Europe : Un carcan nommé Otan




Malgré l’enlisement en Irak et en Afghanistan et en dépit de la persistance de problèmes dans les Balkans, les Etats-Unis, sous couvert de l’Otan, continuent à militariser l’Europe. Au programme : surveillance hypertechnologique, construction de murs aux frontières de l’Europe, lutte militaire contre l’immigration…
Aucune opposition de la part des moutons gouvernementaux. Mais dans plusieurs pays, la résistance populaire s’organise.

Depuis la fin du bloc soviétique, l’Organisation du traité de l’atlantique nord (Otan) n’arrête pas de se transformer à la recherche de nouvelles raisons d’exister. En utilisant le prétexte du terrorisme ou sous couvert d’action humanitaire, elle essaye de se reconvertir en bras armé des intérêts des pays occidentaux partout sur la planète.

Cette quête existentielle a été au cœur du sommet informel qui s’est tenu à Séville les 8 et 9 février. Le premier jour, les ministres de la défense des 26 pays membres de l’Otan ont parlé des opérations en cours au Kosovo et en Afghanistan. Le second a été consacré à la mise en place d’une force d’intervention rapide et au bouclier antimissile que les États-Unis veulent imposer en Europe. Pour finir, les ministres ont rencontré leurs homologues d’Algérie, d’Égypte, d’Israël, de Jordanie, de Mauritanie, du Maroc et de Tunisie dans le cadre du “ Dialogue méditerranéen ”. A ce sujet, le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer a déclaré : “ Des réunions comme celles d’aujourd’hui vont devenir un élément régulier de nos consultations. Nous renforçons par ailleurs notre coopération pratique, que ce soit par des contributions des pays du Dialogue méditerranéen à l’opération maritime Active Endeavour de lutte contre le terrorisme menée par l’Otan, ou par des activités spécifiques en matière d’interopérabilité et de modernisation des forces armées. ”

Divergences sur le bouclier antimissile, tensions avec la Russie, problèmes non résolus au Kosovo, enlisement en Afghanistan, cette transformation ne se fait pas sans difficultés, dont on peut se réjouir, mais qui ne suffiront pas à envoyer l’Otan et les politiques militaristes dans les poubelles de l’histoire.

Pour contrecarrer les plans des états-majors, rien ne pourra remplacer la résistance populaire de masse dont le besoin devient pressant. C’est sur cette voie que s’engage l’Espagne où le puissant mouvement anti-Otan des années 1980 est en plein renouveau. Il bénéficie de la dynamique créée par l’opposition au projet de l’alliance atlantique de construire à Saragosse le centre de commandement du système Alliance ground surveillance (AGS).

Alimenté à la fois par le ras-le-bol local (un tiers du territoire communal de Saragosse est déjà occupé par des installations militaires, dont un champ de tir et un terrain de manœuvre) et par l’opposition globale au militarisme des puissances occidentales, le mouvement a remporté un premier succès le 21 janvier. Ce jour-là, 25 000 personnes ont manifesté à Saragosse contre le projet à l’appel d’une large coalition comprenant, entre autres, les anarcho-syndicalistes de la CGT et de la CNT, l’alliance de gauche Izquierda Unida, les antimilitaristes d’Alternativa Antimilitarista-MOC. Le sommet de l’Otan qui a suivi a été l’occasion de maintenir la pression. Malgré les intimidations policières, les rues de Séville ont vu défiler un millier de manifestant-e-s le 28 janvier, 5 000 le 4 février et encore 3 000 le 8 pour l’ouverture du sommet.

L’AGS : soumission aux Etats-Unis

Le programme AGS qui alimente la lutte est un condensé des transformations engagées par l’Otan. A la base c’est un système de gestion du champ de bataille qui permettra de suivre les mouvements des troupes au sol et de donner les informations nécessaires pour prendre des décisions très rapidement. Il s’inscrit dans une logique de corps expéditionnaire, que les militaires nomment, dans leur jargon, la “ projection de force ”. Son fonctionnement repose sur des avions et des drones équipés de radars d’observation terrestre, complétés au sol par des stations fixes et mobiles chargées de l’exploitation et de la distribution des données collectées, le tout communiquant par satellite.
Mais l’AGS a d’autres applications qui élargiront les champs d’intervention de l’Otan et de ses membres, car chacun d’eux pourra utiliser l’AGS pour ses besoins propres. L’union européenne disposera aussi d’un outil précieux dans sa quête d’une politique militaire commune, mais restera sous le contrôle des États-Unis, leaders incontestés de l’alliance.

L’AGS pourra remplir de nombreuses missions telles que les opérations de restauration et de maintien de la “ paix ” dans une zone en conflit ; l’imposition de sanctions et d’embargos à des “ pays voyous ” ; la fourniture des données nécessaires à la vérification des traités et au contrôle des armes, en particulier des armes de destruction de masse. Le tout est placé sous le patronage du, forcément vertueux, droit international, de la paix et de la démocratie. Bref le traditionnel habillage des rapports de forces internationaux favorables aux puissances dominantes, aux premiers rangs desquelles se trouvent des pays membres de l’Otan.

Vers une militarisation de la lutte contre l’immigration

Le système servira également à lutter contre le terrorisme, le crime organisé et l’immigration illégale. Une fois de plus, l’amalgame entre l’immigration et le terrorisme ou la criminalité est utilisé pour stigmatiser les personnes qui fuient la misère et pour justifier une escalade répressive toujours plus inquiétante. En se dotant de cet outil, la forteresse Europe fait le choix de suivre le chemin déjà tracé par les États-Unis à sa frontière avec le Mexique : blinder les frontières qui séparent les pays riches des pays pauvres, au moyen de murs physiques et électroniques, baptisés barrière ou clôture de sécurité. Il viendra renforcer les dispositifs déjà existant comme le Système intégré de surveillance extérieure qui vise à dissuader les migrant-e-s d’entrer en Europe par l’Espagne.

Cela va de pair avec une implication croissante des forces armées dans la gestion des flux migratoires. La force navale Active Endeavour, créée après le 11 septembre 2001 pour lutter contre le terrorisme en Méditerranée, a vu ses missions s’accroître au cours des années. Aujourd’hui, elle combat aussi l’immigration illégale.

Le développement de l’AGS montre la direction que prend le “ Dialogue méditerranéen ” voulu par l’Otan, car son fonctionnement impliquera certainement les États d’Afrique du Nord. Le système détectera les passages de migrant-e-s et les forces répressives locales seront chargées de les intercepter, de les mettre dans des camps puis de les expulser, le tout avec une aide financière de l’union européenne. Les navires d’Active Endeavour traqueront celles et ceux qui passeront entre les mailles du filet.

Comme on le voit le mouvement contre l’implantation du centre nerveux de l’AGS à Séville a une importance qui dépasse largement le cadre du pays. Il est urgent de s’engager dans cette lutte aux côtés des Espagnol-e-s, de tisser des liens avec les Tchèques et les Polonais qui résistent à l’implantation de missiles anti-missiles dans leurs pays, de soutenir les Italiens et les italiennes, qui refusent la construction d’une base étasunienne à Vicence, d’œuvrer à la convergence de ces luttes dans un front international contre le militarisme. Dans cette perspective, la mobilisation en juin contre le sommet du G8 qui se tiendra à Rostock en Allemagne est une occasion à ne pas manquer.

Hervé (AL Marseille)

 
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