VIIe congrès d’AL - Angers - novembre 2004

De la « réserve de radicalité » au renouveau des luttes




Le feu sous la cendre ?

Le mouvement social est en France dans une situation paradoxale. Alors que la "pensée unique" libérale n’a plus l’hégémonie qu’elle avait jusqu’en 1995, les mouvements sociaux semblent impuissants à renverser le rapport de force en leur faveur.

Tout le monde attendait la "bataille sur les retraites". Il s’agissait à la fois d’un énorme enjeu économique - des milliards d’euros que le capital financier voulait ravir aux travailleur(se)s -, d’un enjeu politique - prouver l’inanité de la victoire de Chirac à la présidentielle 2002 -, et symbolique - après vingt ans de réformes libérales, les retraites constituaient un des derniers bastions sociaux à défendre, et il fallait le défendre plus chèrement qu’en 1995.

Perdre cette bataille signifiait une démoralisation durable pour le mouvement ouvrier français, et des difficultés immenses pour remobiliser les travailleur(se)s sur d’autres enjeux, comme la défense de la Sécurité sociale. Or nous avons perdu cette bataille. Et, conséquence logique, les batailles sur les salaires, l’emploi (en particulier contre les délocalisations) et en défense de l’assurance-maladie n’ont pas eu lieu.

Les grèves du printemps 2003 furent un échec cuisant, dans lequel les directions confédérales des syndicats portent une lourde responsabilité. La trahison de la CFDT, attendue, n’a pas véritablement désarçonné les militant(e)s prêt(e)s à en découdre. Mais la stratégie dilatoire des directions CGT-FSU-FO-Unsa a, en revanche, fait des ravages.

Elles ont tout fait pour casser les tentatives de construction d’un véritable mouvement dans le secteur privé sur la base d’un retour aux 37,5 annuités car cette revendication les aurait mis en porte-à-faux dans les négociations qu’elles avaient entamé depuis des mois déjà avec le gouvernement.

En découpant le mouvement en "journées d’action", en faisant prévaloir une logique de menace sur une logique de rapport de force, elles ont contribué à disperser et affaiblir les grèves, alors que leur généralisation nécessitait les efforts de chacun. Fin juin 2003, le souffle de la contestation était retombé, et la possibilité d’une grève générale évanouie sans que l’occasion ait été saisie. La mascarade s’acheva par le lancement d’une misérable "grande pétition" censée convaincre le Medef et le gouvernement de ne pas toucher aux milliards d’euros que représentaient les retraites.

La CGT se sent hégémonique. Elle n’a pas tout à fait tort puisque quasiment personne ne songe à lui contester la direction auto-proclamée des luttes ni à proposer réellement des stratégies concurrentes. Le suivisme par rapport à la CGT est souvent de rigueur parmi les organisations syndicales, ce qui ne fait que renforcer le penchant naturel de la direction cégétiste pour l’arrogance.

La grève générale manquée de mai-juin 2003 n’a pas eu lieu car elle aurait provoqué un risque de crise politique et sociale majeure. Tous les appareils politiques et syndicaux de l’ex-gauche plurielle ont combattu cette perspective. En effet, gagner par la grève et l’action directe sur une revendication aussi centrale que les 37,5 annuités pour tous(tes), cela aurait démontré dangereusement l’inutilité du jeu politique institutionnel mais aussi les manœuvres consistant depuis les présidentielles de mai 2002 à "construire un débouché politique aux luttes".

Après la défaite, on a malgré tout parlé d’une "réserve de radicalité", qui permettrait de rebondir, et pour le moins de garder l’espoir pour de nouvelles batailles. Le rapport de force idéologique ne semble effectivement pas s’établir en défaveur du mouvement social.

Si les médias - propriété du capital - sont quasi totalement acquis au néolibéralisme, depuis la fin des années 90, l’anticapitalisme ou, pour le moins, l’idée que "un autre monde est possible" fait de nouveau partie du paysage politique. On en trouve l’indice dans une opinion publique majoritairement favorable aux grévistes du printemps 2003, dans le succès de grands rassemblements comme "Larzac 2003" ou le Forum social européen de novembre 2003, voire même dans le score honorable de l’extrême gauche à la présidentielle de 2002 (presque 10 % des voix au total).

Ces différents événements, quelle que soit l’analyse qu’on fasse de leur contenu, de leur composition, de leur utilité ou de leurs buts, nous font dire qu’il existe bel et bien des points d’appui idéologiques pour le combat anticapitaliste.
Mais le combat anticapitaliste n’est pas seulement idéologique. Il se joue également dans le rapport de force concret entre les travailleur(se)s et le capital. Si les idées et les convictions jouent un rôle important dans la lutte des classes, elles sont aussi le produit de la lutte des classes.

Autrement dit, si nous ne parvenons pas à transformer cette "réserve de radicalité" en rapport de force concret, la démoralisation peut très bien, peu à peu, l’emporter, et nous ramener à une nouvelle crise du mouvement social, qui signifiera par contrecoup crise de l’anticapitalisme et de l’idée de transformation de la société.

Quant au combat anti-patriarcal, une partie des ses luttes est incluse dans le combat anti-capitaliste : chômage, pauvreté, retraite, travail précaire et à temps partiel, services publics... Les spécificités de la situation des femmes dans ces combats, qui sont que, en gros, c’est toujours pire pour elles, ne sont pas toujours prises en compte par le mouvement social.

D’autres luttes anti-patriarcales : pour l’IVG et la contraception, contre les violences faites aux femmes, contre l’ordre moral et l’homophobie sont totalement absentes des revendications du mouvement social anti-capitaliste. Et restent le domaine réservé des associations et groupes féministes, lesbiens et gais.

La "réserve de radicalité" de ces mouvements n’est pourtant pas négligeable, même si leurs forces le sont quantitativement et nous avons tout à gagner à inclure les revendications de transformation de la société et d’égalité qu’ils défendent.

Eviter que les élections redeviennent une question stratégique pour les mouvements sociaux

Revenons à mai 2002. Le "séisme politique" provoqué par la présence du Front National au second tour de l’élection présidentielle de mai 2002 n’aura duré que l’espace d’un entre-deux-tours. Le gouvernement de combat au pouvoir fait mine de n’avoir entendu qu’un seul message suite au 21 avril 2002, à savoir l’attente d’une solution autoritaire, alors que les manifestations entre les deux tours exprimaient bien le rejet du racisme et du fascisme.

C’est oublier un peu vite que le choix majoritaire au sein des couches populaires n’a pas été celui du FN, mais celui de l’abstention, et les votes blancs et nuls. Peu en ont parlé, un peu comme s’il ne s’était rien passé. Il s’agit pourtant bien du rejet d’un système non démocratique, qui s’explique par la continuité de la régression sociale et la toute-puissance du marché, quelle que soit la couleur du gouvernement. Le gouvernement de "Gauche plurielle" en a été le dernier exemple.

Dans le contexte de l’après-21 avril et de la forte demande de politique exprimée dans les manifs antiracistes, est réapparue l’illusion qui fait de la recomposition politique l’axe central des mobilisations. Il fallait "repenser la gauche", "refonder la gauche", "réinventer la gauche", il fallait en tout cas "qu’il se passe quelque chose à gauche". Mais le débat n’a essentiellement pas porté sur le projet de société et les moyens d’y parvenir, ce qui aurait obliger de poser la question de l’État en tant qu’espace - potentiel ou non - de contre-pouvoir au capital. Le débat a porté sur la façon de faire de bonnes ou de mauvaises alliances électorales... L’éternel retour.

Que la question électorale fascine une classe politicienne qui vit de la répartition des postes dans l’appareil d’État, passe encore. Mais l’hégémonie de cette question dans le débat politique a y compris exercé une force d’attraction dommageable sur une partie des mouvements sociaux.

A l’occasion du rassemblement du Larzac (août 2003) et du Forum social européen (septembre 2003), la social-démocratie et la "gauche radicale" ont pesé de tout leur poids pour une "nouvelle alliance" des partis de gauche et des mouvements sociaux. Et effectivement, comme si l’échec des grèves du printemps 2003 contre la réforme des retraites avait achevé d’affoler leur boussole politique, on a vu revenir en force la tentation de croire que, ce qu’on n’avait pas gagné par les luttes, on allait le gagner sur le terrain institutionnel. Même une manœuvre aussi peu novatrice et enthousiasmante que l’"appel Ramulaud pour une alternative à gauche" a pu exercer un pouvoir de séduction, puisqu’il a débouché sur la participation d’acteurs et d’actrices en vue des mouvements sociaux à des listes aux élections régionales de mars 2004, notamment en Ile-de-France avec la liste "PCF ouverte" - conduite par Marie-George Buffet et Claire Villiers (animatrice d’AC ! et figure du mouvement des chômeurs de 1997-98) - et en Midi-Pyrénées avec la liste de "Gauche alternative" structurée par des militant(e)s connu(e)s de la gauche syndicale toulousaine.

Vaine aventure, dont le ressort idéologique était qu’il faut "donner un débouché politique aux luttes". Faudra-t-il rappeler inlassablement cette évidence ? Le seul débouché aux luttes, c’est le succès des luttes. S’il est crucial de donner un sens aux luttes, c’est celui de la transformation radicale de la société, qui disqualifie de fait les tentations de participation institutionnelle. Vaine aventure, s’il s’agissait de s’opposer à la montée du vote d’extrême droite. Les urnes n’ont jamais été un rempart efficace et durable contre l’extrême droite, les élections n’ont jamais suffi à barrer la route au fascisme.

Certes, la majorité du mouvement social reste circonspect face aux perspectives d’une nouvelle alternance à gauche. Mais le problème est là : si aucun projet politique propre n’émerge du mouvement social, par défaut la solution politique est proposée de l’extérieur, par les partis de gauche, avec les effets néfastes que l’on a décrits.

La transition vers une société nouvelle ?

Ces dernières années ont vu l’accroissement considérable et général du contrôle social. Certes, l’outil répressif se durcit... pour passer les réformes libérales. Mais à force d’accumulation de mesures liberticides, de "réformes de la Justice", d’emprisonnement de militant(e)s syndicalistes et politiques, on peut finir par se poser une question : ne sommes-nous pas, lentement mais sûrement, en train de changer de société ?

A quoi ressemblera l’Etat français de demain ? Un Etat autoritaire avec les médias à la botte, la glorification du travail pour masquer l’exploitation des travailleurs, une économie carcérale et une gestion policière de la misère et des conflits sociaux : quelque chose entre les Etats-Unis de Bush, la France de De Gaulle et la Serbie de Milosevic ?

A l’automne 2001, la "Gauche plurielle" a voté la Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ), panoplie liberticide qui met sérieusement en cause le déplacement, l’inviolabilité du domicile, le respect du secret de la correspondance. La logique, celle de plus de pouvoirs et de crédits aux forces de l’ordre, y compris aux officines privées, sera approfondie par le gouvernement Raffarin. Dès les premiers mois de gouvernement, la Loi sur la sécurité intérieure (LSI) était adoptée. Celle sur la justice (loi Perben), suivait début 2004.

Les "sauvageons" en maison de correction, les immigré(e)s dans les charters, les syndicalistes trop remuant(e)s en prison ; répression des classes populaires, des groupes considérés en marge de la société (hommes et femmes sans-papiers, prostituées, gens du voyage, mendiant(e)s...) ; retour de la délation, généralisation de la vidéosurveillance ; augmentation des budgets des forces de répression, recrutement de nombreux policiers, impunité quasi assuré pour ces derniers en cas de bavures... "L’état d’exception permanent" se met en place. Il ne manquait plus, pour compléter le tableau, qu’un sursaut patriotique : ce fut fait avec la loi sur l’injure au drapeau et à La Marseillaise.

Nous assistons à une véritable destruction de nos libertés individuelles. Les gouvernements successifs ont occulté les causes économiques et politiques des problèmes et proposent une approche gestionnaire et policière de leurs effets sociaux.

L’intensification de la répression contre toute forme de contestation sociale contribue au recul des luttes. Les risques, personnels et collectifs, engendrés par la participation aux luttes sociales (sanctions contre les grévistes, retenues sur salaire, fichage, amendes, peines de prison) ou écologiques (poursuites contre les faucheurs d’OGM) expliquent en partie les hésitations grandissantes des travailleur(se)s, précaires, chômeurs et chômeuses à agir. De nouvelles formes d’action sont à inventer pour contourner cette répression.

Le hold-up capitaliste

La Gauche plurielle avait ouvert la voie à la destruction sociale dans tous les domaines, emploi, salaires, services publics, protection sociale. La droite dure va achever le travail, et passer en force là où la gauche avait été trop timorée.

Après s’être octroyé 70% d’augmentation "salariale", le gouvernement décide de baisser les impôts. Les riches ne le sont pas assez. Au sommet de Barcelone en mars 2002, Jospin et Chirac avaient entériné sans problème l’augmentation de cinq ans de la durée de cotisation pour les retraites. Dès fin 2002 des rencontres se tenaient au ministère des Affaires sociales entre Fillon et les bureaucraties syndicales, parfaitement au courant du projet de loi. Des bureaucraties préférant le "dialogue social" et les effets d’annonce à la mobilisation de rue.

De journées de grève en journées de manifs "éteignoirs", la loi fut votée. Les confédérations traditionnelles n’ont jamais voulu faire échec au gouvernement. Si la CFDT a trahi ouvertement, avec toute la finesse qu’on lui connaît, l’axe CGT-FO-Unsa-FSU s’est bien gardé de se lancer véritablement dans la bataille, allant jusqu’à saboter les tentatives de lancer la grève dans les secteurs stratégiques (rail, RATP).
Une formidable régression sociale, applaudie par le Medef, et qui va aboutir à un appauvrissement d’une grande partie de la population. Le "sauvetage" de l’Unedic qui, dès le 1er janvier 2004, devait priver des dizaines de milliers de "recalculés" de leurs droits, n’a été temporairement contrarié que par un recours devant la Justice. C’était malgré tout une amère victoire, parce qu’elle n’avait pas été acquise par la lutte - ce qui affaiblit le mouvement social.
Le statut des intermittent(e)s du spectacle est brisé et va accroître les difficultés de ceux et celles qui vivaient déjà difficilement. Pour les pauvres qui survivent avec le revenu minimum d’insertion (RMI), le gouvernement a créé le revenu minimum d’activité (RMA), véritable système de travail gratuit et forcé.

Avant de privatiser les dernières entreprises publiques, le droit de grève est également remis en cause. La Sécurité sociale est menacée. Déjà de nombreux médicaments ne sont plus remboursés, souvent prescrits et utiles aux plus modestes. Seules les personnes pouvant cotiser à une mutuelle pourront se soigner correctement. C’est à dire de moins en moins de monde.

Le Medef fait son entrée dans les écoles, lycées, universités. Avec la décentralisation, les patronats locaux pèseront de plus en plus dans le contenu pédagogique des formations, des formations conçues davantage dans l’intérêt des entreprises et de leurs besoins immédiats, que dans l’intérêt durable des travailleurs.

Le Medef voulait la Refondation sociale, il l’aura ! Le rôle des inspecteurs et inspectrices du travail va être saboté, et le contrat sera au-dessus de la loi, renversant ainsi le principe du mieux-disant social qui voulait qu’aucun accord d’entreprise ne puisse être signé en-dessous de la convention collective, et aucune convention collective en-dessous du code du travail.

Le fait central qu’il faut garder à l’esprit est que la précarité est la basestructurelle de la nouvelle organisation de l’économie. C’est aussi l’arme essentielle par laquelle les patrons et autres exploiteurs renforcent leurs pouvoirs et leurs privilèges dans la répartition des richesses.
Les 35 heures à la sauce Aubry avaient déjà, dans de nombreuses branches, permis une régression sociale, avec une flexibilité accrue et un blocage voire une baisse des revenus salariés. A présent le gouvernement cherche ouvertement à revenir aux 39 ou 40 heures, tout en conservant les acquis antisociaux de la loi Aubry.

Actuellement se négocie très discrètement l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS ), qui vise à marchandiser l’essentiel des activités humaines à partir de 2005 (culture, éducation, santé, etc.). Plus rien n’échappera aux requins des transnationales et leurs complices politiques.

Le retour des valeurs morales de droite

Mais le programme de droite dure n’est pas qu’économique et elle s’applique à favoriser le retour des valeurs d’ordre moral.

Elle ne donne toujours pas de moyens à l’avortement, ne publie pas les décrets d’application de l’IVG médicamenteuse à la maison, laisse s’exprimer de plus en plus les commandos anti-IVG. Un député de droite a déposé un amendement pour donner un statut à l’embryon et donc à terme criminaliser l’IVG.

Elle donne des gages à l’église catholique et favorise son expression. Au sein du Conseil Supérieur de l’Information Sexuelle, la CADAC et l’association des parents gais et lesbiens (APGL) ont été remplacés par l’association des familles catholiques (AFC) et Familles de France.
Elle en compte en son sein de nombreuses personnes qui se sont opposées violemment au PACS et on peut penser qu’à la moindre occasion elle reprendra le combat contre les homosexuel-le-s.

L’Union européenne, toujours plus loin dans l’exploitation

La même logique économique prévaut dans toute l’Union européenne, en s’appuyant sur quelques mythes fondamentaux :
 la compétitivité des entreprises érigée en vertu suprême au détriment de l’emploi, du salaire et de la protection sociale ;
 la privatisation des activités au détriment de tout ce qui touche au service public et à l’intérêt général ;
 la toute-puissance et infaillibilité du marché comme régulateur essentiel de l’activité économique et sociale ;
 la stabilité monétaire, qui favorise le capital financier, présentée comme facteur de développement.

Dans tous les pays européens les mêmes préceptes sont appliqués. Il n’est question que de la "croissance", présentée comme l’objectif miraculeux à atteindre, qui résoudrait tous les problèmes. Il n’y a pourtant aucune crise de production des richesses en Europe, qui est déjà la zone la plus riche de la planète après l’Amérique du Nord... Les capitalistes européens font des profits fabuleux qu’ils n’essaient même plus de cacher comme dans les années 80 où la jérémiade patronale, sur fond de "crise" était devenu un exercice de style obligé. S’il y a crise, c’est d’une crise de répartition de la richesse qu’il s’agit.

La Constitution européenne qui sera soumise à référendum vraisemblablement à l’automne 2005 est moins une Constitution qu’un condensé de dogmes ultralibéraux, truffé çà et là de préconisations directement écrites sous la pression de certains lobbies patronaux. Alternative libertaire combattra ce projet qui confère un caractère constitutionnel à la démolition sociale dont est porteuse la "construction européenne".

Derrière ce terme séduisant, empruntant aux idéaux internationalistes, les bourgeoisies des différents Etats cherchent à établir le code du commerce qui garantira au mieux leur enrichissement dans l’équilibre de leurs intérêts respectifs. Les travailleurs et travailleuses de chaque pays de l’Union sont les perdants de cette "construction", déclinaison continentale de la mondialisation capitaliste.

De grands mouvements de grèves mêmes générales se sont produits dans plusieurs pays de l’Union contre la logique ultralibérale. En Allemagne, longtemps présentée comme un modèle social, l’agenda 2010 n’a rien à envier à la politique de Raffarin. Les pays scandinaves dominés par la social-démocratie procèdent eux aussi à des coupes sombres dans les budgets sociaux. Dans toute l’Europe la population se paupérise, y compris les classes moyennes. De plus en plus de monde se trouve projeté dans la partie étroite du "sablier".

Dans le même temps, dans toute l’Europe l’extrême droite progresse, signal d’une détresse à laquelle, malgré leurs progrès, les forces anticapitalistes ne parviennent pas encore à donner de réponse. Déjà en Autriche et en Italie, les nationalistes sont au gouvernement. Même la Suisse connaît une poussée "brune".

Le capitalisme se satisfait sans problème de la montée des nationalismes. Il sait pouvoir compter sur l’extrême droite pour défendre son "droit" à accaparer les richesses et le pouvoir. Il n’est pas dit pour autant que le capitalisme ait besoin, dans la période, d’une extrême droite au pouvoir pour défendre ses intérêts. Le durcissement autoritaire des Etats peut tout à fait suffire. Les attentats du 11 septembre, et une guerre sans fin contre un "terrorisme" insaisissable, ont servi de prétexte à la mise en place de l’arsenal de lois sécuritaires.

Cette spirale sécuritaire est jumelle de l’idéologie libérale qui consiste à liquider l’Etat-Providence pour n’en conserver que les fonctions régaliennes (police, justice, armée). Sous couvert de défense de l’ordre public, les gouvernements de l’Union européenne n’ont pas hésité à porter des atteintes graves à la protection de la vie privée, à la liberté de circulation, au droit d’expression politique.

La "mise à niveau", présentée comme technique, du système d’informations Schengen (SIS) sert de paravent à un glissement de ses objectifs, de l’accompagnement de la liberté de circulation vers la constitution d’une base de données de surveillance et d’enquête. Un des projets vise à enregistrer chacun des étrangers entrant dans l’UE avec un visa. Autre cible : les militant(e)s altermondialistes, défini(e)s comme des personnes potentiellement dangereuses qu’il faut empêcher de rejoindre certains rassemblements internationaux. Les rares fermetures des frontières internes de l’Union ont presque toutes servi à empêcher des manifestations lors de sommets européens ou internationaux.
Prévention punitive, on criminalise par anticipation toute lutte sociale de masse, perçue comme porteuse de couleur terroriste. L’immigration clandestine est traitée à égalité avec le terrorisme et la criminalité : sécuritaire rime bien avec totalitaire.

De son côté, la Constitution européenne fait référence à nos origines chrétiennes et n’omet pas de prévoir de bonnes relations avec les Eglises.

Nord-Sud : l’exploitation continue

Derrière le terme de « mondialisation capitaliste » se cache, de façon très pragmatique, la guerre économique que livre l’Occident au reste du monde. Chaque "avancée" à l’OMC signifie l’abolition des barrières douanières qui protègent les économies de certains pays, ou simplement la privatisation de secteurs-clés de leurs économies.

Les capitalistes des deux côtés de l’Atlantique s’efforcent de trouver un "deal" pour l’ouverture des marchés qu’ils doivent se partager. Quant aux pays du Sud, injonction leur est faite "d’ouvrir leur marché" aux appétits des multinationales occidentales. Le pot de fer contre le pot de terre. La bourgeoisie des pays du Sud espère se placer sur quelques créneaux en voyant s’ouvrir les marchés des pays du Nord, en contrepartie de la mainmise des multinationales occidentales sur les services publics. Une mainmise qui signifie le plus souvent destruction. Suez-Lyonnaise des Eaux fait ainsi des ravages en Afrique en rachetant les entreprises publiques et en supprimant les réseaux de distribution "non rentables". En Afrique occidentale, la privatisation des filières du cacao ou du café a conduit à leur désorganisation, au gaspillage des récoltes, à la baisse de qualité des produits et à la paupérisation des populations paysannes. En Amérique latine, France Télécom ou EDF se font les protagonistes de la privatisation des secteurs énergétique et des télécommunications.

On connaît l’arme de l’Occident pour faire plier la volonté des pays du Sud : la dette, dont le rééchelonnement est conditionné le plus souvent à la privatisation de tel ou tel secteur, et la domination militaire. Ecrasés sous la dette, les pays du Sud ne peuvent sortir de la misère et prétendre améliorer le sort des populations. Des dettes souvent plus que remboursées, par le colonialisme encore rampant aujourd’hui et le pillage des matières premières à bas prix.
Placés sous tutelle de la Banque mondiale et du FMI, donc du capitalisme, soumis à des "plans d’ajustement structurels" déments, des millions de personnes meurent de faim et de pandémies.

La paupérisation des populations touchent en premier lieu les fillettes et les femmes. Annulant les effets des efforts faits précédemment pour leur santé ou leur instruction. Et on sait que l’instruction des femmes est un élément primordial pour la santé des enfants (moins nombreux et mieux soignés) et la (sur)vie des habitant-e-s des pays pauvres (création de micro-entreprises, prise en charge de l’agriculture vivrière...).

La recolonisation du monde

La domination militaire a son importance pour maintenir l’ordre social. Les Etats Unis poussent à une remilitarisation de l’Amérique latine en prévision d’un accroissement des conflits sociaux liés à la création de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Des accords de libre-échange dramatiques pour le prolétariat sud-américain, comme l’indique la montée des luttes de classe en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Mexique, au Venezuela...

Les besoins énergétiques de l’Occident deviennent si pressants qu’ils vont pousser toujours davantage au conflit, voire au conflit armé. La guerre contre l’Irak, pour placer sous tutelle la deuxième réserve de pétrole de la planète, est l’événement le plus significatif des besoins du capitalisme américain en ce début de XXIe siècle. L’Irak a été bombardé et envahi, des milliers d’innocent(e)s sont mort(e)s pour le plus grand profit de Texaco ou Chevron.

L’Europe n’est pas en-dehors de cette politique de réarmement. Les hausses des dépenses militaires sont effarantes. La droite en France emboîte le pas aux Etats Unis en augmentant les budgets militaires dans le but de financer les "opérations extérieures". La Russie de son coté poursuit sa guerre barbare en Tchétchénie, sous prétexte toujours de lutte antiterroriste. Et l’Europe est loin de condamner formellement le caractère ignoble des massacres commis par le boucher du Kremlin.

Si les manifestations antiguerre dans le monde n’ont pas déstabilisé l’État américain - il serait déstabilisé avant tout par la contestation massive de sa propre population - la lutte contre la guerre, par la mobilisation des populations contre la logique impérialiste, peut être un élément important de la contestation anticapitaliste. En faisant le lien entre les besoins d’expansion du capitalisme, et le rôle joué par l’État et son armée, on doit passer du pacifisme humaniste - qui imprègne spontanément les mobilisations antiguerre - à un pacifisme lucide sur les causes des guerres et des conflits.

Reconstruire la résistance

Face à cette situation, nous continuons d’agir sur deux terrains :
 celui de la lutte sociale, en favorisant la convergence des luttes et des mouvements sociaux ;
 celui du combat politique, en faisant avancer les idées anticapitalistes, antipatriarcales et libertaires, et le projet autogestionnaire.

C’est la politique d’Alternative libertaire depuis ses débuts en 1991. Il est temps de faire un bilan de l’action que nous menons, afin de l’adapter à la période qui s’ouvre avec l’échec des grèves du printemps 2003.

 
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