consulting. C’est l’obéissance aux ordres qui compte, pas les priorités du terrain. Je suis à cinq ans de la retraite et franchement, il y a des jours où je pense au suicide. »

* Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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