Les Chroniques du travail aliéné : Camille, gériatre




Les Chroniques du travail aliéné par Aline Torterat, médecin du travail.

Je suis un médecin gériatre un peu âgé, j’ai plus de 55 ans et je suis coordonnateur dans une maison de retraite privée. Avant j’étais contractuel dans un hôpital gériatrique mais c’était vraiment trop loin de chez moi. Alors j’ai décidé d’essayer mon métier dans un établissement privé. Ma période d’essai m’a permis de considérer que je mettais aussi l’établissement à l’essai pour prendre ma décision et accepter ou non un CDI. D’ailleurs, ce CDI, j’ai commencé par le refuser en faisant prolonger ma période car j’avais des réticences.

Il faut dire que j’avais tout à mettre en place : les protocoles, les formations, les modes de transmissions... Mais je me suis assez vite aperçu que c’était très difficile. Les gants étaient fournis au compte-gouttes et les personnels qualifiés étaient en nombre très insuffisant, les absents et les absentes n’étaient jamais remplacé-e-s et il faut dire que l’absentéisme était chronique. Forcément, à n’embaucher que ceux et celles qu’on payait le moins cher et à restreindre sur tout.

Du coup, impossible d’organiser des transmissions aux changements d’équipe car ça prenait trop de temps, impossible de faire mettre dans chaque chambre des distributeurs d’essuie-mains jetables et de solution hydro-alcoolique, impossible d’organiser des formations à du personnel aussi mouvant et tellement plus préoccupé par ses propres difficultés.

Mais ce qui a fait déborder le vase c’est lorsque je me suis vu agressé par le directeur parce que je dépassais les rations des petits déjeuners : deux biscottes par plateau, pas plus, et une petite plaquette de beurre ou bien une confiture, mais pas les deux. Tout de même, il y en a qui ne mangent que le matin, c’est important de leur donner ce qu’ils ont envie de manger ! Et le midi, je ne supportais plus de voir tout desservir parce que c’était l’heure alors que certains n’avaient presque rien mangé. Il y a de la dénutrition !

Ensuite c’est l’histoire des couches. Une ancienne m’a montré une note de service disant que les changes de nuit généraient un surcoût de 4 210 € par an, donc qu’il ne fallait pas faire de changes la nuit pour protections mouillées, sauf « les saturées de façon exceptionnelle et justifiée ». Le pire, c’est que sur cette note, il y avait des menaces de sanctions.

Et là-dessus une nouvelle épidémie de gale, c’est la troisième en trois ans. Impossible de faire appliquer les règles de désinfection du Comité de lutte contre les infections nosocomiales ! C’est tout de même bizarre que je n’aie entendu aucune critique chez les soignants et soignantes ou qu’aucune famille ne se soit plainte. Cela me rappelle une impression fugace que j’avais ressentie mais pas analysée de ce directeur qui câline trop les personnes âgées quand il y a une troisième personne présente ; une voix trop attentionnée « alors Mme Z, ça va bien aujourd’hui ! ». Trop décalé !

Alors j’ai baissé les bras, j’ai démissionné et je retourne dans une structure hospitalière. C’est tout de même autre chose. Et cette maison de retraite est une des plus chères du département. Je me demande bien où va tout cet argent économisé !

  • Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.
 
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