Grève générale : révolte globale contre un hold up social




21 avril 2002 - avril 2003. Il aura fallu un an au gouvernement Raffarin pour rendre les objectifs de sa politique économique et antisociale parfaitement transparents... et mettre des millions de salarié(e)s en grève.

Pour dire les choses simplement, le gouvernement Raffarin est un gouvernement au service des riches.

Il applique à la lettre la politique du Medef. Une politique visant à alléger le plus possible la contribution fiscale et sociale de la bourgeoisie et à faire porter les efforts financiers supplémentaires pour alimenter la protection sociale sur les seuls revenus du travail.
C’est on ne peut plus clair dans le domaine des retraites où les patrons sont exonérés de toute augmentation de la cotisation patronale retraite.

Cette même cotisation n’a du reste pas bougé depuis 1979 !

Le manque à gagner sur ces vingt dernières années est de plusieurs milliards d’euros qui permettraient aux régimes de retraites d’être équilibrés voire excédentaires.

Les travailleur(se)s et les chômeur(se)s doivent faire des sacrifices pour financer les baisses de charges sociales et les allègements d’impôts revendiqués et obtenus depuis des années par la bourgeoisie.

Cela n’est pas nouveau puisque depuis 1970 la part des salaires dans l’économie est passée de 70 % à 60 %, celle du capital progressant de 30 % à 40 %. Et que dire de l’existence de la fraude fiscale à hauteur de 30 milliards d’euros par an.

Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement et le Medef n’hésitent pas à faire montre d’arrogance et de menace, accusant les grévistes de prendre les usagers des services publics en otage tels des terroristes et en leur reprochant de bafouer la légalité républicaine.

Ces rodomontades et menaces se traduisant par des interventions policières lors d’actions pacifiques d’occupation, mais aussi des pressions de la hiérarchie dans les services.

Une contre-réforme globale

En France, on aime bien utiliser en toute chose des précautions de langage, une certaine pudeur pour tout ce qui touche à l’économie comme à la politique. C’est sans doute notre esprit cartésien qui veut cela. Nous nous contentons donc de parler de régression sociale.
Pourtant ce que nous sommes en train de vivre - nous le vivons en fait depuis des années - est un véritable hold up social symbolisé par le vol des retraites.

En matière de retraites, mais aussi de sécu, d’emploi, de salaires et de services publics, la politique Raffarin-Chérèque-Seillière ne peut que conduire à l’appauvrissement de millions de salarié(e)s, à l’instar de ce qui se passe en Amérique latine ou des politiques semblables ont produit ces mêmes effets.

Si les personnels de l’Éducation nationale de 2003 jouent le rôle d’entraînement qu’avaient pu avoir les cheminot(e)s en 1995, le contexte politique est assez différent. D’abord parce que les attaques patronales et gouvernementales revêtent un caractère plus global qu’en 1995.

De ce point de vue, la contre-réforme sur les retraites peut avoir un effet domino. Si elle passe, ce sont bien d’autres projets de destructions des droits collectifs qui passeront (Sécurité sociale, restriction du droit de grève, démantèlement des services publics...).
Ensuite parce que le privé est autant visé que le secteur public par la contre-réforme Fillon des retraites.

On a du reste vu plus de cortèges du privé qu’en 1995.

En effet, non seulement, la situation des futurs retraités du privé va se dégrader à partir de 2008 du fait de l’application du décret Balladur, mais ils devront comme dans le public réunir 42 annuités de cotisations pour partir en retraite à partir de 2020.

À cela il faut ajouter la négociation sur les retraites complémentaires entre le Medef et les cinq confédérations syndicales dont le résultat est conditionné par l’issue de la lutte contre le projet de loi Fillon.
À ce propos rappelons-nous que le Medef avait reçu un camouflet en janvier 2001 quand les salarié(e)s du public et du privé tou(te)s ensemble étaient descendu(e)s par centaines de milliers et avaient fait échec à la tentative de coup de force du Medef sur les retraites complémentaires.

Les grèves et mobilisations du 13 mai ont rassemblé plus de monde que lorsque les grèves de 1995 étaient à leur apogée fin novembre, atteignant presque les scores de la grève générale de mai 1968 quand dix millions de travailleuses et de travailleurs étaient en grève.

Le « débouché politique » selon la CGT

Côté syndical, la trahison de la CFDT était attendue. Elle a du reste été porteuse de clarification, en provoquant une nouvelle crise interne (multiplication des positionnements critiques, démissions), mais aussi en n’ayant pas de forte influence sur la capacité de lutte des travailleur(se)s.

Mais c’est surtout le rôle de sape de la CGT qui a été grandiose.

Alors que la grève semblait marquer une apogée le 13 mai avec un taux de grève approchant les 60 % dans tout le secteur public, et une mobilisation limitée mais réelle de nombre d’entreprises du secteur privé, la CGT temporisait puis appelait à la reprise à la poste, à la RATP et à la SNCF, où les grèves reconduites assez massivement deux jours durant l’ont été sous la pression spontanée de la base.

De même, on est effaré par tant d’efforts pour rassembler un million de personnes dans la rue le 25 mai en comparaison du peu d’empressement à généraliser la grève dans tous les autres secteurs.

Une fois de plus la CGT n’a pas accepté que cette grève, qui commençait à s’étendre, se généralise et échappe à son contrôle.

D’autres raisons expliquent cette stratégie d’atermoiement dans certains secteurs et d’opposition résolue à la grève dans d’autres.

Certaines mauvaises langues n’hésitent pas à rappeler fort justement le double langage de la CGT, opposée au plan Fillon et en même temps cogestionnaire du fonds de réserve des retraites sans oublier son rôle actif dans le comité intersyndical de l’épargne salariale...

Mais ce qui freine et fait freiner la CGT, c’est assurément la recherche du « débouché politique » après lesquels courent les partis de gauche et de l’extrême gauche trotskystes tant dans la rue que dans les urnes.

De ce point de vue, la présence de Bernard Thibault au congrès du Parti socialiste à Dijon, son ovation par les congressistes et l’engagement pris par les dirigeant(e)s du PS de contribuer au succès de la manifestation du 25 mai en faveur des retraites avaient valeur de symbole.
Thibault avait beau se défendre de sacrifier à l’autonomie de la CGT, la messe était dite.

En effet, le secrétaire général de la CGT n’a rien fait d’autre que reprendre une tradition bien ancrée dans le syndicalisme réformiste à savoir que le syndicalisme de lutte ne peut être porteur d’un projet de transformation de la société et que ce même projet est dévolu aux partis.

On est pourtant frappé par la grande inanité dudit débouché politique. PS et PC n’ont rien à dire et se contentent d’être à la remorque des grèves. Le PS surfe dans le plus parfait opportunisme sur les grèves, cherchant à faire oublier le bilan catastrophique de la « gauche plurielle », et, en ce qui concerne plus particulièrement les retraites, l’engagement pris au sommet européen de Barcelone en mars 2002 par Jospin de concert avec Chirac de rallonger de 5 ans partout en Europe la durée de cotisation pour les retraites.

Les mouvements sociaux font plus de politique que la gauche institutionnelle. N’en déplaise aux dirigeants de la CGT et à leurs nouveaux amis du PS.

Dans ce contexte, force est de constater que les organisations qui ont le plus poussé à développer l’action directe et la perspective de la grève générale sont l’Union syndicale solidaires, la CNT et, dans une moindre mesure, la FSU. L’implication de la CGT n’en demeure pas moins décisive pour construire un mouvement d’ensemble.

Les communistes libertaires et la grève générale

Depuis des mois dans ces colonnes comme dans la plupart de nos interventions, nous nous battons pour la construction de mobilisations pouvant déboucher sur une grève générale de transformation sociale. Un véritable mouvement d’ensemble associant les travailleuses et travailleurs des secteurs privé et public mais aussi les « sans » que sont les sans-papiers, sans-logis, chômeur(se)s... Un mouvement qui s’adresse à l’ensemble des opprimé(e)s.

Depuis début avril dans le contexte des grèves reconductibles, nous nous battons pour l’auto-organisation et la structuration professionnelle et interprofessionnelle des assemblées générales et de leur coordination au niveau des villes, des départements et à l’échelle nationale.

Si nous avons mis en avant l’abrogation du décret Balladur sur les retraites de 1993 et le retrait du plan Fillon, cela est dans une perspective plus largement de réappropriation et de redistribution généralisée des richesses non pas par un quelconque gouvernement mais par les travailleur(se)s eux/elles-mêmes, alors même que le pouvoir nous dit qu’il n’y a aucune alternative à sa politique de contre-réforme.

Enfin dernier aspect essentiel à nos yeux, la nécessité pour les travailleur(se)s de France, d’Autriche, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne... de s’unir et d’agir ensemble face à la destruction de leurs droits. Mais aussi celle de faire converger les luttes sociales avec le combat altermondialisation.

Laurent Esquerre

 
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