Culture : La poésie et ce qu’on dit d’elle...




Le langage est ce qui fait la réalité de l’homme, c’est à travers lui qu’il se reconnaît, qu’il reconnaît ses semblables et qu’il parvient à donner un sens à son existence.

L’homme s’est lui-même créé en créant un langage, son langage ; en conséquence, ce dernier est une condition de l’existence de l’homme et non un objet que l’on peut manipuler à sa guise. C’est pourquoi le danger a toujours été grand, hier et peut-être encore plus aujourd’hui, de constater que la parole s’atrophie, se dissout, sans pour autant que la communication entre les êtres se développe malgré toutes les propositions techniques mises au service de l’être social. Il faut encore le rappeler, c’est au travers du langage que l’homme fonde sa propre expérience, sa relation aux autres, car le langage est l’homme mais aussi quelque chose en plus, quelque chose qui le dépasse et lui échappe. On sait que le langage présente une possibilité infinie de significations et que le mot n’a rien de commun avec la réalité qu’il nomme.

Dévoiler l’invisible

L’homme est une métaphore par la parole. On conçoit donc que le langage parlé est poétique, puisque la métaphore est l’expression brûlante de la poésie, mais que ce langage parlé n’est pas poème. Cependant il ne saurait être question, pour moi, ici, comme pour d’autres vraisemblablement, de dire ce qu’est la poésie, mais simplement d’en montrer les manifestations. Platon, dans son ouvrage La République, congédie la poésie de la cité parce qu’il la considère comme l’expression du mensonge. Elle l’est pour lui parce que le poète ne s’attarde pas à définir simplement ce qui existe, mais à dire tout ce qui n’existe pas ; il cherche dans les apparences à dévoiler tout ce que l’homme ne voit pas. Mais comment, autrement que par les mots, que par le langage qui est lui-même métaphorique, le poète pourrait-il s’exprimer ? Ce que le poète veut dire, il ne le peut d’une quelconque façon, parce que la poésie est rencontre, don, découverte et que le poème n’appartient pas au poète, mais au lecteur, à celui qui le lira, à celui qui s’appropriera les mots attachés au poème et au sein duquel il trouvera trace d’une réalité présente en lui.

Une violence faite au langage

Le poème n’est donc pas une simple transformation verbale, un mime de la parole ou un étalage de sentiments, car la création poétique est d’abord une violence faite au langage, et celle-ci se manifeste, comme l’évoquait Reverdy, par la rencontre de deux réalités opposées. C’est donc à un choc des mots auquel le poète se trouve confronté et non à celui des idées, comme il est pensé à tort par beaucoup. La poésie n’a que faire des idées, car le poème fait sens au-delà des mots, au-delà de ce qu’il dit, au-delà de ce que le poète a tenté de dire. C’est pourquoi, avec la poésie, le langage retrouve ses sources, ses origines, il redevient pureté et découverte, partage et écoute. Car la poésie est cela avant toute chose et comme l’a écrit Maria Zambrano : « Pour le poète, ce n’est pas l’être qui est important, mais le don qui le comble. »

Ainsi le poète cherche et trouve sa parole au travers des mots, et il la reconnaît, parce que cette parole était déjà en lui et lui en elle. Comme pour l’homme de tous les jours, la parole du poète se confond avec lui-même et le rythme de sa poésie sera celui de son corps. Tout le monde n’est pas poète, mais tout le monde peut entendre la parole du poète. Et il n’est pas présomptueux de dire que le poème est à la fois le seul recours dont l’homme dispose pour aller dans le dépassement de lui-même et qu’en même temps la poésie est d’une certaine manière « le sel de la terre ». Il faut cependant se garder de donner à la poésie un sens trop sacré, car elle n’a pas pour fonction de glorifier, ou d’asservir, ni même de procéder à un travail d’introspection ou d’analyse de soi. Il faut juste reconnaître qu’elle est la source première de l’expression de l’homme parce qu’elle se trouve être la plus proche de sa réalité.

La poésie vit et demeure malgré les menaces qui pèsent sur elle, et ce n’est pas faire preuve d’un optimisme démesuré que de dire qu’elle n’en finit pas de vivre au cœur de l’humanité. Si elle réclame attention et écoute, le drap tiré sur elle par les manipulateurs de la société ne l’empêche pas d’être encore entendue par quelques-uns, j’en veux pour preuve le dynamisme fécond des revues, des éditeurs qui continuent ce travail obscur et sans gratitude de publier ou d’écrire de la poésie.

Jean-Michel Bongiraud

Sources :

 Octavio Paz, L’arc et la lyre, Gallimard.
 Maria Zambrano, Philosophie et poésie, Ed. José Corti.
 Hugo Friedrich, Structure de la poésie moderne, Le livre de poche.

 
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