Le symptôme OrelSan




La polémique relative à deux chansons du rappeur OrelSan, et à l’initiative d’un certain nombre d’organisations ou d’associations féministes (entre autres Pluri-Elles, SOS Sexisme, Elu/es Contre les Violences faites aux Femmes, Les Chiennes de garde et La Marche Mondiale des Femmes), est tout à fait légitime. Elle vise, outre à vouloir interdire la présence du rappeur au Printemps de Bourges, surtout à publiciser ce qui reste trop souvent cantonné à une approche sociétale faible en enjeux politiques : la violence, symbolique et physique, perpétrée envers les femmes.

Pour rappel, en France et en moyenne, une femme meurt tous les trois jours à la suite de violences conjugales [étude nationale sur les décès au sein du couple sur les neuf premiers mois de 2006 - Source police-gendarmerie]. Pour l’année 2004, les violences conjugales se chiffrent à plus de 39.000 faits constatés par les services de police et de gendarmerie : 162 femmes et 25 hommes tué-e-s par leur compagnon ou compagne, et 12 % des viols commis sur les femmes majeurs sont le fait de leur compagnon. Enfin, d’après une étude de l’Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes, le coût des violences conjugales en France se chiffrerait, pour l’année 2004, à 1 milliard d’euros (coût santé, police-justice, logement-prestations sociales, etc.)

Certes OrelSan n’est pas le seul chanteur à exprimer des propos intolérablement sexistes, et il ne s’agit pas de stigmatiser tous les chanteurs (de rap ou d’autre chose). Mais l’occasion nous est ici donnée pour exposer, au cœur d’un débat public et sur des questions féministes, la singularité d’une point de vue politique soutenu par l’analyse sociologique. A ce premier problème s’en ajoute un second : la manière dont un discours consensuel, toujours réitéré par les médias, s’empare de cette question pour continuellement seriner que la violence sexiste s’exerce davantage dans un certain type de milieu social, à savoir ici les quartiers populaires.

D’une part, il est évident que ce rappeur, malgré la manière dont il a voulu se défausser du contenu de la première chanson incriminée et intitulée Sale pute en affirmant qu’il incarnait un sexiste de fiction inventé pour le critiquer, paraît devoir ignorer toute forme stylistique de distanciation qui rendrait justement compte de l’écart entre le personnage interprété et son interprète. Ensuite, la deuxième chanson intitulée J’aime pas la Saint-Valentin, fonctionnant de la même façon que la précédente, confirme le malaise. Cet aspect "je persiste et je signe" ne permet plus d’avoir aucun doute sur l’individu.

D’autre part, le cynisme mercantile de ce rappeur, fils d’une institutrice et d’un directeur de collège en Normandie qui n’a donc jamais vécu dans les quartiers de la relégation sociale, s’origine dans une représentation figée de la jeunesse des quartiers populaires considérée massivement comme sexiste, et à laquelle il s’adresse comme s’il avait affaire à un segment de marché facile à cibler. Sans compter sur une volonté probable de polémique renversée, selon des mécanismes de marketing élémentaires, en scandale, et donc en publicité gratuite.

Enfin, et c’est le plus important, parmi toutes les organisations et associations féministes citées précédemment, figure également Ni Putes Ni Soumises, ce satellite du PS qui représente pour le sexisme ce que SOS Racisme vaut pour le racisme, à savoir l’instrumentalisation consensuelle et médiatique de questions spécifiques pour les envisager dans une perspective dépolitisée et déconnectée de toute critique des formes sociales de domination. Cette association, anciennement dirigée par la sarkozyste Fadela Amara, profite de la situation pour montrer à tout le monde qu’elle ne vivote pas seulement sous perfusion grâce aux subventions généreuses offertes par des institutions publiques (Conseil régional d’Île-de-France, Mairie de Paris, etc.) comme par des entreprises privées (FNAC, L’Oréal, Vinci, Philip Morris, Philippe Starck, etc.) qui la maintiennent encore à flot alors que son implantation dans les quartiers populaires est davantage fantasmée que réelle.

La polémique « OrelSan », surtout quand des groupes d’intérêt tels Ni Putes Ni Soumises s’en mêlent, est de notre point de vue l’expression symptomatique d’un certain type consensuel de discours féministe dramatiquement incapable d’articuler anti-sexisme et antiracisme, sacrifiant le second terme pour privilégier le premier. Ce discours certes ne domine pas la totalité du féminisme français. Mais ses lieux communs, incessamment répétés et médiatiquement relayés, et qui affirment que la frange la plus sexiste de la population française vit dans les quartiers populaires, sont tout simplement faux sur le plan sociologique. Comme le montre l’enquête ENVEFF coordonnée en 1999 par Maryse Jaspard. Comme l’ont répété les sociologues Eric Macé et Nacira Guénif-Souilamas dans leur livre Les Féministes et le garçon arabe. Et comme le rappellent encore récemment les sociologues Christine Delphy et Sylvie Tissot dans un point de vue argumenté situé dans le numéro de Politis (semaine du 26 mars 2009, n°1045).

Pour le coup, il y a tout lieu de critiquer et déconstruire le discours visant à stigmatiser les habitant-e-s (notamment les garçons d’ascendance migratoire et coloniale) des quartiers populaires, forcément sexistes puisque pauvres et acculturé-e-s. Alors que l’on sait que le sexisme, comme forme structurelle de domination spécifique et irréductible aux autres formes de domination que sont le capitalisme et le racisme, traverse sans exclusive ni hiérarchie toutes les classes sociales.

Le sexisme (réel) des pauvres ne devrait plus être cet écran idéologique visant, par l’insistance politiquement intéressée à ne parler que de lui, à refouler le sexisme (réel) des plus riches. Qu’il s’agisse du rappeur OrelSan ou du député UMP de la Moselle Jean-Marie Demange, qui s’est récemment suicidé après le meurtre de sa compagne, et pour qui une minute de silence fut donnée à l’Assemblée nationale ! C’est un élément politique important que l’on se doit de faire entendre pour être crédible auprès de toutes les personnes victimes de la domination, qu’elle relève du domaine de l’exploitation capitaliste, du patriarcat, comme du racisme.

Franz Biberkopf (AL Seine St Denis)

 
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