Entretien avec Patrick Vassort « Jeux olympiques : faire plier les populations »




Patrick Vassort est maitre de conférences à la faculté de sociologie de l’université de Caen. Il s’inscrit dans le courant de la critique radicale du sport qu’il envisage non pas comme un reflet de la compétition inhérente au capitalisme mais comme matrice même de ce dernier. Le sport, lieu absurde de la lutte de tous contre tous, serait un modèle permettant de développer le capitalisme en tant que système compétitif intégral et total.

AL : Certains militants libertaires parlent du sport comme pouvant servir d’apprentissage ludique à des pratiques libérées du pouvoir et de la hiérarchie et ayant des valeurs communes avec le socialisme libertaire tel que recevoir, donner, rendre. Est-ce que tout est à jeter dans le sport collectif ?

Patrick Vassort : Dans certaines pratiques, certains peuvent arriver à se sortir de l’impérieuse commande d’abattre l’autre. Cela n’en reste pas moins des exceptions et le sport collectif reste cette catégorie institutionnalisée de lutte et de compétition : lutte de tous contre tous, recherche perpétuelle du champion, du record et de la meilleure performance. Il n’y a donc aucune raison de croire que le sport puisse permettre l’épanouissement, l’échange ou une quelconque éducation. On n’y apprend en rien à regarder l’homme et à respecter son altérité.
Lors d’un précédent ouvrage [1], vous aviez présenté la Coupe du monde de football en Afrique du Sud comme une militarisation de l’espace, une occidentalisation forcée de l’économie et le pillage des fonds publiques au profit des grandes sociétés capitalistes.

Les Jeux olympiques (JO) d’Athènes auraient participé à l’effondrement de la Grèce ?

L’Etat grec a attribué un budget pour l’organisation des JO équivalent à 10 % du PIB annuel, à une période où le pays était déjà en difficulté. Ça n’a évidemment rien arrangé. Le pire, c’est qu’après les investissements lourds pour construire stades et piscines, il faut continuer d’investir pour maintenir ces installations en état. Ce sont par ailleurs des installations qui ne rapportent pas d’argent, des lieux vides où il n’y a que très peu de population et donc personne pour les utiliser. D’un déficit moyen de 3 %, l’Etat est très vite passé à 7 %. Il n’y avait plus aucun moyen de compenser ces investissements colossaux. Rappelons que Montréal a mis trente ans pour rembourser les JO de 1976.

Quel intérêt pour les Etats, dans ce cas, d’organiser les JO dans leur pays ?

D’abord, un intérêt immédiat pour les hommes politiques : Chirac et Jospin n’ont jamais été aussi populaires que pendant la Coupe du monde de 98. En parlant de Zizou, ils avaient immédiatement 70 % d’opinions favorables. Ensuite, il y a des intérêts cachés. Sarkozy, défendant la candidature de la France pour la Coupe d’Europe de 2016, confiait qu’en période de crise, le football était par excellence le sport qui permettait le rassemblement. Il nous dit en réalité que lorsque les gens en bavent, il faut du spectacle et que le spectacle de la nation vaut mieux que le spectacle de la culture : quand tout va mal et que la société est prête à exploser pour des raisons économiques et politiques, on peut encore faire croire en son existence par l’intermédiaire d’un stade, d’un coq et d’un maillot bleu. Enfin, il y a un transfert des finances publiques vers les finances privées. Il y a tout de même peu de grands chantiers qui ont autant l’approbation des populations et des hommes politiques et on sait que le BTP est l’outil idéal pour détourner des finances et pour remplir les caisses des partis politiques dominants. Les stades sont toujours des projets évalués en dessous de la réalité et qui en viennent à couter deux à trois fois le coût initial. Cela permet de détourner la légalité de l’appel d’offre en attribuant le marché à un ami qui saura ensuite se montrer généreux. Le Stade de France (SDF) en est l’exemple. On clame que son budget est en équilibre, ce qui est totalement faux. Le consortium qui gère le SDF – Bouygues et Dumez – a passé un contrat : tant qu’il n’y a pas de club résidant, l’Etat s’engage à payer la différence en cas de déficit. Donc les comptes sont toujours équilibrés, mais chaque année depuis 1998, les contribuables payent à Bouygues et Dumez.

Y a-t-il, pour les Etats qui accueillent les JO, des intérêts en termes d’aménagement du territoire afin de faire venir des investisseurs et favoriser la croissance ?

Reprenons le SDF, il y a bien des sièges sociaux qui se sont installés
autour, mais l’espace n’appartient plus aux dionysiens. A aucun moment, ces événements ne servent la population. Le Brésil organise la Coupe du monde en 2014 et les JO en 2016. La Fifa et le CIO ont demandé à l’Etat de nettoyer autour des stades. On estime à 1,2 millions le nombre de familles déplacées : entre 6 et 10 millions de personnes. Il faut aller très vite, donc l’armée et la police sont parties prenantes. Les familles concernées reçoivent une lettre les sommant de quitter les lieux dans les meilleurs délais, ce dont elles sont incapables. Viennent ensuite les hélicoptères et les forces de l’ordre qui les déplacent de force et les installent 60 kilomètres plus loin. Dans ces favelas où l’on constatait des trafics de drogue, l’Etat a laissé toutes ces années la population se débrouiller avec les trafiquants. Maintenant, on envoie l’armée pour nettoyer et on y arrive, à des coûts absolument ahurissants bien évidemment.

Mais l’Etat espère bien en contrepartie un afflux massif de touristes et de spectateurs prêt à dépenser leur argent dans les commerces locaux ?

On peut imaginer un peu de gain pour certains commerces. Mais cela n’a évidemment jamais permis d’arriver à la hauteur des investissements publics – étatiques ou locaux d’ailleurs : en 1998, Saint Etienne et Toulouse ont dépensé tous leurs budgets, y compris culturels au point de ne même plus pouvoir organiser cette année-là la fête de la musique ! Il y a très peu d’emplois créés et principalement précaires. Beaucoup de bénévoles en revanche : guides, stadiers…

Cela ne crée pas de richesse. Les impacts économiques positifs de ces événements relèvent du pur fantasme. A Londres, les JO vont s’organiser dans le quartier Est de la ville, le plus pauvre. Les industriels ne voulaient plus s’y installer. Ikea a pu y acheter un terrain au quart de sa valeur, profitant des réaménagements opérés en vue des JO, pour reconstruire un quartier neuf qui n’est bien entendu plus du tout à la portée de ceux qui y habitaient.

Et pour donner un symbole ahurissant, la société Arcelor Mittal a offert en cadeau, à la commune de Londres, une tour de 115 mètres à 21 millions d’euros, alors qu’elle licencie en France. Un cadeau pour remercier d’avoir récupérer une partie des marchés de fournitures pour les JO. Il n’y a pas de grandes compétitions internationales qui ont été économiquement efficaces. Pour préparer les JO d’hiver de 2014, Poutine a détruit le village de Sotchi pour « l’aménager » et a fait déplacer l’ensemble de sa population dans des cités dortoirs. Le même scénario se répète partout : récupérer du terrain, transférer les fonds publics et faire plier les populations économiquement et politiquement.

Propos recueilli par François Molinier (AL Paris Nord-Est)

[1Patrick Vassort, Footafric, Coupe du Monde, capitalisme et néocolonialisme, l’Echappée, 2010

 
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