Entretien

Fred Sochard (dessinateur) : « J’essaie d’être drôle, mais mon travail est aussi très partisan »




Sur les réseaux sociaux ou sur les pancartes en manif, les dessins de Fred Sochard deviennent incontournables. De la grève cheminote aux gilets jaunes en passant par les jeunes réprimés de Mantes-la-Jolie, Fred Sochard est sur tous les fronts. Rencontre avec un illustrateur très classe… contre classe !

Alternative libertaire : Peux-tu nous présenter en quelques mots ton métier et ta trajectoire ?

Fred Sochard : Après le bac, je suis passé par une prépa en arts à Paris où j’ai pris dans le nez à quelle classe j’appartenais : « mauvais goût, inculture » avait noté à mon propos le directeur à mon premier entretien… J’avais jamais vu de près des bourgeois, là je me retrouvais au milieu des gosses de riches ! Puis aux Arts décos, je ne me sentais toujours pas à ma place, au milieu de gens mieux nés, mais de gauche cette fois (rires).

Pour suivre Fred Sochard ou décorer votre salon avec un portrait de Bakounine : fredsochard.com et Fred Sochard sur les réseaux sociaux.

Bref, c’est une période où j’ai éprouvé la domination sociale et culturelle, bien avant de mettre des mots dessus, notamment avec Bourdieu, Annie Ernaux, que je découvrirai plus tard. J’ai fait de la communication d’entreprise quelques années mais beurk, j’ai tout arrêté pour faire de l’illustration. J’ai d’abord fait beaucoup de presse, notamment pour le mensuel Regards, avec qui j’ai finalement collaboré 20 ans. Au début des années 2000, j’ai commencé l’illustration jeunesse. Aujourd’hui c’est un peu mon « cœur de métier » mais je continue à produire des dessins politiques, des images militantes. Le monde de l’image peut être assez cloisonné : tu fais de l’actu ou du jeunesse ou de l’affiche. Moi j’aime tout et je pense qu’il y a une unité dans mes travaux, du côté du « populaire » : j’aime les luttes et j’aime les contes !

Tu as produit de nombreuses images en soutien à la grève cheminote du printemps 2018. Cette lutte comptait pour toi ?

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Beaucoup oui ! Je suis fils de cheminot, j’ai vécu mes premières années dans une petite ville dont mon père était le « chef de gare ». Après, nous avons habité un HLM cheminot près du triage de Nantes. J’ai joué dans Le Wagon rouge (titre d’un de mes « cordels cheminots »), connu le club de foot SNCF et les barbecues au jardin des cheminots ! Pour moi, le chemin de fer, c’est vraiment tout un monde, celui dans lequel j’ai grandi. Un milieu populaire qui a son histoire, chevillée aux luttes ouvrières, à la Résistance, au communisme… Et je suis bien placé pour savoir à quel point les cheminots ne sont pas des privilégiés. Et puis les services publics quoi ! Au-delà de mon lien personnel au ferroviaire, je suis de ceux qui considèrent la défense des services publics comme fondamentale. Bref, ça allait de soi pour moi de soutenir cette grève.

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, tu n’as cessé de dénoncer par tes dessins le mépris et la violence qu’ils subissent. Ce soutien-là aussi, il était évident pour toi ?

Oui ça a été vite aussi évident que de soutenir la grève des cheminots, au sens ou les gilets jaunes, ça m’a parlé d’emblée aussi. J’y ai tout de suite reconnu mon milieu, ma classe, ma famille… les copains de mon père, mes grands-pères ouvriers, etc. J’ai donc eu une sympathie et une bienveillance immédiate pour ce mouvement, avant toute élaboration. Évidement que parmi les milliers de gilets jaunes il y a des gens racistes, sexistes, homo­phobes… La dénonciation des migrants dans le nord par exemple c’était insoutenable. Mais ça c’est la réalité, c’est à nous de l’améliorer. Ce n’est pas parce qu’on subit une domination qu’on n’en exerce pas sur d’au­tres.

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Comme dessinateur, j’ai un principe simple, je ne me fous pas de la tronche des dominés ou de ceux qui sont en lutte contre une ou des oppressions. Dans mes dessins d’actu, j’essaie d’être drôle, mais mon travail est aussi très partisan. J’ai choisi mon côté de la barricade et je l’assume ! La domination de classe, je sais ce que c’est pour l’avoir ressentie étant jeune, quand je me sentais plouc à arpenter les rédactions parisiennes avec mon book. En revanche, ce que subit une femme ou une personne racisée, je ne peux l’éprouver, mais, de par mon histoire, je suis sensible à ces questions de domination. Reste que ce n’est pas à moi de dire à ceux qui luttent comment ils doivent lutter, c’est important de ne pas parler à la place des premiers concernés.

En tout cas, ce mouvement des gilets jaunes est terriblement clivant, il fait tomber les masques et éclaircit les lignes. Le mépris de classe est terrible, de la part de gens de droite comme de gauche. À nouveau, on se rend compte qu’il y a toujours cette crainte : « classe laborieuse, classe dangereuse ».

Est-ce qu’on peut dire que tu es un illustrateur militant ?

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Je ne suis pas un militant de terrain, je ne suis pas membre d’une organisation, sauf l’Association France Palestine Solidarité 1, mais diffuser des tracts, c’est pas mon truc… Je suis tout seul dans mon atelier, mais quelque part, oui, c’est ma contribution militante. Parfois on me demande une affiche pour une cause, comme par exemple l’ont fait des étudiantes de Paris-VIII contre la hausse des frais d’inscriptions pour les étudiants étrangers.

Et puis faire ces images ou ces dessins, en fait c’est plus fort que moi, je ne peux pas rester de marbre lorsque j’entends les déclarations de Macron ou que je vois des policiers humilier des lycéennes et des lycéens. Du coup je me mets parfois en retard sur mes autres projets, un peu trop pris par l’actualité. Et je suis forcément heureux lorsque que je vois mes dessins sur des pancartes ou sur les murs d’une fac en lutte.

Propos recueillis par Benjamin (AL Angers)

 
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