Les Chroniques du travail aliéné : « j’ai assisté au tabassage en règle d’un jeune détenu »




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

On vient de recevoir une circulaire d’application immédiate. Il va falloir qu’on fasse « un diagnostic à visée criminologique »… Trois très longs entretiens en trois mois, pour chaque criminel, et qu’on dise, entre autres, si l’entourage familial est suffisant, comment se situent les proches par rapport aux faits commis et qu’on pose tout un tas de questions très précises, aussi comment se situe la personne elle-même par rapport à ce qu’elle a fait, à la peine qu’on lui a infligée, les causes de ses ruptures sociales et psychologiques, ses problèmes médicaux… Ça vient directement du Canada, on veut tout savoir sur tout le monde, le logiciel pourra être consultable par un peu tout le tribunal. On ne sait pas très bien, la seule chose qu’on nous dit c’est que « la Cnil est d’accord ». On nous place de fait en abus de pouvoir permanent. On va devenir des opérateurs de saisie de l’âme et du corps ? Jamais je n’ai forcé jusqu’à aujourd’hui quelqu’un à me parler de sa famille, de ses proches, de son état de santé. Ils le faisaient s’ils le voulaient. Et tout ça dans le but de remplir un document informatique dont je ne connais ni les lecteurs ni l’usage qui en sera fait. Je ne sais pas ce qui va m’aider à tenir là-dedans. Le seul truc rassurant c’est qu’il faudrait au moins deux heures par entretien, on a plus de cent personnes en suivi, sur plusieurs lieux, la prison, le tribunal principal, les bureaux dans les petites villes éloignées, etc. Donc, c’est simple : on n’aura pas le temps de le faire ! Déjà avant on voyait moins les gens et on écrivait plus, mais alors là... La psychologue du service pénitentiaire ne doit plus rencontrer les gens, ni nous les travailleurs sociaux pour parler des cas difficiles, ni faire de groupe de parole. Elle se demande bien ce qu’elle doit faire, comme si on voulait supprimer son poste ?

Hier j’ai assisté au tabassage en règle d’un jeune détenu par plusieurs surveillants pour finir par le transporter manu militari jusqu’au mitard. Pourtant je les connais bien, ils ne sont pas, un par un, des salauds, ils font comme ils peuvent. Un détenu est revenu de la promenade avec la figure en sang. Ça faisait des semaines que mon collègue alertait tout le monde. La maison d’arrêt est occupée à 200%. Ça vient sans doute de là. Et puis la prison en elle-même, quelle idée bizarre d’enfermer les gens dans des conditions pareilles. Et nous avec.

 
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