Genres : La transidentité au prisme du féminisme




Il n’y a pas de définition simple et totale de la transidentité. Cependant, elle peut se définir comme le fait pour un humain rangé dans la case « homme » ou la case « femme » de se ressentir comme du genre opposé. Ce ressenti peut conduire à vouloir adopter l’apparence et les comportements assignés au genre opposé. Tout ce qui trouble l’identité est intéressant pour la réflexion antipatriarcale. Sans naïveté.

Du transvestisme (simplement se travestir) ponctuel au transsexualisme (la transformation du corps) allant ou pas jusqu’à ­l’opération de l’appareil génital, les vécus nécessaires à l’épanouissement des personnes trans sont différents, variables. Dans tous les cas, les trans peuvent se heurter aux discriminations habituelles envers les personnes qui ne choisissent pas une apparence dite « normale » et à des discriminations plus spécifiques liées à la transidentité.

Pour nous, féministes radicales, le genre est une construction sociale qui définit les normes de la masculinité et la féminité, y compris l’apparence que doivent avoir les corps. Au nom de ces normes seront moqué.es voire maltraité.es les femmes poilues, en particulier sur le visage, les femmes grosses en particulier enceintes, les hommes efféminés, les hommes petits et fluets… La liste est longue des attributs physiques non conformes qui amèneront mépris et discriminations, même pour une personne non identifiée comme trans. Cet ostracisme sera évidemment accru envers une personne trans qui n’a pas 100 % des attributs physiques attendus du genre choisi.

Ce point doit nous poser question. Est-ce que dans le monde que nous cherchons à fabriquer – où le sexe physique de naissance ne serait pas socialement pertinent et n’entraînerait aucune conséquence dans les domaines vestimentaire, des activités permises, des jouets attribués, des qualités attendues – la transidentité existerait ?

Les difficultés des personnes trans sont nombreuses. Il y en a deux sortes liées à la société et à ses lois.

Pour les personnes transsexuelles, faisant le choix d’une hormonothérapie et d’opérations, le parcours est compliqué et long. Ce sont des processus forcément médicalisés et donc soumis à l’approbation de médecins. En 1953, le transsexualisme est créé comme maladie mentale en France, et le mal-être et la honte liés à la société sont remplacés par la maladie. Les psychiatres prennent alors le pouvoir sur le parcours médical des trans et décident de ce qui est possible pour elles et eux. En 2010, la France est le premier pays du monde à sortir le transsexualisme de la liste des maladies mentales. Le parcours médical reste cependant encore marqué par la nécessité (non codifiée par une loi) d’un parcours pluridisciplinaire dont un psy qui autorise l’opération. Mais les choses s’améliorent, lentement. La prise en charge financière des soins est assurée par l’assurance maladie. Le parcours reste long à cause des procédures et à cause de la rareté des équipes capables d’assurer la chirurgie génitale dans de bonnes conditions. Il est aussi possible de se faire opérer à l’étranger, plus rapidement mais sans assurance de la prise en charge par la sécurité sociale.

Suppression de la mention du sexe à l’état civil

D’autres discriminations résultent du découpage absolu de la population en deux sexes. À la naissance, chaque enfant se voit assigner un sexe, dans la plupart des cas sur la base de l’apparence des organes génitaux. Un humain naît garçon ou fille. Dans les cas d’indétermination, de non-évidence, il faut quand même décider et trancher dans le… sexe. Les personnes nées intersexuées se sont organisées pour lutter contre la barbarie chirurgicale et il arrive, quand les parents sont suffisamment ouverts et à l’aise , que la décision soit reportée à plus tard et confiée à la personne concernée. Même si ­certaines choisiront de rester anatomiquement intersexe, il faudra choisir un sexe administratif, rentrer dans une case. Le tribunal de grande instance de Tours a accepté en 2015 que soit inscrit, à l’état civil d’une personne intersexe, « sexe neutre », la cour d’appel d’Orléans est revenue sur la décision en mars de cette année. L’état civil a des conséquences sur la vie en général. Ne pas avoir l’apparence de son prénom complique les démarches auprès de toute administration et rend quasi impossible l’accès au travail. C’est notamment au nom de la difficulté à avoir un travail « normal » que certaines associations trans défendent la prostitution. Cette position nous apparaît inacceptable. La solution réside à nos yeux dans la lutte pour la démolition des préjugés et du système de discriminations.

Jusqu’à récemment, changer de prénom d’usage était possible par décision du tribunal d’instance, en établissant les problèmes posés par le fait d’être classé comme du sexe opposé et donc de ne pas avoir la tête de ses papiers. Changer de sexe était subordonné à des conditions médicales dont l’irréversibilité (c’est à dire la stérilisation pour certains juges) et à l’avis des psy, ce qui fait que nombre de trans (en particulier celles et ceux qui n’éprouvaient pas le besoin d’être opérés) devaient se contenter du changement de prénom d’usage. Ce qui laissait possible la discrimination au travail et partout où le numéro de Sécu est demandé.

La procédure de changement de sexe à l’état civil a été simplifiée par une loi de juillet 2016 qui attend ses décrets d’application. La procédure reste judiciarisée mais il sera possible d’établir, par des témoignages par exemple, le vécu dans le genre opposé à son genre sur le papier pour en obtenir la modification. Sous réserve que les juges ne fassent pas une autre interprétation de la loi en rétablissant des conditions médicales. Il sera ensuite possible de changer son prénom devant un officier d’état civil. Cette loi ne satisfait pas complètement les revendications qui étaient de pouvoir changer d’état civil par simple déclaration.

Une revendication que partagent les féministes est la suppression de la mention du sexe à l’état civil. Et sur tous les formulaires possibles, la suppression des cases M et F, des mentions M. ou Mme qui n’ont aucun intérêt. Il restera à considérer que tous les prénoms sont possibles pour tous les humains.

La division de l’humanité en deux groupes complique aussi l’accès des personnes trans… aux toilettes publiques. Faut-il des toilettes « hommes et trans », et en face des toilettes « femmes et trans » comme au salon du livre libertaire ? Ou des toilettes « hommes » et « femmes », les trans étant l’un ou l’autre ? Mais dans ce cas, il leur arrive d’être virés. Ou simplement des toilettes ?

La transidentité interroge les féministes radicales aussi parce que si le genre est acquis par le conditionnement culturel, si « on ne naît pas femme, on le devient », le devient-on au même titre quand on a été socialisé comme un homme ? Ou alors, peut-on échapper totalement à son conditionnement genré et être autre que son éducation l’aurait voulu ? Certaines et certains trans remettent en cause les codes genrés mais la plupart s’y conforment, voulant coller au plus près à la réalité sociale du sexe de destination, doit-on le leur reprocher ? Si l’identité sexuée se décrète par la personne concernée, quelle non-mixité des mouvements féministes quand un homme maquillé se dit femme ? La question de la non-mixité peut devenir un point de friction, tous et toutes les trans étant ou ayant été des femmes...

Christine (AL Orne)

 
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