Education Nationale : construire les voies d’une remobilisation




Depuis l’échec des grèves de 2003, on ne peut pas dire que les salarié-e-s de l¹Éducation nationale brillent par leur combativité. Le piteux résultat de la journée d¹action du 28 septembre en témoigne. Pour changer d’état d’esprit, il nous semble indispensable de donner des réponses à la crise de sens qui mine aujourd’hui les personnels : contre le mythe de l¹« école républicaine » émancipatrice, pour un « divorce mental » avec l’État-patron.

En cette rentrée 2006, le gouvernement poursuit une politique cohérente de casse du service public d’éducation par un laminage progressif des garanties statutaires collectives ; l’accroissement d’un volume d’emplois précaires, déqualifiés et sous-payés ; la suppression de postes statutaires d’enseignant-e-s et d’encadrement éducatif ; la caporalisation des personnels ; la dévalorisation des enseignements ; le flicage scolaire des jeunes...
Cette politique s’accompagne d’un retour à l’ordre moral et aux mesures sécuritaires. Les jeunes ne sont pas en reste : 3e de découverte professionnelle, développement de l’apprentissage, note de vie scolaire... pour les enfants des classes populaires ne rentrant pas dans le rang d’un système éducatif où le tri social tient lieu d’“ intégration ”. Et à cela s’ajoutent les collèges “ ambition réussite ”, où l’on déshabille Pierre pour habiller Jacques.
Le service public est soumis à toutes les attaques tandis que l’école privée continue d’être généreusement arrosée d’argent public, participant de la casse de la carte scolaire...

Des grèves de 24 h qui essoufflent et s’essoufflent
Avec près d’un tiers de grévistes à l’échelle nationale, le 28 septembre n’a pas été un franc succès. Pourtant les raisons de faire grève ne manquent pas et on a pu remarquer d’ailleurs des taux de grévistes plus forts qu’à l’accoutumée chez les enseignant-e-s de l’enseignement professionnel et adapté/spécialisé. Mais il faut dire que la stratégie comme les mots d’ordre de l’interfédérale [1] convainquent de moins en moins les personnels de l’Éducation nationale. Si certain-e-s s’en réjouissent, et notamment une certaine “ ultra-gauche ” syndicale [2] , mêlant leurs voix à celles du ministère, cette désaffection des enseignant-e-s envers les grèves de 24 h ne se traduit pas pour autant par une implication dans une vraie stratégie de mobilisation offensive.

Cependant, on ne pourra pas éluder plus longtemps les raisons du recul de la mobilisation enseignante depuis 2003 sauf à se condamner d’emblée à une défaite totale.
Les conceptions et stratégies du syndicalisme majoritaire (la FSU) ou de la FERC-CGT sont encore dominées par une logique d’interpellation des pouvoirs publics, de l’opinion publique, une logique où la convocation rituelle de grèves carrées de 24 h a pour objectif d’obtenir l’ouverture de négociations. C’est un authentique réformisme syndical. À ceci près que le contexte historique a changé : nous ne sommes plus dans une période où l’État donnait du grain à moudre aux syndicats en échange d’un consensus sur le modèle économique et social. Bref, l’État-providence, c’est fini, et avec lui cet espace illusoire d’obtention d’améliorations grâce à l’action de syndicats enseignants capables de mobiliser “ leurs ” troupes.

Le réformisme syndical et politique mène les salarié-e-s de défaites en défaites, laissant sur le carreau de nombreux-ses collègues, et écœurant de l’action collective les plus combatif-ve-s. Dans l’Éducation nationale, il surfe sur un virage de plus en plus conservateur d’une partie des profs dont leur sympathie pour une gauche soit-disante progressiste (incarnée par Ségolène Royal) sert de cache-sexe à leur inclination pour des solutions réactionnaires.

Le syndicalisme de luttes et de transformation sociale dont se revendique Sud-Éducation progresse mais faiblement et n’est pas encore à même de peser suffisamment pour fédérer significativement les personnels.

Les forces pour une alternative fondée sur les luttes et un projet éducatif émancipateur existent aussi dans de nombreux autres syndicats, souvent à l’échelle départementale, dans la CGT et la FSU, mais aussi chez de nombreux-ses collègues non syndiqué-e-s, disponibles pour des actions plus fortes, maîtrisées par les salarié-e-s eux/elles-mêmes. En ce sens, il faut reposer la question dans les syndicats enseignants d’une stratégie d’unité d’action intersyndicale qui appuie une logique d’auto-organisation des personnels. Et cela sur la base d’une lutte déterminée tant au niveau des moyens d’action que des contenus revendicatifs.

Cette logique implique qu’elle se fasse sans exclusives ni anathèmes d’aucune sorte. Les pratiques et le contenu d’une telle démarche doivent primer sur toute autre considération. On ne peut pas se contenter de l’éparpillement des forces de lutte comme on ne peut pas non plus faire l’impasse sur une analyse lucide de la politique des directions syndicales réformistes.

Stratégie, revendications, projet de société

Une remobilisation des personnels implique non seulement de poser ces questions dans les syndicats, mais aussi de faire un travail de fond en direction des enseignant-e-s tant au niveau de la perception de leur identité professionnelle et de leurs rapports à l’État employeur que du contenu politique des revendications à porter.

En effet, les grèves de 2003 ont montré qu’une partie significative des enseignant-e-s se vivait comme des “ missionnaires ”, ayant un statut intangible, et ne se représentant pas toujours leur statut de salarié-e-s face à l’État-patron. Leurs élèves, leur travail de prof avant tout, voilà entre autres ce qui en a bloqué plus d’un pour se lancer dans le boycott du bac. Il y a un lien entre ces comportements et la crise de sens que les enseignant-e-s vivent dans leur métier. Crise de sens alimentée par la croyance illusoire que l’élévation du niveau culturel de la population produirait mécaniquement une élévation sociale pour les enfants de la démocratisation scolaire. Crise de sens du métier d’enseignant-e qui se double d’une crise de la démocratie représentative à laquelle les enseignant-e-s adhèrent en majorité. Il faut, de ce point de vue-là, reposer la question du projet de société, se placer résolument dans la perspective d’une éducation au service de la construction d’une société égalitaire, d’une république sociale, de type libertaire dans ses modes de représentation politique comme dans les modalités de décision. Bref, il y a nécessité d’une boussole politique qui arme les enseignant-e-s dans leur conduite à tenir à l’égard des différentes réformes de l’Éducation nationale, à l’égard de l’État-employeur, avec lequel il nous faut favoriser un véritable “ divorce mental ”. Ne pas engager le débat sur le sens des missions des profs place les réactionnaires de tous poils en situation d’offensive.

De même, le contenu politique des revendications ne doit pas être laissé de côté. Il s’agit de montrer qu’il y a un lien logique entre le remodelage libéral de la formation initiale et continue et la précarisation des contrats de travail, et par voie de conséquence leur déqualification. C’est dans ce sens qu’il faut s’adresser aux parents d’élèves, aux salarié-e-s du public et du privé, à la jeunesse. Il faut en finir avec l’idée - que gouvernements et patronat ont imposée - selon laquelle les jeunes ne trouvent pas de travail à cause de l’école. Pourquoi ne demande-t-on jamais de comptes aux patrons qui licencient, qui précarisent, qui délocalisent ? Pourquoi ne met-on pas en cause le capitalisme qui demande toujours plus de productivité à une partie de salarié-e-s toujours plus restreinte ?!

Il ne peut y avoir d’école égalitaire sans un changement radical de société. L’égalité des chances, concept si cher aux libéraux et bien ancré dans la société n’est qu’un leurre dès lors qu’il n’y a pas au départ d’égalité de situation sociale. Un militantisme uniquement axé sur une démarche pédagogique comme solution aux inégalités scolaires est de ce fait voué à l’échec. Derrière un vocabulaire aux accents libertaires (responsabilité, autonomie...), les libéraux ont réussi à faire porter l’essentiel des difficultés scolaires des jeunes sur leurs propres choix personnels, sur leurs familles, etc. Par voie de conséquence, une mauvaise orientation (qui conduit au chômage, CQFD !) serait la faute des jeunes et de leurs familles. L’organisation de la société capitaliste n’est jamais questionnée.

Faire le choix de l’interprofessionnel au quotidien

Enfin, le développement de pratiques interprofessionnelles doit être au cœur d’une stratégie de remobilisation. Il faut en finir avec un syndicalisme étroitement enseignant dans ses modes d’organisation et d’action. Mais une logique de mouvement interprofessionnel ne se décrète pas, elle doit pouvoir se construire au quotidien comme partie intégrante de la vie syndicale, de l’analyse de l’offensive libérale contre le service public. Cela veut dire entre autres, qu’au-delà de favoriser un engagement dans le syndicalisme interprofessionnel, il nous faut construire des initiatives qui permettent la rencontre des enseignant-e-s avec les autres salarié-e-s syndiqué-e-s. Par exemple, lors du grand débat pipé lancé par Ferry sur l’école après 2003, certaines UD CGT, sur proposition de certaines sections de la CGT-Éduc’action, avaient organisé des débats mêlant profs, salarié-e-s du privé et du public de la CGT. Le besoin d’organisations interprofessionnelles apparaît souvent et malheureusement seulement dans les mouvements sociaux d’ensemble (1995, 2003, 2006), mais il est souvent trop tard pour inverser un rapport de force globalement défavorable au monde du travail.

Si l’échec de 2003 pèse encore dans les esprits comme dans les porte-feuilles de nombreux-ses enseignant-e-s, il nous faut prendre appui sur la formidable leçon de détermination dans la lutte collective que la jeunesse a expérimenté lors du mouvement anti-CPE. Si ce mouvement peut nous aider à montrer aux collègues :

 que la lutte collective paie quand celles et ceux qui sont en mouvement allient des formes d’actions directes (occupations, blocages...) à des journées de démonstration de force massive, et cela dans la durée en interpelant l’ensemble des travailleur-se-s ;
 qu’un mouvement social prend de l’ampleur quand celles et ceux qui luttent ne s’interdisent pas de sortir d’une légalité qui ne profite en définitive qu’aux puissants.
Il ne saurait pourtant masquer que seul le CPE fut retiré et rappeler qu’une grève générale des salarié-e-s aurait été un élément décisif pour le retrait des autres mesures et dans la conquête de nouvelles protections collectives.
Dans l’Éducation nationale comme ailleurs, la préparation d’une grève générale reste pour nous une des meilleures armes dont les salarié-e-s disposent pour contrer efficacement le capital. Elle ne se clame pas uniquement dans les manifs ou dans les tracts, elle se prépare sans attendre la bénédiction de directions syndicales qui ne l’ont du reste jamais souhaitée. Elle se veut un moyen de défense globale du monde du travail face à des attaques globales. Elle se veut aussi un moyen de transformation sociale, montrant dans les faits, à l’ensemble des salarié-e-s, qu’il est possible d’arracher directement des améliorations sociales sans passer par d’illusoires joutes électorales qui sèment la division et le désenchantement.

Des enseignant-e-s d’AL

[1L’interfédérale de l’Éducation nationale regroupait les fédérations syndicales FSU, SGEN-CFDT, UNSA-Éducation, FERC-CGT, FAEN. Le SNLC-FO appelait séparément et la fédération Sud-Éducation est depuis sa création exclue de ces intersyndicales nationales.

[2Voir les positions de certains syndicats départementaux notamment mais aussi les commentaires aigris de profs (souvent non-syndiqué-e-s) qui furent pourtant, dans les grèves de 2003, des animateurs-trices de la lutte dans leurs établissements.

 
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