Extrême droite : Ravalement de façade au FN




Depuis 30 ans l’extrême droite voit ses thèses se banaliser dans les discours politiques et dans les médias. Pas étonnant que dans les sondages le FN cartonne. Si les groupuscules d’extrême-droite font beaucoup parler d’eux sur la toile et par leurs violences le FN conserve sa centralité. Une seule et même solution, ne pas se désespérer et agir pour un antifascisme révolutionnaire.

Le 13 octobre dernier, le frontiste Laurent Lopez a été élu conseiller général, lors de la cantonale partielle à Brignoles, avec 53,9 % des suffrages. Arrivé en tête au 1er tour avec 40 % des voix, il avait largement bénéficié de l’abstention (67 %) et n’avait pas progressé en nombre de voix par rapport aux scrutins précédents. Avec 5301 voix au second tour, soit près du double de ce qu’il avait obtenu la semaine précédente (et une abstention de 55 %), le FN peut communiquer sur son succès.

La cantonale de Brignoles n’était qu’une élection partielle, dans une situation électorale locale particulière, et ne peut présager de ce que seront les élections municipales et européennes de 2014. Mais l’effondrement électoral de la gauche de gouvernement et le niveau élevé de l’abstention ne sont des «  surprises  » que par leur ampleur. Que l’électorat «  de gauche  » ne se soit pas mobilisé après un an et demi de politiques dans la lignée du précédent gouvernement n’est pourtant pas étonnant  : les reniements, les scandales politico-financiers, les mesures antisociales ne sont généralement pas les meilleurs agents électoraux. Dans ce contexte, le FN a beau jeu d’incarner le changement, voire la révolte.

Le discours caméléon du FN

Plus que son programme qui aurait fondamentalement changé, c’est bien le discours du FN qui a évolué, mais surtout qui s’adapte en fonction du lieu, du moment et du public. Finies les diatribes ultralibérales tenues par Le Pen père, place au nationalisme économique et à la «  sortie de l’euro  », solution miracle qui évite de pointer les responsables et les politiques capitalistes. Mais si le public change, ou quand les caméras s’éloignent, les vieux réflexes prennent le dessus, et c’est à nouveau la charge contre les syndicats, les assisté-e-s, et surtout les immigré-e-s  : même rebaptisée pour moins effrayer «  priorité nationale  », la «  préférence nationale  » reste la base du programme frontiste.

S’il a fait une priorité de s’implanter chez les ouvriers et employés, et dans les zones rurales, l’appareil du FN reste à ce jour aux mains des petits commerçants et des professions libérales. Et l’un des thèmes de son université d’été était clair «  liberté de produire et de consommer  ». Pas étonnant pour séduire aussi l’électorat de l’UMP qui semble de plus en plus majoritairement tenté par des alliances avec le FN.

Groupuscules et liens avec le FN

Le quotidien national-catholique Présent, qu’on avait connu plus critiques avec le FN version Marine Le Pen, ouvre ses colonnes aux dirigeants du FN et multiplies les articles complaisants. Riposte Laïque braille sur toutes ses pages que seul le FN peut s’opposer à l’islamo-gauchisme, même s’ils regrettent le refus d’une alliance officielle avec les Identitaires  [1]. Les Identitaires, eux, ne cachent pas leur volonté d’infiltrer le Rassemblement bleu Marine en vue des élections municipales, mais c’est Gollnisch qu’ils invitent dans leur local lyonnais pour une conférence.

Bien sûr, le FN n’est pas assez antisémite pour intéresser publiquement aujourd’hui la bande Soral/Dieudonné, et leur nouvel ami Ayoub et ses néo-nazis. La présence de «  sionistes  », de francs-maçons et «  d’invertis  » dans l’entourage de la chef du FN fait s’étrangler le Parti de la France de Carl Lang  [2], Gabriac et Bennedeti préférant eux rêver tout haut d’une Aube dorée française.

Quarante ans après sa création, le Front national redevient le centre de gravité de l’extrême droite française, à partir duquel chacun des différents courants et organisations doit se situer, en l’infiltrant, l’influençant ou en tentant de le dépasser [3]. Plus grave, il semble devenir aussi le centre de la vie politique française dans son ensemble, en imposant aux autres forces politiques les sujets de débats, et l’ange sous lesquels les aborder.

Et ce phénomène ne se limite pas à la France, dans un contexte européen de poussée nationaliste et raciste  : les mêmes politiques d’austérité produisent les mêmes effets, l’extrême droite a le vent en poupe  [4].

Le FN : seule la forme change, pas le fond

Le FN tente, une nouvelle fois, de dévier le débat médiatique sur ce terrain, c’est sa stratégie depuis longtemps. Pourtant, ces derniers mois, l’extrême droite est redevenue un sujet porteur dans les médias. Non pas pour dénoncer la collusion de la droite et de l’extrême droite dans les manifestations contre le droit au mariage pour tous, non pas pour lister les agressions commises par les groupuscules fascistes, non pas pour remarquer que certains propos du ministre de l’Intérieur auraient pu sans souci être tenus par des cadres du FN… non, inviter un responsable frontiste ou faire la une d’un magazine avec la photo de Marine Le Pen, un nouveau sondage spectaculaire ou une question bien pourrie sur les roms ou l’Islam assure, dans le climat actuel, un succès d’audience. Mais rendre les «  grands médias  » seuls coupables du climat nauséabond actuel serait idiot. Si leur responsabilité doit être pointée, se contenter de cela n’aurait pas de sens, et surtout, ne serait d’aucune utilité pratique.

Ne pas se laisser paralyser

Sous-estimer la diffusion des thèses de l’extrême droite dans la société, la banalisation et la reprise de son vocabulaire et de ses idées par une part toujours plus grande de la classe politique, l’utilisation et l’occupation d’internet et des réseaux sociaux par ses différents courants, ses tentatives d’occuper la rue et sa possibilité de succès électoraux serait une erreur tragique. Mais ce constat ne doit pas être paralysant. L’extrême droite n’est pas (encore) aux portes du pouvoir et ne fait pas encore la loi sur les trottoirs [5], il est encore temps d’agir, sur tous les fronts. Parce que ce sont la misère, la désespérance et les régressions sociales qui font le jeu de l’extrême droite, la lutte contre les politiques menées par les différents gouvernements au service des patrons, des actionnaires et des banquiers doit recréer des solidarités concrètes et permettre d’imposer d’autres choix de société. Cela s’articule au nécessaire combat antifasciste, unitaire mais sans concession sur le fond et la forme. En France et en Europe, des ripostes s’organisent. Il n’est pas trop tard pour faire reculer les fascistes et leurs idées !

Volfoni (AL Montreuil)

[1Philippe Vardon, chef des Identitaires niçois, s’était vanté d’avoir sa carte du rassemblement bleu Marine. Sans doute parce que ça faisait tâche, la présidente du FN a fait refuser son adhésion.

[2L’altercation entre Julien Rochedy, président du FNJ, et deux invités de Jean-Marie Le Pen lors de la dernière université d’été du FN a été poétiquement résumée sur le site Laflamme comme « du rififi chez les tarlouzes ».

[3Résumé par Pierre Sidos de l’œuvre française au printemps dernier comme ceci : « Nous sommes partisans d’une deuxième révolution nationale fondée sur une juste conception de la nationalité : spirituelle, historique et philosophique. L’expression électorale c’est le FN, l’expression doctrinale c’est l’Œuvre française. »

[4Dominique Vidal, Le ventre est encore fécond, les nouvelles extrêmes droites européennes  : la droite de la droite frôle ou dépasse désormais les 10% dans une douzaine de pays d’Europe.

[5Il ne s’agit évidemment pas de minimiser les agressions qui se sont multipliées ces derniers mois et encore récemment à Lyon.

 
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