Les chroniques du travail aliéné : « J’ai décâblé », Marie-Chantale, zoothérapeute indépendante




Les chroniques du travail aliéné par Aline Torterat, Médecin du travail

Marie-Chantale, zoothérapeute indépendante [1]

Je suis une autodidacte. Après un CAP de secrétariat, j’ai commencé à travailler à 18 ans comme assistante d’un vétérinaire, « sur le tas ». J’ai découvert mon plaisir à m’occuper des animaux, en particulier des chiens. Au bout de quelques années, je me suis lancée dans l’éducation canine avec un compagnon. Je me suis alors aperçue combien le soin apporté à ces animaux pouvait avoir des vertus thérapeutiques. D’abord, en prenant des jeunes stagiaires d’établissements pour enfants en difficultés. Ça les métamorphosait de voir et de comprendre l’attachement du chien à leur personne. Leur comportement s’adoucissait presque magiquement. Et puis aussi à cause d’un homme qui venait de perdre un enfant et qui était venu m’acheter un chiot. L’idée m’est venue à ce moment-là d’utiliser les animaux comme médiateurs affectifs auprès des personnes atteintes d’Alzheimer dans les maisons de retraite et d’enfants dans les Instituts médico-éducatifs (IME). De la zoothérapie, cela s’appelle ! J’ai concrétisé mon projet en fondant une association, maintenant reconnue d’intérêt général, dans laquelle j’étais au départ la seule salariée.

Avec l’aide d’animatrices ou d’aides-soignantes, j’anime des ateliers l’après-midi, de motricité, de mémoire, qui durent chacun une heure. Par exemple faire marcher le chien en laisse au pied pour la motricité, lancer des ballons de couleur pour la mémoire. On a quinze établissements. J’entretiens tous les animaux chez moi. J’ai actuellement huit chiens à la maison, cinq chats et un lapin. Il y a cinq chiens et trois chats qui m’appartiennent, les autres sont la propriété de l’association. Alors je travaille tout le temps et ne suis payée que pour mes interventions. On manque d’argent. On fait appel à des « bienfaiteurs » tels que des clubs de bridge, le Lions Clubs, etc., les maisons de retraite versent aussi un peu. C’est lourd. Et j’ai eu des problèmes perso, tous en même temps : disparition de la tante qui m’avait élevée, mon mari qui se casse une omoplate, ma fille qui ne s’adapte pas au système scolaire, campement dans une caravane avec les cinq chiens et les trois chats, en attente de fin de travaux de la maison sans compter les animaux qu’il faut nourrir et nettoyer. Tout ça toute seule, tout le temps et gratuitement…

Mon corps a lâché, je me suis sentie décâblée. Je ne pouvais plus rien faire, anéantie, inerte. J’ai dû m’arrêter et arrêter mes ateliers. J’aurais besoin d’une supervision me dit ma psychologue. En fin de compte, je me suis complètement enchaînée moi-même. Je viens de le comprendre. Imaginer le montage d’une « entreprise » professionnelle qui s’appuie sur l’intrication de la bienfaisance, du volontariat, du salariat, de la vie familiale et de la vie professionnelle, sans cloisonnements, pour gommer les rapports salariaux de subordination. Au fond, les rapports hiérarchiques, dans un travail divisé entre ceux qui prescrivent et ceux qui s’échinent à rendre tout ça possible, ça éclaircit peut-être les idées et permet de mettre des limites… Je m’en suis trop demandé.

[1Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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