Goodyear-Dunlop-Continental : L’odeur des pneus brûlés




La vague de licenciements dans l’industrie du pneumatique provoque une levée de boucliers dans l’Oise et dans la Somme. Les
équipes CGT de plusieurs usines ont commencé à se coordonner à la base.

Le chtimi est apparenté au
patois picard, comme a pu le
constater l’autre jour un journaliste parisien en discutant avec
un ouvrier amiénois de Goodyear : « Ech’Sarko, y veut
piquer ché voitures à chés gins
en cas d’infraction importante,
eh ben nous’auts on au qu’à
prinde ch’l’usine à chés patrons
qui licencient, pis on’s’débrouillereau tout seuls ».
Mais
alors, c’est d’autogestion que tu
parles, camarade ! « Et pis
alors, pourquoé pas ? Cha n’serait mi-pire ! »

Avant que le français Michelin, n°1 mondial du pneu, n’annonce des coupes sombres dans
les effectifs, cela faisait déjà
plusieurs mois que les salariés
de l’américain Goodyear (n°3
mondial) et de l’allemand
Continental (n°4) étaient en lutte contre les licenciements.

Le 2 juin, les ouvrières et les
ouvriers de Continental de Clairoix (Oise) étaient à Amiens
pour une manifestation commune avec les Goodyear, et une
visite de l’usine en prime. Quel
a été leur effarement de voir
dans quelles conditions épouvantables on travaille à Goodyear ! L’usine tombe en ruine,
les accidents du travail se multiplient, bref, comme l’a dit le
délégué CGT, Mickaël Wamen,
c’est une « véritable
boucherie ».
La manif a ensuite
rassemblé plus de 2000 personnes, avec une intervention commune de Mikaël Wamen et de
son homologue de chez
« Conti », Xavier Mathieu.
Comme l’a rappelé ce dernier,
« Vous avez bien fait de refuser
les sacrifices que l’on vous
demandait pour soit disant limiter des licenciements car ce qui
compte plus que tout, c’est votre
dignité, ayez confiance en
vous ! »
Rappelons qu’en
décembre 2007, les Conti
avaient accepté par référendum
l’abandon des 35 heures et du 13e mois, en échange d’une promesse de maintien de l’emploi
jusqu’en 2012. Mais le patronat
ment comme il respire. Un an
plus tard, le site de Clairoix était
promis à la fermeture, laissant 1120 salarié-e-s sur le carreau !

Ils ont également appelé à
« l’union du monde du travail
pour une grève générale avec
des centaines de milliers d’alliés potentiels y compris dans
les petites entreprises ».
Le
message s’adressait aussi au
camarade Thibault, secrétaire
général de la CGT, dont la frilosité quant à une telle tactique
n’est plus à démontrer.

50 000 euros arrachés par les Conti

Le samedi 6 juin, retour de
politesse aux Conti. Ce sont cette fois les Goodyear qui sont
allés à Clairoix. Un long cortège
de voitures avec, à l’arrivée, un
accueil chaleureux. Un barbe-
cue sympathique pour se remettre en forme. Une nouvelle
intervention commune de Mickaël et Xavier et la rage, la
rage des camarades qui veulent
se battre. Se battre pour obtenir
de bonnes indemnités – égales
au moins à celles que les Conti
ont arrachées : 50000euros par
personne – mais pas seulement.
Il faut aussi « faire la guerre
aux patrons qui nous prennent
pour de la chair à spéculation », et être solidaires avec les
autres boîtes en lutte. Ainsi
étaient présents des camarades
de Lear (sous-traitance automobile), en lutte depuis neuf
semaines contre la fermeture de
leur usine de Lagny-le-Sec (Oise) [1]. Encore une fois, un bel
enthousiasme après les discours, et puis une belle manif
commune à Compiègne.

Ainsi s’amorce un début de
coordination et une opposition
aux licenciements par des
patrons voyous. Cette volonté
de coordination est importante
car elle se fait à la base et fait
réfléchir les salarié-e-s sur leur
futur, sur leur organisation et
sur leur pratique syndicale et
sociale. Cette coordination, qui
semble vouloir se mettre en place au niveau national, déborde
aussi les frontières puisque les
Conti ont déjà fait des actions
communes avec leurs camarades allemands de Hanovre.

La lutte des Goodyear a en fait commencé en 1995 avec le refus
des 4x8 que voulait imposer la
direction, soit disant pour améliorer la productivité, en réalité pour
masquer les investissements en
Slovénie (usine Sava) et en Pologne (usine Debica). Depuis, la
direction a sans arrêt fait le forcing pour imposer cette mesure
antisociale.

Le refus des 4x8

En 2001, à la suite d’un accord
offensif sur la RTTsigné par la
CGT, l’État a subventionné la
mise en place de nouvelles machines quadruplex (fabriquant 4 à
5 sortes de gommes sur une seule
bande). Mais Goodyear a délaissé
l’usine amiénoise pour concentrer
ses investissements en Pologne et
en Slovénie, où les salaires sont
beaucoup plus bas. Après le rachat
de Dunlop par Goodyear en 2003,
les patrons ont voulu fusionner les
usines Dunlop et Goodyear d’Amiens (les deux sites sont juste
séparés par une rue) et imposer les
4x8. Résistance des salarié-e-s.
Suivent des négociations en 2007
et 2008, et là, coup de tonnerre, la
direction obtient la signature de la
CFTC, de la CGC et d’un traître
de la CGT– le sinistre Dimoff. À
la demande des syndiqué-e-s
écœuré-e-s par cette infamie, la
confédération CGTsera amenée à
dissoudre le syndicat CGT-Dunlop, pour en recréer un autre sur
des bases saines. Il dénonce les accords et lance des débrayages
avec un syndicat SUD qui, entretemps, a vu le jour en rompant
avec la CFDT. La CGT-Goodyear
n’avait, elle, pas signé.

N’arrivant pas à ses fins, la
direction a bientôt menacé d’un
plan de licenciements de 402 salarié-e-s, repoussé par la lutte syndicale puis invalidé par une action
en justice en septembre 2008.

Mensonges patronaux

Les pressions et la diffamation
ont continué contre le site d’Amiens, le plus combatif. La direction et le gouvernement, qui accusent la CGTd’être
« responsable » des futurs licenciements, mentent honteusement
puisque suite à une enquête
demandée par la CGT au comité
central d’entreprise (CCE), il est
prouvé que, depuis 2006(!), des
fonds étaient provisionnés pour le
licenciement du personnel et le
ferraillage des machines.

On en est donc arrivé au plan
social actuel, annoncé par la direction de Goodyear lors du CCE –
illégalement puisque la question
n’avait pas été inscrite à l’ordre du
jour. Et là, ce sont 820 licenciements et non plus 402. Cela signifie, à court terme, la fermeture du
site d’Amiens, et à plus long terme celle du site Dunlop. Depuis,
les actions syndicales s’intensifient.

On veut nous faire croire que le
mouvement social est mort, que
les salarié-e-s ont peur, que rien ne
bouge. Sans tomber dans un optimisme béat, les luttes importantes
et exemplaires qui se déroulent en
Picardie montrent le contraire.

Il faut garder la volonté de ne
céder sur rien. Et s’ils veulent
nous licencier, faisons cracher les
patrons au bassinet, ils en ont les
moyens. Plus nous les ferons cracher et entraverons leurs projets,
plus ils hésiteront à nous voir
comme des perdantes et des perdants. Se développeront alors
dans nos têtes des idées d’organisation, de résistance, de solidarité,
d’autogestion. Nous ne voulons
pas être des « gagnants », mais
nous ne serons jamais des perdants.

Jean-Michel (AL Amiens)

[1Trois jours plus tard, le 9 juin, les Conti
apprenaient qu’un groupe syrien se
portait acquéreur de leur usine, avec
pour projet de ne garder que la moitié
des salarié-e-s.

 
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