syndicalisme

Ecopla Scop : retour sur un combat incertain




Retour inédit sur une âpre lutte pour la reprise de l’outil de travail menée courageusement en Isère par le collectif Ecopla, au gré des tribunaux, des meeting et des piquets imprégnés de l’odeur des braseros. Une lutte qui nourrit nos réflexions autogestionnaires et interroge nos combats à venir.

Le couperet est finalement tombé en ce mois de mars 2017 : après l’échec des ultimes négociations et lourd du constat que les machines ont été volées, le collectif de travailleurs et travailleuses au chômage qui luttaient pour la reprise en SCOP de leur outil de travail, l’usine Ecopla à Saint-Vincent de Mercuze en Isère, annonce amèrement la fin de la lutte et sa défaite.

Un accord pour quelques emplois classiques sera peut-être trouvé avec Cuki-Cofresco, l’entreprise italienne prédatrice, qui -avec le tribunal de commerce et les représentants de l’État -aura malmené des mois durant ces hommes et ces femmes qui ne voulaient pas se résigner.

Bien maigre perspective, et dénouement salé d’une lutte qui mérite qu’on s’y penche avec un peu de recul tant l’exemple d’Ecopla peut donner à réfléchir pour les syndicalistes de luttes et les communistes libertaires attachés autant à s’organiser pour se défendre contre les fermetures d’usines et les licenciements que pour promouvoir des formes médianes ou abouties de luttes à visées autogestionnaires. D’où ce texte, en huit temps, qui sans être exhaustif veut poser le sujet d’une manière complète.

cc Mathieu Colloghan

Ecopla, une histoire industrielle

L’histoire d’ecopla, à Saint-Vincent de Mercuze, c’est aussi celle en parallèle de l’industrie iséroise, et plus particulièrement l’électrométallurgie de la vallée du Grésivaudan, au sud du département, entre Grenoble et Chambéry. Avec un acteur principal, le groupe industriel Pechiney, né en 1950 de la concentration de différentes entreprises du secteur de l’aluminium et ses produits dérivés, dont la Société électrométallurgique de Froges, ville de l’Isère à quelques kilomètres de l’actuel site d’Ecopla ou s’est développé la première usine de production d’aluminium électrolytique en France, à la fin du 19e siècle. Leader du marché, le groupe produira 80% de l’aluminium du marché français, développera ses usines, et prendra une stature internationale.

Pechiney, c’est donc un poids lourd et le premier employeur de cette vallée encore rurale, à flanc de montagnes de part et d’autre, et occupée par un géant industriel à l’influence énorme pour les populations, dont les milliers d’hommes et de femmes qui travailleront dans ces usines au fil de générations entières. Un exemple typique d’industrialisation en Isère, qui aura des incidences sociodémographiques (ouvriérisation progressive des populations rurales encore largement paysannes) et également spatiales et écologiques (urbanisation progressive et coût environnemental et en santé publique du procès de production).



Dans ces usines, se développera un syndicalisme ouvrier de masse, capable d’un rapport de force aujourd’hui insoupçonné, que ne peuvent qu’illustrer les anecdotes un peu décalées, comme celle d’un camarade de l’UL CGT du Grésivaudan qui raconte que, dans les années 70, le tour de France passant par la route de la vallée, des débrayages massifs avaient lieux sans que directions et contremaîtres n’osent prendre les moindres sanctions ou se risquent à des commentaires… par peur de représailles syndicales.

En 1971, la fusion de Pechiney avec Ugine-Kulhman marque l’apogée du groupe, à l’aune d’une décennie marquée par la récession et les chocs pétroliers : les stratégies des directions seront confrontées aux luttes syndicales, et en 1981, Pechiney est temporairement nationalisé sous Mitterrand, qui pour sauver le groupe n’hésite pas à imposer la curée aux travailleurs et travailleuses des sites, licenciant tout salarié.e de plus de 57 ans. Pechiney, avec ses 40.000 salarié.e.s, marqueur du « socialisme patronal » de l’union de la gauche (voir notamment le chapitre "Le socialisme patronal" du livre histoire secrète du patronat), et d’un des plus importants scandales politico-financiers du PS aux affaires. Le groupe sera finalement privatisé en 1995 et se fera absorber par une « OPA hostile » en 2004 par Alcan, dans une guerre des géants mondiaux du secteur.

Jerry Ren, dessin publié dans Le Postillon
Jerry Ren, dessin publié dans Le Postillon

La création de ce qui deviendra Ecopla , c’est d’abord la vente d’une entité de production spécialisée en moulage et pliage aluminium et carton pour emballages en 1996 au groupe britannique Ekco Packaging, qui sera lui-même racheté en 2001 par NFP, puis cédé en 2006 au fonds de pension américain Audax avant d’être revendu 2 ans plus tard à des banques anglaises créancières, et enfin en 2012 à un homme d’affaire multi-millionaire, Jerry Ren, à la tête du fond Bawtry Investment Ltd.

Ecopla, ex-Alurec, Recipal, Scal, c’est l’aboutissement d’une longue histoire faite d’ empires industriels nationalisés, re-privatisés, puis démantelés au fil des acquisitions internationales. Une histoire industrielle avec en parallèle l’histoire ouvrière d’un syndicalisme combatif qui s’est opposé en vain au démantèlement de l’activité (les luttes pour les papèteries, Atofina, les aciers d’Allevard... ) un syndicalisme lentement disloqué sous le « socialisme patronal » par la répression autant que la corruption et par la division, puis confronté à la division encore des usines en petites entités distinctes, sur des sites différents, qui vont casser les équipes, jetées à s’en noyer dans le bain trouble et mouvant des logiques managériales et des reprises en série qui prospéreront en cette fin de siècle.

Liquidation judiciaire et riposte par un projet de reprise en SCOP

En 2012, ce sont 77 personnes qui travaillent à Ecopla, mais l’usine est laissée sans perspectives par le fond propriétaire ; Bien qu’étant la dernière entreprise disposant de ce savoir-faire et de pièces uniques pour le procès de production, les travailleurs et travailleuses sentent déjà l’odeur de soufre nauséabonde d’une opération patronale imminente : malgré des clients de taille dans la grande distribution (Brossard, Pasquier, La Fournée Dorée, etc) , l’entreprise était rentable avec un carnet de commande plein jusqu’à ce que le patron puisent 6 million d’euros dans la trésorerie... Ainsi c’est dès 2013 sous l’impulsion de la CGT métallurgie que l’idée d’une SCOP émerge. L’annonce de la liquidation judiciaire en 2016 -alors que les salaires de janvier tardaient- entérine un cycle déjà bien entamé, et sur la période le collectif de travailleurs qui se forme peu à peu sous l’impulsion des trop rares syndiqués CGT a déjà maintes fois « sonné l’alarme » depuis 2014, et fait face au mutisme total de Jerry Ren.

C’est donc une phase judiciaire qui s’ouvre avec la mise en liquidation de l’entreprise. Mais les ex-salariés tiennent bon et initient un projet de reprise en SCOP, doublé d’une association, les « amis d’Ecopla », avec un slogan, « notre ami c’est l’emploi ». Le tribunal de commerce doit donc se pencher au fil des sessions sur les offres de reprise dont celle déposée par 26 des 77 ex-salariés motivé.e.s par la perspective, et construite en lien avec l’Union Régionale des Scop et appuyée par les syndicats et notamment la CGT métallurgie. Une bataille juridique de plusieurs mois s’engage avec cet atout en main.

Dès le départ soutenu et suivi par la sénatrice PCF iséroise Annie David, le collectif va pragmatiquement commencer à démarcher élu-e-s et collectivités locales de tous bords politiques. Les appels du collectif au ministère de l’économie pour une rencontre resteront sans suite, quand Jerry Ren lui était reçu à Bercy par Macron en Mai 2015.

En Juin 2015, le Tribunal de Commerce tranchera à l’emporte-pièce en faveur d’un groupe concurrent italien, Cuki-cofresco, prêt à acquérir uniquement les machines-outils d’Ecopla, et ce pour 1,5 millions d’euros, soit cinq à six fois moins cher que le cout des machines d’une part, mais d’autre part coupant sous le pied d’éventuels futurs concurrents privés ou la possibilité de redémarrer les machines en SCOP.

La décision pro-patronale du tribunal, motivée uniquement par le remboursement des créanciers et aucunement sur le maintien du site et de l’emploi, douche les espoirs du collectif : avec un dossier bien construit, et déjà des « parrainages » d’élus locaux ou régionaux et des promesses de dons pour lancer la SCOP, les travailleurs et travailleuses pensaient pouvoir faire la différence au tribunal, ou les arguments du « maintien de l’emploi » et du « savoir-faire français » pouvait peut-être toucher juste. Le collectif fait appel, mais la décision du tribunal n’étant pas suspensive, à tout moment Cuki-Cofresco peut venir chercher les machines pour les rapatrier en Italie : Les ex-salariés d’Ecopla mettent en place une veille à l’usine de Saint-Vincent de Mercuze.

Poursuivie au tribunal, la bataille devient politico-médiatique

C’est à partir de ce moment que la lutte va prendre un tournant plus politique et une résonnance médiatique plus forte, localement mais aussi nationalement, tandis qu’en parallèle, le feuilleton continue au tribunal de commerce.

A partir de Juin et de ce premier échec judiciaire, le collectif va s’investir plus intensément pour faire connaitre son combat, qui commence à être suivi et relayé par le mouvement social grenoblois en pleine lutte contre la Loi travail et son monde. Prise de parole au sein du collectif « On bloque tout » grenoblois, intervention à Nuit debout Grenoble, appels plus larges aux différents rendez-vous devant le tribunal, la lutte d’Ecopla contre la décision « de justice » inique et pour sa SCOP se « popularise », quelques années après les Fralib, et bien que les barquettes aluminium ne puissent pas rivaliser aussi facilement avec le thé comme élément symbolique… Mais la simplicité et l’attachement au savoir-faire compteront beaucoup pour que la parole des Ecopla crée cet engouement, autant que la première des solidarités qui leur sera manifestée d’en bas : celle d’un soutien immédiat face à la loi patronale qui les a conduit au chômage.

Le 18 juillet, l’Association des amis d’Ecopla dépose au tribunal une demande de réexamen de l’ordonnance prononcée en faveur d’une reprise par le groupe italien Cuki. La mise en délibéré est donnée pour début septembre. Ambiance ambivalente devant le tribunal, où l’UD CGT a dressé chapiteau et organisé une tribune en soutien, et où se massent plusieurs centaines de sympathisant.e.s du combat.
Les « Ecopla », désormais au chômage, les mois passant, et au gré du manque de perspectives juridiques, montrent cependant les premiers signes de fatigue, et si des « figures » incarnant le collectif se distinguent peu à peu dans la presse par réflexe journalistique de mise en avant des personnes au détriment parfois des collectifs, le volontarisme de certain.e.s est aussi le produit d’une fatigue et du désengagement progressif des autres : l’incertitude du combat et la réalité du chômage commencent à peser lourd, couplées au vertige aussi des contraintes et des responsabilités (par exemple juridique ou médiatiques) liées à cette lutte. D’autant que le groupe est restreint, numériquement déjà, ce qui est un handicap clair pour une autonomie de décision et d’action, mais aussi en expérience syndicale, ce qui complique la définition autonome d’une stratégie et d’une tactique de lutte.

Via les contacts des élu-e-s qui suivent le dossier (Annie David, sénatrice PCF qui interviendra le 23 juin dans l’hémicycle sur la question) ou celui de « personnalités » politiques ou médiatiques (notamment François Ruffin du journal Fakir, qui commence à suivre l’affaire), les premières initiatives nationales s’organisent en Septembre, comme une montée et une tribune lors de la fête de l’Humanité, une « visite surprise » aux locaux de Macron fraichement démissionnaire de son ministère, une visite à Sapin, son successeur, et surtout une « tournée des QG de campagne »des candidats aux primaires de tout bord chapeautée et relayée par Fakir.



Ces initiatives, médiatiques, mises en scène et comptant sur l’audience du journal et des titres de presse qui reprendront ces informations, donnent une nouvelle stature médiatique au combat, en cette rentrée d’année de présidentielle, tandis que s’essouffle la mobilisation nationale contre la Loi travail. Au gré de ces efforts, les promesses de dons des acteurs institutionnels, notamment la préfecture de l’Isère (schizophrénie institutionnelle entre « engagement » du préfet et silence du ministère ?), pour lancer la SCOP se portent désormais à 2.3 millions contre les seulement 100.000€ de Juin dernier, et cela redonne un peu d’espoir au collectif. Même des collectivités locales de droite comme la région auvergne Rhône-Alpes-Auvergne sont de la partie, avec dans ce cas une aide financière de 400.000€. Des efforts bien évidemment liés à la course à l’échalote des politiciens à visiter le site et apporter symboliquement leur soutien aux salarié.e.s, véritable « défilé des politiques » à l’usine durant une semaine (Hamon, Duflot, Macron, Mélenchon, etc), doublé d’une lettre de soutien du ministre Sapin. Mais…

…Mais malgré les paroles et les promesses, les dizaines d’articles, la réalité judiciaire vient encore tremper les lueurs d’espoirs des salarié-e-s en lutte qui reprenaient confiance dans le dossier. Face aux recours et à la procédure dite de « tierce-opposition », portés par « les amis d’Ecopla », « le juge statuera en droit et non dans un réflexe citoyen ou autre » dixit la juge elle-même : la messe pro-patronale est dite, lavant les mains au passage aux responsables politiques et institutionnels. Les dernières manœuvres juridiques que le collectif va mettre en place seront jugées irrecevables. Fin novembre 2016, les perspectives légales semblent épuisées.



« ECOPLA vivra ! » : Un meeting grenoblois pour faire rebond.

C’est dans ce contexte qu’un grand meeting va s’organiser à Grenoble pour le 14 décembre 2016, une idée portée par François Ruffin de Fakir et par la CGT métallurgie et l’UD CGT Isère. Objectif : créer un rebond, en faisant masse autour des salarié-e-s encore présent dans le collectif, et appeler à l’occupation du site grâce au soutien extérieur.

Une initiative salutaire, qui ne sera pas sans tensions cependant : François Ruffin, grandi par son film "Merci Patron" propulsé en symbole en pleine Loi travail et préparant sa candidature aux législatives en Picardie autour d’un de projet de loi sur le droit de préemption qui serait nommée « loi ecopla », souhaite un moment médiatique fort articulé autour des noms de Piaget, militant de la lutte héroïque des LIP, et de Frédéric Lordon, dont l’aura a grossi depuis Nuit Debout.

L’objectif pour le redac’chef de Fakir, c’est de faire un évènement à portée nationale, de mobiliser sur place des soutiens , et de donner une perspective d’action en janvier portée par des personnes extérieures prêtes à s’investir aux limites de la légalité pour « débloquer » l’impasse créée par l’échec juridique. La CGT elle, demande à ce que les Fralib soient invités à s’exprimer, leur lutte plus récente et bien suivie est exemplaire et plus récente que celle des LIP : elle devra esquiver le refus de Ruffin, qui s’en tient à son plan initial et se prête peu à une discussion stratégique avec la CGT.

Des frictions pas si anodines, puisque déjà apparaissent sous-jacentes des questions sur la légitimité et la place des uns et des autres dans la lutte, le collectif Ecopla n’étant plus le seul acteur. D’autre part, la CGT déconseillera fortement aux Ecopla d’accepter l’idée de Ruffin d’une annonce publique d’occupation au meeting si cette dernière n’était pas réalisée dans la foulée le soir même. Un élément important pour la suite, on le verra.

Malgré ces tensions, les efforts combinés des militant.e.s CGTistes et de Fakir vont permettre une bonne campagne d’appel à ce meeting, les affiches « Alu debout ! » vont fleurir partout en ville grâces aux colleurs syndicalistes, et l’appel sera largement relayé par internet dans nombre de réseaux connectés au journal.

Le soir même, la bourse du travail de Grenoble est pleine comme un œuf, plus de 500 personnes se massent dans le grand hall disposé pour l’assemblée générale / meeting. Des vieux et des jeunes, des habitué.e.s syndicalistes, de nouveaux révolté.e.s, des visages croisés à Nuit debout ou dans les cortèges anti-loi travail ou les manifestations sauvages contre le 49-3, des lecteurs de Fakir, des curieux et curieuses, des personnes un peu tout ça à la fois aussi, auxquels il faut ajouter des milliers de connecté-e-s qui suivront la retransmission en direct. Avant même le début de la soirée, indice de réussite par le nombre et la sensation compacte d’une solidarité et d’un désir d’action en soutien.

Assemblée générale

Juste avant, dans ce hall même, des syndicalistes sud-corréens étaient invités par la CGT métallurgie pour exposer leurs réalités de lutte : les premiers arrivés pour Alu Debout arrivent lorsque les syndiqués entonnent un chant de lutte. Anecdote originale. L’ambiance est combative, et sur cet élan et ce nombre, les Ecopla arrivent collectivement, déjà encouragés et applaudis, tandis qu’entrent encore par grappes nombreuses les sympathisant.e.s à leur combat. Devant les portes, des syndicalistes de Solidaires distribuent un tract sur la politique de la ville de grenoble qui veut expulser le syndicat de son local ; à côté, des membres du groupe grenoblois Pièces et Main d’œuvre (PMO) distribuent eux un tract critique sur l’aluminium. Dans la salle, un stand vend des tee-shirt de soutiens au collectif ecopla, un autre la production de SCOP-TI, projet lancé grâce à la victoire des Fralib à Géménos, qui seront de la soirée.

La soirée commence, au slogan qui enfle et résonne dans le hall de « Ecopla vivra ! », antienne de la soirée de lutte. François Ruffin chauffe la salle et prend la parole, avant de donner le micro au collectif, suivit ensuite par Piaget, les Fralib et Lordon.



Point d’orgue de la soirée, après échange avec la salle et intervention de sympathisant.e.s sur l’idée d’une occupation du site, les Ecopla qui se sont retirés collectivement pendant une « coupure » le temps de réfléchir reviennent et annonce accepter l’idée d’une occupation le 14 Janvier 2017. Hourra, la soirée se terminera plus tard par une sonnante et chaude internationale interprétée par une fanfare locale tandis que se dressent et se tendent les poings en l’air.

Certains militant.e.s plus chevronné.e.s sont un peu surpris, ils et elles s’attendaient à monter directement en voiture pour occuper le soir même, et s’étaient organisé.e.s pour. Mais la réussite totale de la soirée donne du baume au cœur, et par ailleurs une récolte des contacts est organisée pour créer une liste de diffusion rapide qui sera utile pour la suite. Le Rendez-vous est donné pour janvier, Ecopla vivra, Lordon coupera la chaine avec une pince, l’occupation sera aussi une grande fête, et la détermination est bien là.

Trois jours autours des braseros contre le pillage industriel

Mais un nouveau rebondissement survient, comme un chien dans un jeu de quille… le 19 décembre au matin, les portables crépitent : des voisins de l’usine ont alerté les Ecopla, des camions immatriculés en Italie ont franchis les grilles, une manœuvre furtive de Cuki-Cofresco pour venir voler les machines avant l’occupation a été mise sur pied et est en cours !

L’appel à se retrouver devant le site à Saint-Vincent de Mercuze circule, outre les ecopla, les syndicalistes CGT se mobilisent, rejoints peu à peu sur place par les sympathisant.e.s joints grâce aux feuilles de contact du meeting et par les réseaux militants de la vallée et de Grenoble. Très vite, des fourgons de gendarmes en tenue anti-émeute et pour un sur quatre mitraillettes en main (obligation sous état d’urgence diront-ils) viendront se positionner dans l’usine, tandis qu’à l’intérieur une équipe de travailleurs italiens démantèle les machines, et des agents de Cuki pillent les informations administratives (et notamment le fichier client). Tension palpable, et nouvel indice sur le camp que choisissent les préfets dans de telles situations. Le site était d’ailleurs sous la responsabilité du liquidateur judiciaire et les grilles surveillées par un vigile.

Sonnés autant qu’en colère, les Ecopla imposent aux gendarmes après de longues négociations une délégation pour vérifier ce qui se trame dans l’usine, et un huissier pour sceller les bureaux administratifs ou Cuki n’a pas accès normalement. Près de deux cent personnes ont répondus à l’appel, et sous la pression le camion-plateau devra finalement quitter le site à vide sous les huées de la foule. Après discussion entre les Ecopla et les syndicalistes CGT sur place, notamment des métallo, et les militant-e-s de l’UL Grésivaudan et de l’UD Isère, et après une petite assemblée générale improvisée, un « piquet de protection » est décidé, et se met en place en ce jour de Décembre. Fakir sera alerté à Amiens par téléphone. Objectif : garder le site pour contrer la manœuvre patronale de pillage industriel, faire reculer la manœuvre.

Grâce aux bons réflexes des habitant.e.s et des militant.e.s sur place et pendant que les Ecopla font le point et s’activent sur la riposte possible, le piquet est monté. Bel effort où les initiatives entrent en synergie et s’auto-organisent. Un camion CGT est placé en enfilade devant le portail d’accès, un chapiteau de l’UL Grésivaudan est monté, tandis que parallèlement une table et un buffet sont organisés pour donner de quoi casse-croûter et boire aux présent.e.s. Une équipe se forme pour aller démarcher en voiture les commerces du coin, qui donneront en soutien de quoi manger et boire, pour la défense de l’emploi local. La voisine mettra sa grange à disposition, au cas où les températures froide de cette fin décembre exige un repli, pendant que les palettes sont débités et les premiers braseros allumés. Ils chaufferont les corps et les cœurs trois jours et surtout trois nuits durant, sans interruption. Des équipes se construisent et se coordonnent pour d’une part organiser une rotation permanente sur le piquet, mais aussi informer et assurer que de nouvelles têtes viennent toujours, et qu’il y ait toujours aussi de quoi se restaurer.

L’implication des équipes syndicales (surtout de la CGT mais aussi de Solidaires) et des militant.e.s variés (des motivé.e.s des Nuit debout aux vieux briscards du PCF en passant par des autonomes de l’agglo grenobloise) autant que des voisin.e.s et des habitant.e.s des environs a été décisive. Une assemblée générale du piquet de protection est convoquée le 19 à 18h. Une nouvelle phase de rapport de force a commencé.

Animés par des syndicalistes, ces espaces ouverts permettent en pratique autant d’ouvrir la discussion, de prendre des décisions sur la tenue du piquet que de proposer des choses aux questions auxquelles le collectif Ecopla doit faire face. Noyau de la lutte, dont il porte collectivement toute la légitimité, le collectif est cependant incapable seul de mettre en place et de tenir seul le piquet, d’où cette situation articulée entre le collectif et les soutiens dans les AG, fait significatif et particulièrement crucial qui permet certes un échange plus ouvert et des idées ou des lectures plus distanciées proposées aux Ecopla, mais aussi une tension sur les décisions centrales, puisqu’en définitive l’AG discute et propose, et seul le collectif, en lutte pour leur emploi et pour le projet de Scop et seuls capables de « faire tourner les machines » tranche. Traditionnellement, et cela a été le cas par exemple pour les Fralib à Gémenos, le collectif en lutte qui occupe l’usine ou monte un piquet a son autonomie de décision mais aussi d’action : Ici, ce qui apparait clairement, c’est l’impossibilité numérique de cette autonomie pour les Ecopla, compensée par le soutien déterminé mais imposant aussi cette formule mixte.

Il fait nuit et froid. Le groupe électrogène permet de passer de la musique, l’organisation collective permet de boire et manger à peu près chaud. Le long de la route nationale, devant l’usine, les flammes des braseros dansent, les palabres vont bon train toute la nuit malgré le froid, et ponctuellement de nouveaux camarades arrivent ou repartent. Ces moments sont forts de sens et de vrais échanges ont lieux. Il n’y aura a déplorer qu’un incident nécessitant la mise à l’écart d’un camarade ayant franchi verbalement les limites envers une militante, et heureusement à défaut d’avoir pu prévenir ce problème une réaction collective a su y répondre.

C’est aussi parce qu’une lutte est une épreuve d’endurance, physique mais aussi mentale, et que le combat est incertain. Chaque matin les gendarmes reprennent position. Des jeunes du coin, accompagnés par des officiers plus expérimentés. Obligation de réserve, et en aparté bien sûr aucune satisfaction d’avoir a faire le « sale boulot » ; ils connaissent parfois un.e des salarié.e en lutte. et ne sont pas des supporters des délocalisations. Plus loin, au bout du champ, les « italiens » attendent. Un envoyé de Cuki-Cofresco, cadre chargé de la mission et espérant sans doute une jolie contrepartie, accompagné de manutentionnaires sous-traités, spécialisés dans le déplacement de machines industrielles, conscients ou non du jeu qu’on leur fait jouer, pas de contacts possibles, quand certain.e.s sur le piquet se mettent à rêver d’une fraternisation impossible ou de l’effet qu’aurait une alerte syndicale en Italie par-delà les montagnes et une convergence d’action internationaliste.

Une lutte, c’est aussi un constat empirique, pratique, des carences et des outils nécessaires qui ne sont pas disponibles pour débloquer une situation et prendre l’avantage. Et malgré une couverture médiatique moyenne, les rares articles de Fakir, ou des déclarations d’élus ou de politiques en soutien, plus grand monde n’est dupe sur ces leviers et leur capacité à empêcher un pillage qui sonnerait définitivement le glas du combat des Ecopla.

Nouvelle assemblée cependant, et l’on apprend la visite de François Hollande à Chambéry, à une demi-heure de route d’ici, pour inaugurer un hôpital. Possibilité de le rencontrer lui ou ses services, mais sans grabuge, et surtout sans précisions. Les Ecopla acceptent, se rendront à Chambéry, ou ils seront reçus non pas par le « président normal » mais par ses conseillers, en coup de vent, déception, pour des hommes et des femmes épuisé.e.s qui veulent croire encore aux coups de chances qui pourraient débloquer la situation, à quelques mois de la campagne présidentielle.

Le piquet tiendra bon, mais l’approche des fêtes de Noël, c’est aussi –pragmatiquement, et au-delà des déclarations chaleureuses dites à la lueur des braseros pour se maintenir le moral- le risque qu’il soit déserté et que le rapport de force s’effondre. C’est avec cette contrainte en tête qu’un nouveau rebondissement a lieu le 22 décembre : une proposition de négociation tripartite en janvier, si le piquet est levé, et que les italiens puisse regagner l’usine pour une journée, sans emporter de machines. Assemblée générale, discussions, tensions : dans le tour de parole, celles et ceux qui à très juste titre invitent à se méfier des promesses, et craignent les coups retords. Quelques positions plus fermes encore. Cette négociation est cependant une première depuis des mois, et face à la contrainte de faire tenir le piquet et à la fatigue des Ecopla qui voudraient croire à une nouvelle phase de négociation qui serait peut être la bonne, une majorité des présent.e.s considérera qu’accepter, sans être la meilleure option, est peut-être la seule option viable si les salarié.e.s en lutte pensent qu’elle a des chances d’aboutir.

De leur côté il y a l’envie d’y croire, et aussi l’épuisement, le besoin de se reposer, de passer les fêtes en familles, de prendre de la distance, de remettre les choses au clair d’ici cette perspective. Le collectif, revenant après sa délibération entre Ecopla, choisira d’accepter la négociation sous ces conditions, si l’engagement qu’aucun outil et aucune machine ne sorte est bien respecté. On crie « Ecopla vivra » quelques fois, pour se donner chaud et confiance, en espérant que ça fonctionnera.

Fakir annoncera laconiquement la nouvelle par un article intitulé « démobilisation générale », qui, s’il est plutôt juste d’un point de vue journalistique, vu d’Amiens ou d’ailleurs, a été très mal accueilli par le collectif et ses soutiens localement dans la vallée du Grésivaudan et à Grenoble, et était de fait malvenu avant les négociations. Un exemple de logiques journalistiques contraires aux logiques syndicales, et un rappel de la nécessité à bien définir les limites de chacune des deux réalités.
Le piquet sera levé le jour même, après le rangement et un dernier café chaud. Les listes d’urgences par SMS resteront actives, en cas d’urgence. Chacun.e quitte peu à peu le portail de l’usine pour rentrer, espérant en son for intérieur la réussite des négociations. Trois jours autour des braseros contre le pillage industriel se terminent, qui auront permis une nouvelle phase de la lutte et des rencontres marquantes.

Un amer dénouement sonne le glas de 5 ans de lutte

La rencontre tripartite entre les Ecopla, Cuki-Cifresco et l’État aura lieu le 10 janvier à Paris. Pas de communications sur les termes des discussions, discrétion de mise pour le collectif, qui espère avancer vers la mise en route effective d’une SCOP, avec sans doute un accord de contrepartie avec l’entreprise italienne.

Il faudra attendre le 17 mars pour que les articles de presse annoncent l’amer dénouement du cycle de négociations : Le projet de SCOP est abandonné, et le collectif dissous, Cuki-cofresco « créera » 17 emplois dans la vallée du Grésivaudan. Peu de précisions, et beaucoup d’interrogations pour celles et ceux qui se sont investis sur les piquets. Ce que nombre d’articles de presse ne disent pas, c’est que l’entreprise italienne à mis en place une seconde manœuvre de pillage en février, une razzia sur l’outil industriel qui a totalement mis les Ecopla face à un mur sordide, face à un chantage. Les termes ? Accepter la dernière offre de Cuki et « sauver des emplois », en mettant en dehors du coup les plus investi.e.s de la lutte, ou rien. Dure décision, prise sans gloire, et qui marque la fin de cinq années de lutte, et doit rappeler aussi à toutes et tous la réalité des valeurs patronales et du sens d’un arbitrage par l’État, c’est-à-dire un match truqué.

La fête prévue pour célébrer la mise en route de la SCOP ne se tiendra pas bien sûr. Mais s’il n’est pas question de célébrer une défaite, de nombreuses personnes ont exprimé depuis leur soutien aux camarades qui ont lutté avec endurance et doivent aujourd’hui se confronter à la suite. Des camarades, des « gens normaux » et pas féru de batailles, pris dans la tourmente de la casse de leur gagne-pain qui était aussi pour nombre d’entre eux un savoir-faire, et donc une fierté ouvrière.

vide industriel. Quelque part, après une délocalisation.
vide industriel. Quelque part, après une délocalisation.

L’optique autogestionnaire et l’enjeu industriel aujourd’hui

Quelques semaines après la fin de la lutte, ce texte a voulu suivre toutes ces phases et les différents aspects pour donner une vision globale et concrète de l’enchainement des évènements. Il est nécessaire également, sans suffisance ni volonté d’en parler « d’en haut », en donneur de leçon, de tirer des enseignements de cette expérience, et de les discuter largement, au sein des milieux syndicaux et politiques, mais également avec toutes celles et tous ceux qui souhaiteraient soutenir de près ou de loin ces combats. De ce fait, cinq éléments semblent à souligner par la lutte des Ecopla :

L’enjeu central d’un collectif de lutte autonome :

décisif, le collectif de travail confronté à la liquidation, son nombre mais aussi sa cohésion et sa détermination, est et doit être central. Face aux liquidations industrielles, non choisies, parfois non-anticipées, l’urgence de construire une résistance se fait avec les « moyens du bord », et les capacités disponibles. Coup de semonce, choc et rupture également vécue individuellement, chacun.e n’est pas nécessairement en mesure de pouvoir s’engager dans un combat collectif quand ce dernier s’impose. Or, sans cette outil, pas de résistance collective déjà, mais pas de projet de SCOP non plus, comme l’ont formulé les Ecopla qui ont pu entrer en contact avec des partenaires alliés pour mettre en place et la résistance syndicale et le projet en parallèle. Cela souligne justement la nécessité de salariés déjà syndiqués et d’une ou de sections syndicales opérantes préexistantes au conflit qui s’ouvre, et qui donneront dès les premiers moments de la force et des ressources au collectif, mais par une capacité d’animation collective, et l’autonomie tant stratégique que pratique au collectif.

Si ces aspects ont cruellement manqué à certains moments du combat des Ecopla, les exemples tant classique des LIP que plus récemment des Fralib, capable seuls d’occuper leur usine et de conjointement mener la lutte y compris au-delà de l’entreprise est pertinent. Une lutte de longue haleine est pesante, et les déconvenues sont d’autres coups durs qui peuvent décourager des salarié.e.s investies, ou produire des mises en retrait, confrontant le collectif à la constitution d’un noyau dur d’irréductibles de plus en plus chargé.e.s par les contraintes. Enfin, un collectif uni est capable de se donner de l’élan et d’assumer des choix qui n’auront pas la même conséquence collectivement que pour ses membres individuellement : ici, c’est la question légale qui est posée, un des enjeux clairs de la lutte Ecopla ayant été le refus de recourir à des moyens d’actions illégaux, comme l’occupation : pas de blâme ici, puisque ce choix était sans doute le meilleur à faire si collectivement la lutte n’a pas porté à cette décision, elle n’aurait pas pu être assumée, d’autant qu’en parallèle le climat de forte répression du mouvement contre la Loi travail et d’état d’urgence à sans aucun doute contribué à tempérer les velléités d’actions qui impliqueraient une intervention policière d’envergure.

Articuler les soutiens :

Dans le cas d’Ecopla, les soutiens extérieurs, toujours bienvenus dans les luttes, ont été cependant parfois des recours de substitution ou un palliatif à l’impossibilité du collectif à décider et agir de façon motrice et autonome en entrainant ces soutiens derrière lui. De plus, tous les soutiens ne sont pas identiques, et de ce fait la question de leur articulation et de la définition des limites et des légitimités est particulièrement cruciale.

Deux exemples particuliers, celui de la place du journal Fakir et de François Ruffin d’une part, et celui des assemblées générales lors du piquet de protection d’autre part. dans le premier, Fakir et Ruffin par leur mobilisation ont contribué a relayer la lutte et à la faire connaitre, en organisant notamment « la tournée des Qg », et à faire du meeting grenoblois un évènement plus massif, plus de monde se déplaçant par ses canaux et avec cette affiche que si le collectif avait lancé seule l’initiative ou seulement avec les syndicats (regrettable, certes, mais ainsi va la société communicationnelle). Cependant justement, Fakir n’est pas un syndicat et Ruffin bien qu’à la CGT SNJ n’est pas un collectif à lui tout seul ! Outre l’erreur tactique d’annoncer une occupation pour le mois suivant, voulue par Ruffin et contestée par les syndicalistes justement, il faut aussi clairement dire que ce dernier n’a pas toujours respecté les questionnements du collectif, sans pourtant être en mesure d’assurer tout ce qu’implique la défense quotidienne des salarié-e-s en question même si la bonne volonté du journaliste n’est pas à remettre en question : Amiens c’est loin de Saint-Vincent de Mercuze, et des articles/vidéos ne remplacent pas des piquets de protection : en définitive, Fakir est un excellent outil de diffusion et de mobilisation, mais cependant il tend a être perçu (et Ruffin n’y est pas étranger) comme un outil de lutte, voire un quasi-syndicat : ce n’est pas le cas et se méprendre, c’est s’exposer à des difficultés ensuite.

Deuxième exemple, sur le piquet : le collectif ne pouvant assumer seul le piquet et ayant cruellement besoin de monde, quelle place et quelle espace donner aux militant-e-s locaux ? L’organisation retenue, avec une assemblée ouverte où chacun exprime des positions entendues par le collectif qui ensuite se retire, en discute et tranche, est pertinente, mais difficile à tenir en pratique, puisqu’elle met en porte à faux la légitimité des salarié-e-s en lutte et leur autonomie et celle des soutiens se mobilisant sans être eux mêmes directement concernés par la lutte, sans connaissance de l’outil de travail, de l’adversité. Cela ne peut pas être organisé sur le modèle des collectifs d’usagers non plus, le lien n’étant pas le même. Cette contrainte vient d’une logique paradoxale : d’une part avec le morcellement des sites et des équipes la taille des collectifs se réduit et nous serons de plus en plus confrontés à ce cas de figure, d’autre part cela exprime l’attention et l’intérêt que la population porte à ces luttes et au désir de s’engager pour combattre aux côté d’autres travailleurs et travailleuses. Il faut donc réussir a trouver un équilibre, à articuler les soutiens avec le collectif.

Tribunal de commerce = tribunal patronal :

le poids du tribunal de commerce face aux luttes pour les reprises est extrêmement conséquent ; avec un code du commerce plus gros celui du travail sans que le Medef ne rue dans les brancards, cet indice seul doit nous mettre la puce à l’oreille. Le mot de « tribunal », associé pour une grande partie de la population à une indépendance, à une impartialité recouvre ici une toute autre réalité, celle d’une institution patronale maquillée. Deux éléments clés illustrent directement le problème : « Le tribunal de commerce est composé de juges non professionnels, bénévoles, choisis parmi des commerçants ou des dirigeants d’entreprises et élus par eux-mêmes » et « Le ministère public représente les intérêts de la société devant le tribunal de commerce. Il s’exprime obligatoirement dans les dossiers d’entreprises en difficulté (redressement ou liquidation judiciaire) ».

On comprend dès lors que par défense d’intérêt direct de classe rien ne viendra des juges, et que pour les mêmes raisons, aucune intervention de l’État pour un transfert de propriété n’est à attendre a priori. Si pour les collectifs en lutte maitriser les dossiers est nécessaire, tout comme élaborer une vraie tactique juridique, aucune victoire purement juridique n’est à espérer. La question est de savoir surtout comment imposer un rapport de force qui contraint les acteurs du tribunal à la prudence et à des concessions, comment sortir de l’ornière juridique ou le tribunal est juge et partie, où des patrons jugent un collectif d’ouvrier en lutte pour faire changer la propriété de leur outil de travail.

« Pour relocaliser l’industrie : Qu’elle change de mains » :

Et justement, le combat d’ecopla et son amer dénouement met à nouveau l’accent sur la question clef : la propriété privée des moyens de production. C’est avec pugnacité et coups-bas que Cuki a protégé son acquisition servie sur un plateau par le tribunal de commerce et l’état. Plus difficile à incarner avec des barquettes aluminium qu’avec des montres ou du thé, c’est pourtant bien pour défendre un projet de SCOP local et pourvoyeur d’emplois dans une région « désindustrialisée » face à une manœuvre de liquidation inique que des personnes se sont mobilisées plus largement. L’avancée dans les consciences de bons réflexes à propos d’un processus autogestionnaire est positif ; en face, les arguments s’affutent : détournement des principes de « l’économie sociale et solidaire », cadenassage juridique, etc. l’exemple d’Ecopla nous encourage à dire qu’il faut mettre en avant la perspective de reprise, le « changement de mains », quand on parle d’emplois menacés et d’enjeux industriels.

De plus, il faut parler reprise et ne pas se cantonner aux perspectives légales et législatives invoquées : une loi de préemption peut être vue comme une avancée, elle sera effectivement âprement combattue par le patronat car elle remettrait en balance l’intangible propriété, la question est toujours de savoir comment faire respecter la loi si l’intérêt tactique l’exige, et comment aller plus loin sans qu’elle se retourne en mur indépassable si la situation est différente. De ce fait, si hommage posthume il doit y avoir, plus que d’une loi Ecopla, le mouvement social et les syndicats ont avant tout besoin que la question politique de la propriété privée soit posée et qu’une plus grande partie du prolétariat reprenne conscience de son rôle central dans le processus de production. Obtenir une loi ne signifie pas transformer la réalité du rapport de force.

la question sociale et écologique accompagne la reprise de l’outil de travail :

Bien que cet aspect n’ai pas été particulièrement mis en avant, il faut souligner qu’Ecopla illustre comment d’autres enjeux liés au travail et à l’environnement gagnent à ce que soient multipliées les luttes pour les reprises. Amené polémiquement mais sans volonté de nuire, les question de PMO à propos de l’aluminium et des conséquences sanitaires et écologiques de sa production et de sa transformation sont pertinentes, et avaient été prises en compte par le collectif sans qu’il n’ait choisit cependant d’en faire un axe majeur de sa communication de lutte : en développant le matériau carton, moins cher et plus écologique, la reprise pourrait être aussi un transition écologique du produit et de son procès de production. La transition de l’aluminium vers un matériau plus écologique comme le papier n’aurait pu se faire que dans un second temps après investissement dans de nouvelles machines mais dans tous les cas aucun acteur capitaliste n’aurait accepté une telle révolution dans le mode de production pour de simples enjeux environnementaux.

A partir de cet exemple, et alors que les luttes syndicales dans l’industrie sont parfois critiquées à partir du prisme écologique et anti-technologique, nous faisons le pari que c’est en partie la lutte pour le maintien de l’emploi ou contre une liquidation qui, en ouvrant un nouvel espace, permet aussi à l’intérieur même des entreprises et des services d’enclencher des réflexions qui n’auraient jamais été évoquées par les directions ou les propriétaires, ou même les salarié-e-s eux mêmes dans la situation pré-conflit. De plus, les soutiens peuvent aussi nourrir un collectif en lutte par leurs critiques et leurs remarques, voire par leur expérience et leurs propositions concrètes pour la suite. Cette entraide au dépassement implique la reprise ; aussi, il faut pouvoir soutenir les potentialités que donne une victoire avant de vouloir juger de la suite, et réfléchir aux moyens concrets pour rendre les avancées possibles.

cc Mathieu Colloghan
cc Mathieu Colloghan

Préparer les centaines d’Ecopla à venir, pour vaincre

Derrière ces réflexions, le constat lancinant du démantèlement économique et la nécessité de luttes victorieuses comme celle des Fralib ayant mis en place SCOP-TI amène à les transformer en outils concrets pour préparer les centaines d’Ecopla à venir avec la volonté de vaincre. Renforcement des syndicats et syndicalisations dans les boites issues de la vente à la découpe, réflexes d’articulation des soutiens et des légitimités et prise en compte préventive du poids que peuvent prendre certains acteurs médiatiques ou politiques, travail de fond sur les mots d’ordres autogestionnaires et la conscience de classe, autant que sur la nécessité des luttes pour ouvrir des espaces ou des évolutions sociales et écologiques peuvent se mettre en place dans le travail et la production, voilà les pistes, non-exhaustives, à poursuivre pour les équipes syndicales révolutionnaires et les militant.e.s communistes libertaires.

Pourquoi ? Pour donner leur chance à des reprises qui, sans être la base du « monde d’après » n’en sont pas moins d’abord des luttes et des exemples potentiels qui pourront donner du courage et l’envie de dépasser le capitalisme et son monde, et de prendre nos vies, au travail comme ailleurs, en mains, aux côtés d’autres, et ensemble.

Alternative Libertaire Grenoble

 
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