Dominations : Pour ne plus opprimer, prendre conscience de ses privilèges




La prise de conscience de la multiplicité des oppressions (de classe, de race, de genre) interroge différents collectifs militants, en particulier les milieux libertaires.

Ces dernières années, dans différents pays, plusieurs collectifs libertaires ou anarchistes se sont intéressés à l’approche antioppression. Au Canada, le Collectif de recherche pour l’autonomie collective (Crac), souligne l’existence de trois mouvances dans laquelle cette approche s’est développée : le féminisme radical, l’anarchism of color et le queer radical.

En Irlande, l’organisation communiste libertaire Workers Solidarity Movement a également mis en avant depuis deux ans la nécessité d’associer à la lutte contre l’exploitation, la lutte contre l’oppression dans des prises de position publiques.

En Angleterre, c’est l’assemblée des femmes de la Fédération anarchiste qui a pris des positions semblables en développant une théorie anarchiste du privilège.

Dans les milieux académiques et militants, la notion d’intersectionnalité (de la juriste noire américaine Kimberlé Creenshaw) en est venue à désigner assez largement toute approche qui considère qu’il existe une multiplicité de systèmes d’oppression et en particulier le sexe, la race et la classe sociale. De fait, une même personne peut à la fois être opprimée dans certains systèmes et être privilégiée socialement relativement à d’autres.

Posture d’allié.es

La féministe Peggy McIntosh a mis en lumière l’existence de ce qu’elle appelle les privilèges sociaux. Un privilège est un avantage auquel a accès une personne du simple fait de sa place dans le système social sans en avoir nécessairement conscience. Un homme lorsqu’il se présente à un recrutement a généralement un avantage par rapport aux femmes qui sont plus souvent discriminées sur la base de leur sexe.

Le caractère inconscient des privilèges sociaux fait que dans les organisations, les militants et militantes n’ont pas nécessairement conscience qu’ils ou elles peuvent reproduire des oppressions. De fait, pour des personnes appartenant à des groupes socialement minorés – femmes, minorités sexuelles ou racisées – les organisations militantes peuvent paraître peu inclusives.

L’approche intersectionnelle conduit à remettre en question la solidarité immédiate de classe. Non pas que les classes sociales n’existent pas. Mais même à l’intérieur des organisations spécifiques (syndicat, organisations non mixtes…), celles-ci se trouvent traversées par d’autres rapports sociaux.

Il devient nécessaire de ce fait d’apprendre à développer une posture d’allié.e. Un ou une allié.e est une personne qui n’est pas touchée personnellement par une oppression, mais qui a conscience de ses privilèges, qui est attentive à ne pas reproduire des oppressions et qui souhaite soutenir ceux et celle qui luttent contre cette oppression.

À l’étranger, de nombreux collectifs militants ont développé des pratiques de formation qui visent à conscientiser les privilèges sociaux dont chacun dispose et à rendre plus sensibles les différentes personnes aux micro-agressions qu’elles peuvent produire sans s’en rendre compte à l’encontre d’autres groupes.

L’objectif est alors de faire des espaces militants des lieux plus inclusifs et sécures pour les personnes appartenant à des groupes socialement minorés : femmes, personnes en situation de précarité sociale, minorités LGBTI+, racisé.es, personnes en situation de handicap…

Ces formations militantes rejoignent un mouvement plus général visant à faire des espaces éducatifs et des espaces de travail des lieux plus inclusifs. Il s’agit de pratiques qui visent à lutter contre les préjugés et les micro-discriminations. Celles-ci peuvent prendre des formes diverses telles que par exemple l’invisibilisation ou l’invalidation systématique.

De ce point de vue, il est nécessaire de distinguer les pédagogies libertaires de la pédagogie antioppressive. Les pédagogies libertaires tendent à laisser supposer qu’une fois que l’on a remis en question l’autorité verticale entre l’enseignant et les élèves, on a fait cesser toute forme d’oppression.

Former des coalitions

L’approche anti-oppressive est attentive aux formes d’oppression qui peuvent se développer dans des situations pourtant en apparence horizontales. Par exemple, il existe des inégalités socialement construites entre les hommes et les femmes dans la capacité de prendre la parole. L’approche antioppressive favorise la mise en place d’instruments visant à aider à réguler ces formes d’inégalités insidieuses.

La pédagogie antioppression ne s’adresse pas qu’aux élèves auxquel.les il s’agirait de faire prendre conscience de leurs préjugés et de leurs attitudes discriminantes. La pédagogie antioppression s’adresse d’abord aux enseignants et enseignantes, qu’elle invite à prendre conscience de leur place sociale relativement aux élèves, en fonction des différents systèmes d’oppression, et des risques de micro-discriminations qu’ils ou elles peuvent occasionner sans en avoir conscience. Ainsi, plusieurs études montrent que les enseignants et enseignantes ont des interactions différenciées vis-à-vis des filles et des garçons relativement aux stéréotypes de genre.

Si l’approche antioppressive a une application intraorganisationnelle, elle a également une portée interorganisationnelle. Elle vise à favoriser la constitution de coalitions visant la lutte contre des oppressions multiples.

Il va en effet de soi qu’il est difficile pour des groupes luttant pour des causes différentes, mais ayant des objectifs conjoints, de s’allier si chacun nie l’oppression dont l’autre peut être l’objet. Cela d’autant plus qu’il existe des personnes qui se situent à l’intersection d’oppressions croisées. Certaines femmes par exemple sont opprimées en outre en tant que personnes racisées et que lesbiennes. Il devient dès lors difficile d’envisager des alliances avec des groupes qui ne reconnaissent qu’une oppression principale et secondarisent les autres.

Même lors d’un mouvement social spécifique l’approche antioppressive et intersectionnelle conduit à s’interroger sur l’impact en termes d’oppressions multiples. Par exemple, lors d’un mouvement social sur les retraites ou une autre question sociale, il s’agit de s’interroger sur l’impact des mesures gouvernementales plus spécifiquement sur les femmes ou sur les personnes racisées.

Irène (amie d’AL)

 
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