Crise de la dette : L’engrenage




Depuis la crise financière des États-Unis de 2007, de nombreux États européens sont pris dans la spirale de la crise de la dette. Au-delà des discours politiques, ce sont les classes populaires qui risquent de payer cette crise !

La crise financière des subprimes de 2007 émanait du doute sur la capacité des ménages américains à rembourser ces crédits. Elle s’est ensuite propagée à toute l’économie financiarisée et mondialisée. Pour « redonner confiance aux marchés », les États-Unis et l’Union européenne (UE) ont agi sur deux fronts.

D’abord, en cherchant à retrouver une compétitivité internationale dans la guerre économique par la baisse généralisée de tout ce qui touche au coût du travail. Ensuite, en mettant leur propre capacité, en tant qu’État, à rembourser des dettes dans la balance. Cela a pris des formes différentes : prêts aux banques à bas taux par la Fed [1], plans de relance dans plusieurs pays de l’UE, dont la France, financés par des emprunts sur les marchés ou encore constitution de fonds de réserve afin de renflouer temporairement des banques.

Si cela a permis de faire illusion pendant quelques années, le doute s’est finalement propagé et c’est la solvabilité même des États qui est aujourd’hui remise en question par les marchés, augmentant ainsi les taux auxquels les États peuvent emprunter et entraînant certains pays comme la Grèce dans une spirale infernale.

[*Fissures dans la zone euro*]

Le taux d’intérêt des emprunts grecs à dix ans a ainsi dépassé en quelques mois le chiffre délirant de 18 %. La Grèce ne peut désormais plus s’en sortir seule face à la rapacité des marchés, d’autant que, faisant partie de la zone euro, elle n’a aucune marge d’action sur sa monnaie.

En mai 2010, les États de la zone euro et le FMI ont créé le Fond européen de stabilité financière : ils se sont engagés à emprunter jusqu’à 750 milliards d’euros sur les marchés pour compenser des défauts de paiement. En clair, l’ensemble des pays de la zone euro se porte garant pour ses États les plus fragilisés à hauteur de cette somme. Ce fond pourrait suffire à couvrir un éventuel défaut de paiement de la Grèce, mais aussi du Portugal, de l’Irlande et de l’Espagne, qui totalisent une dette de 523 milliards d’euros. Or, depuis juillet, l’Italie fait également l’objet d’attaques spéculatives et sa dette est de 600 milliards d’euros.

Le mécanisme concocté ne suffit donc plus et les marchés se mettent à spéculer à tout va sur les dettes des États de la zone euro, entraînant ceux-ci dans une spirale d’endettement à taux croissants et rendant ainsi réelle une situation qui n’était alors qu’une possibilité.
Cette crise est amplifiée par la division des gouvernements sur l’attitude à adopter.

L’Allemagne rejette notamment l’idée d’eurobonds, c’est-à-dire de passage de la dette du niveau des États au niveau de la zone euro. Après un été passé à gesticuler, Sarkozy et Merkel ont finalement annoncé le 16 août leurs propositions : quelques idées floues dont la « règle d’or », censée être adoptée dans tous les États de la zone euro, qui s’engageraient ainsi à ne pas voter un budget déficitaire. Il s’agit donc comme toujours de profiter de la crise pour instaurer l’austérité, détruire les services publics et diminuer notre salaire indirect (retraites, chômages, etc.). Cela n’a nullement fait illusion et les bourses européennes se sont effondrées le 18 août.

Par ailleurs, restreindre les prises de décision politiques de la zone euro à la France et l’Allemagne ne semble pas être du goût de tous. Ainsi, le 20 août, la Finlande a annoncé avoir conclu un accord avec la Grèce, qui a dû aligner un milliard d’euros pour voir celle-ci participer au plan d’aide. L’Autriche, les Pays-Bas et la Slovaquie font des annonces dans le même sens. La zone euro semble craquer de toutes parts.

Face à cette situation, une partie de la gauche française affirme que le cœur du problème est l’indépendance de la Banque centrale européenne par rapport aux États et, donc, l’absence de souveraineté des États sur l’euro. Il suffirait ainsi de revenir au franc et de faire tourner la planche à billets pour sortir de la crise. L’exemple des États-Unis met en doute cette affirmation.

[*Et pour quelques dollars de plus*]

Depuis janvier, la Fed, directement liée au gouvernement américain, n’a pas cessé de faire tourner la planche à billets. Elle rachète tous les mois 75 milliards de sa propre dette sur les marchés, ce qui permet de créer une demande artificielle pour cette dette, donc de maintenir les taux d’intérêt à un niveau raisonnable et de continuer à emprunter sur les marchés. Mais sortir de l’argent de son chapeau a un coût et devrait entraîner une baisse du dollar et donc une hausse des prix aux USA.
Il s’agit donc d’un pari risqué qui ne tient que si l’économie redémarre grâce aux emprunts. Or elle ne redémarre pas.

L’économie des États-Unis repose sur une forte consommation intérieure qui a complètement plongé du fait de la récession. Le plafond maximum d’endettement des États-Unis (14 294 milliards de dollars) a finalement été atteint en mai.

Le gouvernement américain a donc dû changer de stratégie et, là-aussi, ses hésitations ont déplu aux marchés. D’où la dégradation de la « note » des États-Unis par l’agence Standard and poor’s cet été. Sommée d’agir par ses créanciers, notamment la Chine, l’administration Obama s’est finalement entendue avec les républicains le 31 août : le plafond de la dette est relevé de 2 100 milliards de dollars, en échange de quoi un programme de réduction des dépenses de 2 500 milliards de dollars dans l’environnement, les transports, l’éducation et les programmes sociaux va être mis en place. Le tout sans la moindre augmentation d’impôt. Obama espère compenser cette rigueur par un plan de relance de 447 milliards de dollars annoncé le 9 septembre, reposant principalement sur des grands travaux et des exonérations d’impôts et de cotisations pour les entreprises.

Par ailleurs, suite à l’émission de dollars par les États-Unis, les marchés financiers ont anticipé une baisse éventuelle du dollar en investissant sur des « valeurs refuges », notamment les matières premières agricoles dont le prix est moins susceptible de varier à moyen terme. Cela a entraîné une explosion du prix de ces matières premières, avec les conséquences que l’on connaît en Afrique et plus particulièrement en Somalie.

[*La crise c’est eux, la solution c’est nous*]

Cet exemple montre que la crise actuelle peut avoir des conséquences particulièrement dramatiques. Mais on peut s’attendre à des tensions géopolitiques plus importantes dans les années qui viennent. Le doute sur la capacité réelle des États-Unis et des États de l’UE à rembourser leurs dettes constitue bel et bien une remise en cause de leur hégémonie économique, notamment par les puissantes émergentes, les « BRICS » [2].

Ces puissances n’ont aucun intérêt à voir les économies européennes et américaines s’effondrer, car si la consommation chute aux États-Unis et en UE, alors les exportations des pays émergents suivront. D’où l’annonce par les BRICS, le 22 septembre, d’une volonté d’aider l’Europe via le FMI. Quelle ironie de l’histoire !

Ces pays espèrent, bien entendu, tirer leur épingle du jeu. La Chine a ainsi remis en cause cet été la validité du dollar comme monnaie de référence et a annoncé qu’elle allait racheter ou opérer des fusions avec des sociétés européennes, notamment dans le domaine des hautes technologies. Il serait cependant étonnant que les impérialismes américains et européens laissent remettre en cause leur hégémonie. Si les tensions n’ont pour l’instant lieu que sur le terrain économique, il faut envisager l’apparition de tensions militaires en Afrique et au Moyen-Orient, enjeux du partage du monde entre les impérialismes.

La situation est donc ouverte. Cependant, il est absolument faux de penser que le capitalisme va s’effondrer par lui-même. L’issue des crises dépend à la fois du développement de résistances des exploité-e-s, ainsi que de l’intervention d’organisations révolutionnaires donnant une grille de lecture des événements, poussant les luttes dans un sens radical et faisant la promotion d’un autre modèle de société.

On sait ce qu’il nous reste à faire.

Grégoire Mariman

[1Banque centrale des États-Unis.

[2Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud.

 
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