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Economie sociale et solidaire : scop en toc ou vraie coop ?




En juillet 2014, la loi sur l’économie sociale et solidaire a été adoptée et largement plébiscitée par le mouvement coopératif et les médias. Pourtant, il faut poser un regard critique sur son application, qui remet en cause certains des aspects les plus progressistes des Scop.

L’ESS dispose désormais d’une définition : elle regroupe les acteurs « historiques » (associations, mutuelles, coopératives, etc.), mais aussi « les sociétés commerciales qui poursuivent un objectif d’utilité sociale, et qui font le choix de s’appliquer à elles-mêmes les principes de l’économie sociale et solidaire ». En d’autres termes, toute entreprise qui aura su réaliser un rapport RSE (responsabilité sociétale des entreprises) particulièrement brillant : un peu de démocratie par-ci, un peu d’égalité hommes/femmes par-là, une lichette de répartition des bénéfices, et le tour est joué.

Et puis Limagrain1, ses OGM et ses 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, c’est aussi l’ESS, eh oui, en tant qu’acteur historique.

Heureusement il y a les Scop (aujourd’hui société coopérative et participative), qui a des statuts qui visent à garantir la démocratie dans l’entreprise, ­l’égale répartition des bénéfices, la limitation des revenus du capital. Tous les ans, elle est soumise à la « révision coopérative », qui vérifie qu’elle continue de remplir les critères nécessaires à son statut. Sur le papier au moins, c’est du tangible.

Financement facilité

Mais ces statuts sont remis en cause dans la loi de 2014 par deux mesures qui ont pourtant été bien accueillies par le mouvement coopératif. Elles reviennent sur le principe presque « fondateur » selon lequel les salarié-e-s d’une Scop doivent être majoritaires en capital. Jusqu’ici on pouvait avoir des associé-e-s non salarié-e-s dans l’entreprise, mais qui ne devaient pas détenir plus de 49 % du capital.

La première mesure est la Scop d’amorçage qui facilite le financement au départ : le dispositif permet à une entreprise d’obtenir le statut malgré la présence d’un associé externe majoritaire en capital. Ce statut « transitoire » peut durer jusqu’à sept ans. Lorsque le financeur cède ses parts aux salarié-e-s au bout de sept ans, il pourra effectuer une plus-value. On serait malveillant, on y verrait la transformation des Scop en produit financier… La seconde mesure permet de créer des filiales. Une Scop, ou des membres de l’une d’elles, peuvent dorénavant être majoritaires en voix et en capital dans une autre (la filiale donc). Autant dire que les salarié-e-s de la filiale vont avoir peu d’influence sur les décisions, et d’autant moins sur celles de la ­société mère.

Cette loi s’écarte donc – un peu plus – de l’idéal de groupes de travailleurs et travailleuses autogérant leur production avec leur outil de travail.

Les « valeurs » ne suffisent pas

Au sein du mouvement des Scop, le mot phare, c’est « valeurs ». Coopération, solidarité, égalité, bref des mots qui font rêver. Le problème c’est que tout porte à croire que ces valeurs ont plus usage d’étendard qu’une réalité concrète. Dans les petites entités il n’est pas rare d’entendre un gérant se plaindre que les salarié-e-s « font leurs heures et pas plus ». La question de la répartition des bénéfices en faveur des salarié-e-s leur pose aussi problème : eh oui, comment mieux rémunérer les coopérateurs et coopératrices, qui s’impliquent plus dans l’entreprise ? C’est qu’on est patron, on a des responsabilités maintenant, ça doit être valorisé !

En outre, rien ne permet d’affirmer que l’égalité de salaires entre hommes et femmes est plus respectée que dans les formes traditionnelles d’entreprise. Seules 24 % des Scop sont gérées par des femmes. Lors des réunions, séminaires et pour la représentation, la parité n’est même pas évoquée.

L’autogestion est en option, et pour tout dire, jamais à l’ordre du jour. Ainsi, les Scop fonctionnent principalement comme n’importe quelle entreprise un peu moderne : du participatif pour ce qui est de l’identité de l’entreprise, mais un ou une chef d’entreprise qui gère le quotidien. Et même si les chefs sont élu-e-s et révocables, en réalité la gérance n’est pas tournante.

Intégrer les cercles d’influence, les chambres et les écoles de commerce...

Les unions régionales (délégations locales de la Confédération générale des scop, l’organisme phare du mouvement) ne sont pas non plus ce qui se fait de plus efficace en matière de démocratie directe. Des administrateurs et administratrices sont élu-e-s lors des assemblées générales annuelles (souvent à l’unanimité). Ils vivent alors leur mandat sans jamais discuter de leurs décisions avec les coopérateurs et coopératrices de la région, qu’ils et elles ne sont pas chargé-e-s de représenter : en effet, la CGScop n’est pas un mouvement des coopérateurs et coopératrices. Il a pour vocation de faire la promotion et le développement des Scop.

La nuance a son importance, car d’elle découlent des intérêts bien particuliers, ceux d’entreprises qui ont besoin de gagner des marchés, de se développer, d’améliorer leur compétitivité. C’est ainsi que les objectifs mis en avant sont d’intégrer les cercles d’influence, les chambres et les écoles de commerce…

Comment créer de nouvelles Scop ? En faisant une grande campagne de communication auprès des patrons qui souhaitent prendre leur retraite ! Auprès de qui communiquer sinon ? Tout de même pas les syndicats !

Pourtant, les Scop font toujours rêver. Lorsque les salarié-e-s de la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrandsauvent leur emploi, suite à la décision du groupe Chapitre de la fermer, en décidant de se constituer en Scop, c’est une victoire. Lorsque les salarié-e-s licencié-e-s de ­Fralib créent Scop-TI et nomment leur thé 1336 en référence aux nombres de jours de lutte, comment ne pas y voir un pied de nez à une multinationale ?

Et puis, malgré la loi ESS de 2014, malgré les dérives des Scop, il existe tout un maillage de petites structures qui pratiquent l’autogestion, qui ont l’objectif de réaliser leur travail loin des impératifs de rentabilité, et qui composent au mieux avec l’existence du système capitaliste auquel elles ne peuvent pas pour l’instant échapper. La Foire a l’autogestion de Toulouse a vu naître Recota (Réseau coopératif travail autogestions), qui pourrait peut-être, à terme, imposer une voix clairement autogestionnaire dans le mouvement, qui affirme que la lutte des classes existe, et que les coopérateurs et coopératrices sont du côté des salarié-e-s.

Éric (AL Auvergne)


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