États-Unis : Une victoire nommée Lilly Ledbetter




Aux États-Unis, Lilly Ledbetter est devenue l’icône de la lutte pour l’égalité des salaires hommes-femmes. Avec le soutien des syndicats et des associations féministes, sa détermination a permis de renverser un jugement de la Cour suprême injuste, et de permettre une nouvelle avancée dans la lutte contre l’ensemble des discriminations.

Lilly Ledbetter, retraitée, maintenant âgée de 70 ans, a travaillé comme superviseure de nuit à l’usine de pneus Goodyear de l’Alabama à partir de 1979. Elle occupait les mêmes fonctions que 16 autres employés, tous des hommes. Au fil des ans, les écarts de salaires ont pris des proportions atteignant jusqu’à 40 %. Après vingt ans de carrière, Lilly Ledbetter percevait 3 727 dollars par mois, alors que les employés masculins recevaient des salaires allant de 4 286 à 5 236 dollars pour un travail identique. En conséquence, elle est aujourd’hui perdante au niveau de sa retraite Goodyear et de la protection sociale. Pendant des années, Lilly, mère de famille, a aussi été victime de harcèlement et de discrimination parce qu’elle était une femme dans un milieu à prédominance masculine.

Dix ans de procédures

À sa retraite, en 1998, elle porte plainte devant la Commission pour l’égalité des chances dans l’emploi (Equal Employment Opportunity Commission, EEOC), qui la soutient. Elle gravit un à un les échelons de la justice jusqu’aux portes de la Cour suprême en mai 2007.

En 1998, Lilly commence par déposer une plainte au tribunal de Birmingham, Alabama, où le jury lui accorde une compensation de trois millions de dollars, que le juge s’empresse de réduire à 360 000 dollars en prétextant du temps écoulé entre le versement des salaires et le dépôt de la plainte. Goodyear affirme alors qu’il n’y a pas de preuve de discrimination, que le salaire de Lilly était comparable à ceux des autres travailleurs en fonction de leurs « performances » (!) et fait appel. La cour d’appel annule alors le verdict, considérant que Lilly avait dépassé un délai de prescription de six mois après son premier bulletin de salaire.
Pourtant, le Civil Rights Act de 1964, titre VII, ne spécifie pas que le délai pour porter plainte doive commencer après le premier bulletin de salaire. Cette décision est alors exploitée par la Cour suprême, contre d’autres plaintes. La Cour suprême estime que Lilly aurait dû signifier sa plainte dans les 180 jours suivant son premier chèque de paye. Peu lui importe de savoir s’il lui était ou non possible de savoir qu’elle était moins bien payée. Ce délai de six mois sera valable pour toute plainte en discrimination.

Bush menace d’un veto

George W. Bush, qui avait menacé d’user de son droit de veto si la Cour suprême donnait raison à Lilly Ledbetter, est ravi. Ce jugement empêchera « un flot de plaintes en justice », selon l’expression honteuse de la Chambre de commerce américaine, sorte de Medef états-unien qui soutient d’ailleurs Wal-Mart à coup de millions de dollars dans un procès anti-discrimination qui l’oppose à deux millions de femmes [1].

Une seule juge est en désaccord avec la Cour suprême : Ruth Bader Ginsberg. Elle accuse alors la majorité des juges d’ignorer l’ordinaire de la discrimination salariale. Il n’y a pas de divulgation du montant des salaires sur les lieux de travail. Donc fixer un délai de prescription de six mois ne correspond à aucune réalité. De plus, la juge note qu’une faible différence initiale de salaire peut prendre des proportions exponentielles si les augmentations sont ensuite calculées tout au long de la carrière en pourcentage du salaire de base. Ce qui s’est effectivement produit dans le cas de Lilly. La juge renvoie alors la balle dans le camp du Congrès, en l’invitant à renverser cette décision, comme il l’avait fait en 1991 avec les jugements de la Cour suprême sur les droits civiques. Le congrès refuse en avril 2008.

Mobilisation féministe

La situation provoque la colère chez les féministes et les associations luttant contre la discrimination sexiste ou raciste sur les lieux de travail. Suite au jugement de la Cour suprême ce sont 40 000 plaintes déposées entre 2000 et 2006 pour discrimination salariale qui risquent d’être déboutées.

Pendant la campagne présidentielle, l’affaire Lilly Ledbetter trace une ligne de démarcation sur la discrimination salariale. Lilly Ledbetter devient une icône pour les démocrates, l’équivalent de « Joe le plombier » pour les républicains, John McCain et Sarah Palin, qui s’opposent à toute révision du jugement de la Cour suprême.

Après l’élection d’Obama, la Chambre vote le Lilly Ledbetter Fair Pay Act permettant aux femmes de revendiquer l’égalité salariale. Désormais la possibilité de plainte se renouvelle automatiquement à chaque nouveau chèque estimé discriminatoire, ce qui renforce l’intention du Civil Rights Act de 1964. La loi prend en compte les discriminations salariales et les récompenses (retraite, couverture santé) et concerne sexe, religion, âge, handicap et origines ethniques. Dans cette période de crise économique, de nombreux procès pour discrimination sont en attente contre de grandes entreprises comme Dell. En 2008, 15 % de plaintes supplémentaires ont été déposées.

Un droit acquis pour toutes et tous

Le parcours de Lilly Ledbetter a permis une prise de conscience. Obama a depuis signé une autre loi, encore plus significative, le Paycheck Fairness Act qui n’exige pas la preuve de l’intentionnalité de discrimination et élimine tout barème des dommages et intérêts. Le gouvernement a également promis la parité des salaires, en gelant les salaires des hommes et en augmentant les salaires des femmes.

Des associations féministes ont élaboré récemment une « plateforme
pour le progrès », demandant la révision de la législation antidiscriminatoire et portant de nombreuses revendications : garantie de paiement des heures supplémentaires, application de la parité des salaires pour les temps partiels, droit aux congés médicaux, etc. Car ce n’est qu’avec une mobilisation de grande ampleur que les droits nouveaux seront conquis !

Yvonne (AL 93)

[1À ce sujet, lire « Travailleuses et citoyens contre Wal-Mart » dans Alternative Libertaire de février 2008

 
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