Colloque sur la laïcité : un combat encore d’actualité




L’Association libanaise de philosophie du droit et l’Association internationale de la libre pensée viennent d’organiser à Beyrouth un colloque sur la laïcité. Une motion a été adoptée, appelant « à la sécularisation des Institutions et à la mise en place du principe de séparation des religions et de l’État ».

Le colloque sur la laïcité qui s’est déroulé au Liban les 13 et 14 avril 2012 a permis aux participantes et participants d’exprimer leur aspiration à en finir avec le confessionnalisme. Ce colloque ouvre des perspectives pour le combat laïque au Liban. Les militantes et militants libanais sont aujourd’hui menacés verbalement de répression par le Hezbollah et le journal Al Intiqad a publié un article présentant les adhérents de l’Association libanaise de philosophie du droit comme des agents de la CIA. Jean-Luc Dupriez, militant d’Alternative libertaire invité par l’Association libanaise de philosophie du droit, est intervenu pour apporter quelques éléments sur le combat laïc en France et en particulier sur la place du mouvement anarchiste en son sein. Extraits significatifs de son intervention :

[*Les anarchistes pour la laïcité*]

« Le mouvement anarchiste s’est développé, en Chine, en Russie, en Amérique du Nord et du Sud, en Australie comme en Europe, au sein de luttes populaires contre des systèmes d’oppression, parmi lesquels les institutions religieuses occupaient une place de choix. Aujourd’hui, le printemps arabe exprime lui aussi le refus de la domination de la religion sur la société, et la naissance de mouvements anarchistes en Égypte, au Maroc, en Tunisie et en Syrie n’est pas un hasard. En France, l’anarchisme est né au XIXe siècle au sein des luttes contre l’exploitation du prolétariat et de la petite paysannerie, légitimée par l’Église catholique prétendant régir la vie quotidienne des hommes et des femmes. Le développement de l’anarchisme s’est fait en symbiose avec la montée de l’anticléricalisme voulant briser la domination de l’Église sur la société. Propagandistes sans relâche contre la domination cléricale, actifs dans toutes les actions menées pour défendre la laïcité, les anarchistes ont constitué une part importante du mouvement laïc. Ces luttes ont débouché sur la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État : l’État ne reconnaît plus aucune religion. La religion est reléguée au sein de la sphère privée. Resituée dans son apparition historique, la laïcité est un simple compromis pour résoudre les tensions que créent dans la société les institutions religieuses. Les bases de ce compromis sont : la séparation des Églises et de l’État ; le droit pour toutes et tous de changer de croyance ; l’absence de droits et de devoirs liés à une croyance religieuse ; l’absence d’institution officielle spécifiques liée à la religion, par exemple en matière de justice.

[*Détournement actuel de la laïcité*]

En France, une étude de 2007 publiée dans le journal Le Monde montre que seuls 51 % des personnes se revendiquent du catholicisme, mais à peine 5 % sont pratiquantes. La proportion des personnes s’affirmant sans religion ne cesse de monter. Selon cette étude, cette proportion atteint 31 % de la population. Les autres religions apparaissent marginales : 4 % de musulmans, 3 % de protestants, 1 % de juifs… Pourtant, l’Église catholique n’a pas abandonné sa volonté d’intervenir dans les affaires de la société. Elle possède un important réseau d’écoles privées confessionnelles. Elle mobilise ses réseaux d’influence pour tenter d’imposer à toutes et à tous sa conception de la vie et de la morale : maintien des législations héritées de la domination catholique sur le mariage, l’adoption, la fin de vie ; tentatives multiples d’imposer une censure dans l’expression publique ; volonté de remise en cause de dispositions légales sur la contraception et l’avortement, etc. Nous sommes toutefois confrontés de plus en plus souvent à un détournement de la laïcité. Quand madame Le Pen prétend défendre la laïcité en s’en prenant aux musulmans, il ne s’agit pas de s’en prendre à une religion qui imposerait son pouvoir sur la société, ni d’aider des personnes « d’origine musulmane » à s’émanciper de contraintes que leur imposerait leur « communauté », mais seulement d’utiliser les sentiments racistes et xénophobes latents au sein de la société pour détourner la colère populaire des véritables responsables de la crise.

[*La laïcité au service des politiques racistes*]

Quand la droite a mis en place une législation répressive sur le voile islamique, la laïcité n’a servi que de caution à une politique de stigmatisation des immigré-e-s. Bien sûr, le voile islamique est le symbole d’un statut social inférieur pour les femmes. Et bien sûr, il est toujours inacceptable que des jeunes filles subissent une pression sociale pour se soumettre au port du voile. Mais ces polémiques portaient une logique de répression et d’exclusion qui n’est pas la nôtre. Elles ont favorisé en réaction le retour du voile dans les quartiers des grandes villes, parce que toute une partie de la population s’est sentie stigmatisée. Elles favorisent l’apparition d’écoles islamiques où le port du voile est la règle.

Quand Sarkozy réprime le port de la burqa – qui n’a jamais été une réalité significative, quelques centaines de personnes sur 62 millions d’habitant-e-s – la laïcité n’est qu’un prétexte. Et quelle législation répressive permettra jamais de favoriser une libération de ces femmes ? En cette période de crise généralisée du système de domination capitaliste, l’islamophobie est au service des pires stratégies politiques réactionnaires ! En France comme ailleurs, la laïcité n’est qu’un système de compromis. Le combat pour briser la domination des Églises sur la société ne sera jamais terminé au sein des sociétés inégalitaires, parce que les institutions religieuses, au service des classes dirigeantes, chercheront toujours à imposer à tous des règles de vie qui favorisent la reproduction sociale et la soumission à l’ordre social. Il faut remarquer que certaines religions minoritaires subissent alors une répression parfois féroce de la part des institutions religieuses officielles. Il n’y a pas de pire ennemi pour des croyants que d’autres croyants quand ils sont en situation de domination. Pour les anarchistes, au delà de ce combat anticlérical, la popularisation des idées rationalistes basées sur les connaissances scientifiques et sur la raison humaine, est un des chemins de l’émancipation humaine, même si la raison ne nous donne accès qu’à une « vérité » toujours incertaine et incomplète, mais bien plus satisfaisante que les dogmes religieux. Mais nous ne progresserons dans cette voie qu’au travers de combats communs contre tous les systèmes de domination, qu’ils soient économiques, politiques ou culturels, associant croyants et athées et permettant des débats dans un respect mutuel ».

Jacques Dubart (AL Agen)

 
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