politique

« La Grèce, Syriza, l’euro, etc., et nous » : Anarkismo s’exprime




une contribution en français, espagnol et anglais d’organisations communistes libertaires, membres du réseau international Anarkismo.

Depuis des années, le peuple grec est confronté aux diktats de la troïka constituée par le Fonds Monétaire International, la Banque Centrale Européenne, l’Union Européenne, outils au service du capitalisme et de ceux qui le servent, à commencer par les gouvernements de nos Etats. C’est le prolongement, en Europe, de ce que d’autres institutions capitalistes [1]
imposent depuis bien longtemps aux peuples d’autres continents.

La situation en Grèce a été, et est encore, au cœur de débats publics dans tous nos pays ; elle fait l’objet de réflexions dans les organisations politiques, syndicales, associatives, à travers tous les continents ; de par son caractère hautement symbolique, mais ancré dans le réel, elle nécessite toute notre attention et notre solidarité internationaliste. C’est le sens de cette contribution, commune à des organisations communistes libertaires de plusieurs pays, membres du Réseau international Anarkismo [2].

Syriza, une coalition politique se situant sur le terrain réformiste

De larges pans de la population grecque ont mené des luttes importantes pour résister au rouleau-compresseur de la misère, des inégalités, des exclusions : manifestations, grèves, autoorganisation sous des formes diverses (récupération d’entreprises, création de lieux autogérés, etc.). Par ses actions, le mouvement social a ainsi organisé la résistance et ouvert des voies vers d’autres solutions en rupture avec le système capitaliste.

Un mouvement politique, Syriza [3], a capté une partie de ces forces et de ces espoirs, prétendant, à travers son accession au pouvoir politique dans le cadre institutionnel existant, leur donner une concrétisation. A l’issue des élections législatives du 25 janvier 2015, il accédait au pouvoir [4] ; pour cela, afin de respecter les règles du système en place, il a fait alliance avec un parti nationaliste et réactionnaire [5].

cc thierry ehrmann

Six mois plus tard, ce gouvernement signait avec les institutions capitalistes internationales un nouveau mémorandum qui, comme l’expliquent nos camarades de Rocinante « prévoit des contre-réformes que la droite n’avait jamais osé voter : libération totale du droit de licencier pour les patrons, restriction du droit de grève, saisie du logement pour dettes envers les banques, nouvelle réduction des retraites, augmentation jusqu’à 100% de la TVA sur les produits d’alimentation de base... ». Quelques jours plus tôt, 61,31% des suffrages exprimés à l’occasion du référendum sur l’approbation ou non de cet accord s’étaient porté sur le Non [6] !

Communistes libertaires, nous ne sommes pas de celles et ceux qui, après avoir encensé Syriza et Tsipras, parlent de trahison. Non, Syriza a joué le rôle qui est le sien : celui d’une coalition politique se situant sur le terrain réformiste et non révolutionnaire. Vouloir maîtriser les institutions capitalistes sans remettre en cause le système est voué à l’échec : ces institutions sont là pour garantir la pérennité du capitalisme, elles agissent uniquement en fonction de cela.

Entre démocratie et capitalisme, souvent il faut choisir !

Pour la troïka et les gouvernements européens en place, il n’était pas question d’un quelconque accord négocié avec le gouvernement Syriza, mais au contraire de faire plier celui-ci pour rappeler qui dirige le monde ! Ils n’ont que faire des peuples, de la démocratie, des arguments, de tout ce qui retarde leurs plans. Seules les luttes sociales, par le rapport de force qu’elles créent, par les contre-pouvoirs qu’elles instaurent, peuvent imposer d’autres choix.

L’enjeu est colossal et il mérite que le mouvement ouvrier et populaire s’organise de manière bien plus efficace, notamment au plan international ; y compris pour le soutien au peuple grec. Celui-ci doit s’articuler sur une base de classe, sur un rejet du système capitaliste et de ses composantes : on voit aujourd’hui où mène le mot d’ordre minimaliste « avec les grecs », qui reposait sur la nécessité de « respecter le choix des urnes ». Les urnes de septembre seraient-elles donc moins respectables que celles de janvier ou devrons-nous dorénavant appuyer le 3e mémorandum ?

Pairs, juin 2015. Si le rejet de l’austérité peut créer des ponts entre les mobilisations populaires d’un pays à l’autre, le slogan est souvent associé en France a une vision réformiste et keynésienne plutôt qu’anticapitaliste et révolutionnaire.
cc laetitiablabla

Pour nous, la question n’est pas là : oui Syriza avait bien gagné les élections législatives de janvier, au sens où c’était l’organisation qui avait recueilli le plus de voix (mais bien loin de la majorité des suffrages, contrairement à ce qui s’est souvent dit et écrit, dans beaucoup de milieux militants) ; mais oui aussi, cela ne signifiait nullement une rupture avec le système capitaliste. Refuser « l’accord » imposé par les institutions capitalistes avait un tout autre sens, d’où, par exemple, l’appel de nos camarades de l’Initiative anarcho-syndicaliste Rocinante à voter Non lors du référendum.

La manière dont le gouvernement grec, que beaucoup (y compris parmi les organisations révolutionnaires) se plaisaient à qualifier de « gauche radicale », a piétiné l’expression référendaire montre le gouffre qui existe entre la démocratie directe, avec des élu-es mandaté-es et révocables, et leur « démocratie » en système capitaliste. Entretenir l’illusion que l’une est compatible avec l’autre, c’est prendre le risque d’un renforcement de l’extrême droite à chaque désillusion … et elles sont inhérentes à ce système !

Renforcer les mouvements sociaux, leur autonomie et donc leur force

La campagne électorale, puis les luttes internes à Syriza une fois cette organisation arrivée au pouvoir, ont pris beaucoup de temps et beaucoup d’énergie à de nombreux et nombreuses camarades  ; du temps, de l’énergie, des camarades qui ont inévitablement déserté le terrain des luttes sociales, sur lequel nombre d’entre eux et elles intervenaient ces dernières années. Schéma ô combien classique, si souvent connu dans nos différents pays, si souvent répété, pour arriver à ce même constat à chaque fois !

Dans ce contexte, le mouvement syndical est bien en-deçà de ce qui serait nécessaire. L’alignement (ou pour le moins le refus d’affrontement) sur la politique de l’Union Européenne (pour ce qui est de la Confédération Européenne des Syndicats et des organisations qui s’y reconnaissent), le sectarisme (pour ce qui est de la Fédération Syndicale Mondiale) sont deux des explications ; ce ne sont pas les seules. La quasi-absence d’un mouvement syndical autonome en Grèce n’a pas aidé ; la bureaucratie,
les luttes entre fractions paralysent le syndicalisme.

Rassemblement à l’appel de Rocinante, devant le siège du Medef grec, le 4 juillet 2015.

C’est pourquoi, nous soutenons l’action des syndicats de base et des collectifs syndicaux anarchosyndicalistes (Rocinante, ESE), qui agissent comme force indépendante, alternative et anticapitaliste. Dans nos organisations syndicales, dans chaque pays, nous devons proposer des mesures de solidarité concrète avec les luttes sociales menées en Grèce : les faire connaître largement tout d’abord, les appuyer financièrement, les soutenir par notre propre action directe dès que nous en avons la possibilité.

De même, nous devons renforcer la solidarité, active, concrète, de masse, avec les multiples expériences alternatives et autogestionnaires qui existent en Grèce. Des entreprises ont été « reprises » par les travailleurs et les travailleuses, des dispensaires autogérés ont été créés, des lieux culturels populaires ont été inventés, etc. Soutenir ces mouvements sociaux, faire en sorte qu’ils puissent peser toujours plus dans la société grecque, est plus utile que de savoir pour qui voter la prochaine fois.

les travailleurs de VIOME, à Thessalonique, luttent depuis 2012 pour autogérer leur entreprise de produits d’entretiens.

C’est aussi sur ce terrain, et dans la rue, que nos camarades pourront combattre le plus efficacement l’extrême droite ; bien plus efficacement qu’en faisant miroiter une solution par délégation de pouvoir, qui laisse des dizaines de milliers de personnes dans le désarroi et l’amertume.

Union européenne, sortie ou non de l’euro, … de quoi parle-t-on ?

Une partie des forces politiques entend maintenant recentrer le débat sur la seule question « sortir de l’euro ou pas ». Discuter de cela en prétendant respecter le cadre des actuelles institutions européennes et étatiques n’a pas de sens : à travers les traités, les modes de financement, le jeu institutionnel, l’Union européenne ôte aux peuples la possibilité de choisir … Sauf à rompre avec tout cela.

Le réformisme n’a pas d’espace ! Autour de la question de l’euro, trois grandes tendances existent : Les partisans du libre échange mettent en avant le « modèle allemand », en passant sous silence les conditions dans lesquelles les exportations allemandes ont été dopées par une régression sociale vigoureuse : baisse des salaires, précarisation et paupérisation d’une bonne partie du prolétariat) ; ils nous proposent de rattraper le retard sur l’Allemagne et d’organiser un « choc de compétitivité » via une austérité renouvelée : baisse des salaires, baisse des droits sociaux, casse des services publics, aides publiques massives au patronat, etc.

grafiti, quartier de Psyrri, à Athène. Tsipras et Merkel s’embrassent, symbole de l’échec de l’espoir éléctoral que Syriza incarnait.
cc Dimitris Kamaras

La droite la plus réactionnaire, mais aussi une partie de la « gauche » plus ouverte aux sirènes du protectionnisme, voire aux alliances avec l’extrême droite, proposent pour leur part d’abolir l’euro et de revenir aux monnaies nationales afin de disposer d’autres leviers que le moins-disant social et salarial pour retrouver de la compétitivité. Pour autant, cela ne reviendrait qu’à changer les règles de la concurrence sur le marché capitaliste.

Contrairement à la vision qui oppose des pays entre eux, comme l’Allemagne à la Grèce, les anticapitalistes doivent insister sur la communauté d’intérêt entre les classes populaires de l’ensemble des pays de la zone euro. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous retrouver sur les objectifs de reconquête des droits sociaux perdus en Allemagne et ailleurs, de se battre contre la régression dans les pays de l’ensemble de la zone euro, dans une logique de solidarité internationale entre les travailleuses et les travailleurs.

Communistes libertaires, nous affirmons que là doit être notre priorité, plutôt que de vouloir reconstituer un énième parti politique promettant des changements profonds en respectant le système économique et les institutions du capitalisme ! De même, se focaliser sur la question de « la sortie ou non de l’euro » est un piège : comme nous l’avons dit, ca n’a pas de sens dans le cadre des institutions imposées par le système capitaliste et, fondamentalement, le problème essentiel des travailleurs et les travailleuses n’est pas de savoir en quelle monnaie seront payés les salaires mais s’ils seront payés à la fin du mois et s’ils permettent de manger les trente jours suivants !

Les institutions capitalistes sont faites pour servir les capitalistes !

Nous sommes dans la lutte de classes, une lutte qui oppose des classes sociales aux intérêts opposées ; les nôtres ne peuvent être efficacement défendus en nous enfermant dans les institutions qu’ils ont mis en place pour nous exploiter ! Sortir de l’euro, choisir (ou pas) une monnaie, définir comment fonctionnent les échanges au sein de la société, ne relèvent pas d’une quelconque « science économique », mais sont des choix politiques directement liés au type de société que nous voulons : pour nous, ce qui est en jeu, c’est le droit de propriété, la socialisation des moyens de production et d’échanges, le pouvoir dans les entreprises, dans les communes, dans la société.

A Kilkis, dans le Nord de la Grèce, le personnel de santé a occupé et repris le contrôle de l’hôpital, pour maintenir le travail et le service.

En cela nos ambitions ne sont pas compatibles avec les institutions capitalistes que sont par exemple l’Union européenne et ses outils comme l’euro ; mais nous avons d’autres espoirs que celui de choisir la « bonne monnaie nationale » pour continuer l’exploitation capitaliste des peuples ! Les recettes réformistes ne feront pas les solutions d’avenir. Si les travailleurs n’ont pas de patrie comment croire à l’utilité des vieilles frontières, des vieilles monnaies ?

Nos constats, à commencer par celui de l’échec de Syriza, n’aboutissent pas au désespoir du « alors, il n’y a rien à faire ! » Au contraire, nous avons tout à faire et la possibilité de le faire … mais c’est plus exigeant que de croire que d’autres feront pour nous … Plus exigeant mais combien plus exaltant et surtout plus efficace !

Organisations membres d’Anarkismo signataires :

  • Alternative Libertaire (France)
  • Alternativa Libertaria/Federazione Dei Comunisti Anarchisti (Italia)
  • Melbourne Anarchist Communist Group (Australia)
  • Organisation Socialiste Libertaire (Suisse)

Octobre 2015

— photo : cc Global Panorama


Contribución en español

¿Grecia, Syriza, el euro, etc., y nosotros ?

Contribution in english

Greece, Syriza, the Euro… and what about us ?

[1La Banque Mondiale ou, là encore, le Fond Monétaire International

[2voir : www.anarkismo.net

[3ΣΥΡΙΖΑ / SYRIZA, Συνασπισμός Ριζοσπαστικής Αριστεράς / Synaspismós Rizospastikís Aristerás

[4Lors de ces élections, Syriza recueille 36,34% des suffrages exprimés ; soit les voix de 23,21% des inscrit-es, compte tenu des 36,13% d’abstentions.

[5Les « Grecs indépendants » (Ανεξάρτητοι Έλληνες / Anexártiti Éllines, ΑΝ.ΕΛ. ou AN.EL)

[638,31% de Non, 37,51% d’abstention, 24,18% de Oui, si on se base sur l’ensemble des inscrit-es.

 
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