VIIe congrès d’AL - Angers - novembre 2004

Le fascisme est-il soluble dans la démocratie parlementaire ?




Le constat sur l’état de la menace fasciste depuis le dernier congrès d’AL en novembre 2002 est particulièrement préoccupant : ancrage de l’extrême droite en Europe et en France, perméabilité idéologique, atonie de l’antifascisme...

1. Ancrage de l’extrême droite en Europe

Dans un contexte mondialisé instable, la crise des Etats-nations européens et plus largement la crise de sens (cf. les analyses d’Alain Bihr), ont profité aux extrêmes droites européennes, avec toutefois des contrastes importants.

Dans trois pays au moins, l’extrême droite a réussi le tournant de l’institutionnalisation politique et se retrouve directement associée à l’exercice du pouvoir : Autriche, Italie et Suisse.

Il y a néanmoins une différence de stratégie entre le FN et ses homologues « institutionnalisés » d’Europe, en particulier d’Italie. La tradition gaulliste de la droite française - avec l’héritage revendiqué de la Résistance - freine les alliances ouvertes avec le FN. Cette opposition s’est affirmé en mai 2002.

Le FN rêvait d’une alliance gouvernementale avec la droite. Avant 1999 et la scission mégrétiste, les propositions dans ce sens étaient récurrentes, parfois avec du succès, comme aux régionales de 1998. Depuis la victoire sans appel de Chirac contre Le Pen en 2002, la fin des passerelles droite-extrême droite telle que Démocratie libérale (Madelin) ou la Droite libérale et chrétienne (Millon), et les prétentions hégémoniques de l’UMP, ce parti n’a plus intérêt à accepter de telles alliances.

Ceci n’empêche pas l’UMP d’appliquer un programme sécuritaire et xénophobe, bien au contraire. Elle est en concurrence avec le FN sur ce terrain, a pour l’instant la main et compte bien la garder.

Bref, le FN ne peut plus espérer une telle alliance avant longtemps. Son programme d’extrême droite institutionnelle a été largement repris par Sarkozy. La seule stratégie qui lui reste est la confrontation directe en renvoyant dos à dos la droite et la gauche, à l’aide d’un programme bien plus virulent que celui de nombre de ses homologues européens.
L’accession du FPÖ autrichien au pouvoir avait dans un premier temps provoqué des prises de positions politiques européennes timorées. Mais, sous prétexte de respect du fonctionnement de l’Union européenne, l’Autriche a réintégré dans l’indifférence la plus totale le « concert des nations », avec un mouvement antifasciste interne ainsi considérablement affaibli. En Italie, l’Alliance nationale (ex-MSI en filiation directe avec le fascisme mussolinien) et la Ligue du Nord participent sans entraves au gouvernement Berlusconi et tentent de mater le vigoureux mouvement social italien, en s’appuyant au besoin sur les lois d’exception, dont celles toujours en vigueur depuis les années de « stratégie de la tension ». En Suisse enfin, L’Union démocratique du centre (UDC), formation xénophobe de l’industriel multimillionnaire Blocher, a réussi une percée politique importante qui lui a permis de rafler un quart des sièges à l’Assemblée et de prétendre à un second siège au gouvernement confédéral.

Concernant les alliances des extrêmes droites à l’échelle européenne, un projet d’Eurodroite avait échoué une première fois en 1979, et le groupe des droites européennes créé en 1984 a disparu en 1994, du fait des tensions entre nationalistes italiens et autrichiens à propos du Sud-Tyrol. Depuis, par souci de respectabilité et de participation directe au pouvoir, l’Alliance nationale et le FPÖ ont pris leurs distances avec le Front national. Il a été un moment question pour Haider de constituer une plate-forme idéologique commune pour 2004, mais qui ne semble pas avoir abouti.

Hormis les liens avec d’autres formations d’Europe de l’Ouest, comme le puissant Vlamms Block en Belgique, le FN peut à présent miser sur les contacts anciens avec les partis ultra-nationalistes et violemment xénophobes d’Europe centrale et orientale, dont les pays ont intégré récemment l’Union Européenne.

L’objectif pour les uns comme pour les autres est de constituer un groupe à l’assemblée européenne, qui leur garantirait des moyens et une tribune politique.
Il ne faut pas négliger l’évolution idéologique autour du réseau européen de la Nouvelle Droite, sur le nationalisme, l’Europe, les régions. Est ainsi développée une vision impériale de l’Europe autour de la notion clef d’identité, avec des connotations raciales.

Même s’il y a encore quelques pays européens épargnés par des formations d’extrême droite électoralement fortes, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne, ils ont cependant connu de violentes émeutes racistes (El Ejido, Oldham...).
Un peu partout, les politiques libérales de droite comme de gauche ont fait sauter des digues idéologiques en axant leur programme sur la sécurité et son lien supposé avec l’immigration. En attisant les peurs et les replis identitaires sont favorisées des logiques de bouc-émissaires, et le développement actuel de l’arsenal législatif répressif représente un danger réel sur les libertés individuelles et publiques, réalisant ainsi une partie du programme de l’extrême droite. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’influence du 11 septembre 2001 et de la spirale sécuritaire et guerrière des Etats-Unis, dirigée par l’ultra-droite conservatrice.

Enfin, la campagne électorale des Européennes de juin 2004 s’est ouverte sur un fonds de commerce xénophobe avec la question épineuse de l’intégration de la Turquie à la CEE.

2. En France, banalisation du FN

Le Front national semble remis de sa scission fratricide fin 1998, du moins ses résultats électoraux depuis le 21 avril 2002 attestent d’une force restaurée. Par contre, le MNR de Mégret n’est pas parvenu à se doter d’une légitimité après son putsch manqué et semble en pleine déliquescence.
A présent, l’enjeu pour Le Pen, qui dispose d’une base électorale relativement stable (le vote protestataire est devenu un véritable vote d’adhésion), est de réussir une percée politique significative. Cela passe par une entreprise de banalisation du Front et de son programme national-social, processus déjà bien entamé, pour un élargissement de son audience dans toutes les classes sociales. Les groupuscules radicaux regroupés notamment autour du Bloc Identitaire sont ainsi tenus à l’écart, surtout depuis la tentative d’attentat sur Chirac, et Le Pen joue par ailleurs sur l’image de sa fille qu’il a désignée pour lui succéder. Le FN a pu également jouer sur du velours avec l’affaire du voile, ou avec la recrudescence des actes antisémites et racistes.
Prouvant une fois de plus sa capacité à s’adapter, le FN tente de détourner à son compte le thème de « l’insécurité sociale » pour masquer son véritable programme. Même s’il y intègre régulièrement des orientations « sociales » (transports, sécurité sociale...), il reste axé sur la « préférence familiale » et la « préférence nationale », véritable projet d’apartheid.

A cet égard, il convient de rappeler dans notre argumentaire antifasciste que les villes-laboratoires en région PACA ont fait l’amère expérience - dans un climat de corruption, clientélisme et violence - de la mise en pratique du projet totalitaire du Front, et il reste pourtant encore dans ces villes une part importante de l’électorat conquis par le FN. De même, il faut évoquer la politique anti-sociale préconisée par les élus d’extrême droite qui siègent dans les conseils régionaux.

3. Quelle stratégie pour l’antifascisme ?

En France, l’antifascisme de masse n’est pas parvenu à se restructurer, en dépit du « séisme » du 21 avril 2002 et des manifestations de masse qui ont suivi. Il y a eu une incapacité d’impliquer dans la durée les millions de personnes descendues spontanément dans la rue, notamment les lycéens et étudiants, et donc de dépasser la dimension émotionnelle de la mobilisation antifasciste.

La situation n’est guère reluisante, puisqu’il y a un désintérêt manifeste, quoique embarrassé, des organisations politiques traditionnelles sur la question de l’antifascisme (même le PS a fait le choix de ne pas réactiver ses sous-marins tels que SOS-Rassis-me ou le défunt Manifeste contre le FN). Si des militants de la LCR s’impliquent individuellement toujours sur le terrain, leur démarche électoraliste a défini d’autres priorités.

Ras l’Front n’est pas parvenu à retrouver un second souffle et, même si des collectifs locaux sont toujours actifs à Paris et dans certaines régions, il n’y a plus de campagne ou d’apparition nationale. Les militants associatifs et syndicaux les plus avertis gardent une vigilance minimale, mais il n’y a pas d’investissement collectif dans la lutte antifasciste. Un outil a survécu : Informations syndicales antifascistes (ISA), animé par quelques syndicalistes, diffuse régulièrement des informations sur les offensives sociales et syndicales du Front national.

En dépit de quelques régions où des collectifs unitaires locaux parviennent ponctuellement à se mobiliser, il n’y a guère que les libertaires qui gardent une certaine cohérence et tentent régulièrement d’organiser et de manière unitaire des mobilisations sur les marchés, contre les meetings du Front, les manifestations des groupuscules radicaux ou les commandos anti-avortement. Cet axe doit être maintenu et renforcé à l’échelle nationale.

A l’échelle européenne, le FSE de Saint-Denis a connu une tentative de structuration sans lendemain. Seuls les antifascistes radicaux (comme Reflex en France) tentent de structurer un réseau au niveau européen.

En ce qui concerne AL, l’antifascisme s’est limité à quelques apparitions, voire initiatives unitaires, et à la défense du camarade de Nîmes. Un des enjeux du prochain Congrès pourrait être de réactiver enfin une Commission Antifascisme sur la base d’une volonté commune et d’un investissement concret des militant-e-s d’AL. En plus d’alimenter l’organisation en articles, tracts, réflexions, cette Commission Antifascisme n’aurait de sens que si une stratégie est mise en œuvre, dans une démarche unitaire au moins avec les organisations libertaires, et en direction des populations de nos quartiers.

 
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