La critique cinéma de Cluny : Ghobadi, « Les Chats persans »




Primé au dernier festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard, Les Chats persans est le cinquième film du réalisateur iranien d’origine kurde Bahman Ghobadi, révélé en 2000 avec Un temps pour l’ivresse des chevaux. Il raconte le parcours de deux jeunes musiciens qui essaient d’organiser un concert à Téhéran pour financer l’achat de faux passeports afin d’aller s’installer à Londres.

Pour le régime islamique iranien, la musique est impure puisqu’elle procure gaieté et joie. Alors, quand il s’agit de monter un groupe d’indie rock, on imagine bien toutes les difficultés auxquelles les apprentis musiciens peuvent être confrontés. Au début du film, quand Negar et Ashkan sortent de prison, la plupart des musiciens qu’ils rencontrent ont d’ailleurs eu maille à partir avec les nombreuses polices du régime.
Du coup, la musique se joue dans les caves, sur les toits, dans les étables ou les immeubles en construction, et la formidable énergie doublée d’une envie de liberté que dégagent ces musiciens s’oppose au carcan des autorisations délivrées au compte-goutte en vertu de règlements absurdes, comme celui qui interdit une chanteuse soliste mais autorise trois choristes. On comprend mieux pourquoi le livre de chevet de Négar est La Métamorphose de Kafka…

Bahman Ghobadi nous montre un des aspects du bouillonnement underground de Téhéran, celui des nombreux groupes qui se développent dans tous les styles : hard rock, blues, rap ou world music. Mais il aborde aussi une problématique qui le travaille depuis deux ans, et l’échec de son précédent projet,
60 Seconds About Us : savoir s’il est encore possible de créer en Iran, et donc la question de l’exil.

Après les premières années du régime des mollahs où n’étaient autorisés que des films de propagande, la censure s’est sophistiquée en imposant un code islamique interdisant de montrer une femme non voilée ou maquillée, des contacts physiques entre hommes et femmes ou des personnages portant une cravate. Progressivement, les cinéastes ont réussi à contourner ces codes, et dans des films comme Hors Jeu de Jafar Panahi ou A propos d’Ellie d’Asghar Fahradi, les personnages, notamment féminins, affichaient une liberté de comportement bien éloignée du dogme religieux. Le pouvoir s’est alors montré ambigu, autorisant ces films à aller récolter des prix dans les grands festivals, mais limitant leur sortie à quelques salles en Iran. Afin de ne plus avoir à finasser avec la censure, et parce qu’il savait que ce serait son ultime film iranien, Bahman Ghobadi a choisi de tourner Les Chats persans dans la clandestinité, jouant à cache-cache avec la police comme les héros de son film.

Tourné en numérique et sans éclairage, le film présente une forme éclatée, entre documentaire, fiction et clip, commençant dans une tonalité réaliste prononcée pour se finir dans une dramatisation symbolisée par un dernier plan de Negar, filmée pour la première fois tête nue, comme une annonce de ce que l’auteur filmera en exil.

  • Bahman Ghobadi, Les Chats persans, Iran, 2009, 101 min.
    Sortie le 23 décembre 2009

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