João (OASL, Brésil) : « L’objectif est de créer un “pouvoir populaire” »




L’Organização anarquista socialismo libertário (OASL), active à São Paulo depuis 2008, est membre de la Coordination anarchiste brésilienne (CAB). Elle se revendique de l’especifismo, un mode d’organisation et de militantisme qui articule l’action au sein des ­mouvements sociaux et l’action plus spécifiquement anarchiste. ­Rencontre avec João, la trentaine, travailleur ­précaire et membre de l’organisation.

Alternative libertaire : Quelles sont les activités de l’OASL ?

João : Nous militons principalement sur trois fronts : le front syndical, le front communautaire et le front étudiant. Au plan syndical, les camarades sont actifs et actives parmi les conducteurs de métro, dans la santé et dans l’enseignement. Le front étudiant est présent dans deux universités, où nous défendons une politique d’accès réel des classes populaires à l’université 1. Sur le front communautaire, on développe le Mouvement d’organisations de base (MOB), qui agit dans trois quartiers de banlieue, propose du soutien scolaire (cursinhos populares), crée des coopératives qui permettent aux participants de toucher un revenu, défend les centres de santé gratuits du SUS (Sistema única de saúde), toujours menacés de fermeture ou de privatisation… Nous participons aussi au mouvement de squatteurs et, enfin, il y a des camarades qui ont initié un front féministe. L’objectif est de créer un « pouvoir populaire » articulé aux mouvements sociaux. Participer à l’un de ces fronts est une condition pour militer à l’OASL. Ce militantisme de terrain est fondamental, et prioritaire sur la construction de l’organisation.

Quelle est votre pratique au sein des mouvements sociaux ?

Dans chaque front nous défendons une organisation horizontale. Mais ne voulons pas être dans une posture d’avant-garde, et nous nous adaptons à la réalité des mouvements sociaux, où existent une grande variété d’opinions. C’est en militant avec les gens que nous diffusons nos idées et nos valeurs. Un exemple : lors d’une occupation de terres agricoles avec le Mouvement des sans-terre (MST), les gens priaient avant les actions. Bien qu’étant pour la plupart athées, nous nous abstenions de critiquer. On doit trouver l’équilibre, composer avec la réalité des gens qui sont là, même si c’est difficile. Les mouvements évangéliques sont forts en banlieue, parce qu’ils occupent un vide politique et social. Or ils se positionnent souvent contre les luttes, contre les grèves et font obstacle au MOB.

Et en ce qui concerne la répression ?

Il y a actuellement une crimi­nalisation des mouvements sociaux, qui vise beaucoup les syndicalistes. La violence policière, elle, frappe plutôt les banlieues et les favelas, les Noir.es et les pauvres étant les premiers concerné.es. On va jusqu’à parler, à ce sujet, de « politique génocidaire ». Mais la dénonciation de cette violence se fait rare, par peur des représailles. Le cas de Rafael Braga est exemplaire. Arrêté une première fois en juin 2013 pour une manifestation à laquelle il n’a pas participé, il a passé plusieurs mois en détention sur des accusations bidon de fabrications de cocktails Molotov ou de trafic de drogue. En avril dernier, il a finalement été condamné à onze ans de prison (!), peine commuée en prison à domicile en septembre.

Quelle analyse libertaire peut-on faire de la situation politique actuelle du Brésil : destitution de Dilma Rousseff en mai 2016, revendications d’élections directes suite aux révélations sur la corruption du président de droite Michel Temer ?

Avant tout, il faut rappeler que le Parti des travailleurs a mené une politique de collaboration de classes. Quant au coup ­d’État, le PT a aussi sa responsabilité : il a fait des alliances avec des partis de droite, ce qui leur a donné de la force et leur a permis de récupérer l’insatisfaction face aux réformes. La casse du Code du travail et des retraites orchestrée par la droite libérale était déjà à l’agenda du PT. Récemment, l’ancien président Lula (PT) a carrément dit que si il était réélu, il ne reviendrait pas sur cette casse des retraites. Le PT a approuvé la loi autorisant le recours à l’armée contre les manifestations, et l’a utilisée en juin 2013 lors des protestations contre la hausse des prix des transports en commun 2. Quant à la réforme agraire, son bilan est éloquent : sous le président Cardoso (1995-2002, droite), la redistribution des terres aux paysans pauvres était plus rapide, non parce que le gouvernement était plus volontariste, mais parce qu’il y avait davantage de luttes sociales. Or, avec le PT au pouvoir, les mouvements sociaux se sont affaiblis, car leurs leaders se sont vus offrir des postes, ce qui est un bon moyen pour les faire taire. On l’a vu récemment, quand la direction de la CUT, la principale confédération syndicale, proche du PT, se préoccupait davantage des mésaventures judiciaires de Lula que d’organiser la lutte contre la casse des retraites et du Code du travail.

Propos recueillis par Auréline (amie d’AL, Toulouse)

 
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