Lire : Freddy Gomez « Éclats d’anarchie »




Une écriture précise, une narration instructive, des analyses souvent pertinentes : ce sont les Mémoires de Freddy Gomez, discret animateur de la revue A Contretemps.

Depuis 2001, cet exigeant bulletin de « critique bibliographique » – désormais exclusivement sur le web – s’est distingué par son goût pour une histoire démythifiée du mouvement libertaire. Se situant dans la même veine, les quelque 500 pages de ces Éclats d’anarchie, sous-titrés « Passage de mémoire », ne déçoivent pas les attentes.

L’enfance de Freddy Gomez, c’est le milieu de l’Exil espagnol, dans le Paris des années 1950-1960 : une vie chiche, l’entraide, les rendez-vous dominicaux au siège de la CNT, rue Sainte-Marthe, le cérémonial des meetings en rouge et noir, la camaraderie mais aussi les dissensions entre vaincus du franquisme, les yeux rivés sur une Espagne désormais hors d’atteinte.

C’est ensuite le lycée Michelet de Vanves, temple de l’ennui et de l’autorité en blouse grise, dont les instances sont littéralement balayées par la déferlante de Mai 68. S’ensuit, pour une partie de sa génération, le feu d’artifice d’un gauchisme effréné. Gomez, lui n’y trempe qu’un pied vite retiré. La vieille culture anarcho-syndicaliste de ses parents, très prosaïque, semble le préserver des emballements existentiels et spontanéistes qui caractérisent l’époque.

En fait, Freddy Gomez est un militant circonspect, de ceux qui épaulent le mouvement libertaire du dehors, mais évitent de s’y engager pleinement. Cette position aurait pu le faire glisser vers le rôle du commentateur « indépendant », autosatisfait ou donneur de leçons comme on en connaît trop. Il n’en est rien. Dans son livre, il évite les jugements à l’emporte-pièce, il choisit ses mots, il nuance, s’efforçant d’examiner le passé de façon la fois humaine et lucide.

Il livre ainsi des commentaires sévères sur l’action du Mouvement ibérique de libération (MIL) à la fin du franquisme, et une analyse quelque peu mélancolique de la reconstruction éclair de la CNT espagnole, puis de son irrésistible « déconstruction » entre 1975 et 1978. A l’époque, Gomez vit entre la France et l’Espagne, et participe à la revue Frente Libertario, émanation d’une tendance de l’Exil qui cherche à réaliser la jonction entre l’anarcho-syndicalisme historique et les nouvelles formes de contestation ouvrière et sociétale dans la péninsule.

C’est à cette époque qu’il réalise une série d’entretiens avec des témoins capitaux de la Révolution espagnole – Diego Abad de Santillán, Felix Carrasquer, Juan García Oliver, José Peirats, entre autres.

Après sa période espagnole, Freddy Gomez « reprend le collier » et, dans les années 1980, devient un militant en vue de la CGT-Correcteurs, syndicat « pas comme les autres » qui, incrusté dans ce bastion stalinien qu’est la fédération du Livre, maintient son référent syndicaliste révolutionnaire. C’est une époque où la révolution technologique dans la presse bouleverse tous les repères d’un monde ouvrier sommé de s’adapter ou de disparaître. Gomez décrypte les stratégies dissonantes qui cohabitèrent, à ce sujet au sein de la fédération du Livre.

Ces mémoires s’achèvent sur des souvenirs plus récents, liés à l’aventure de la revue A Contretemps à partir de 2001, et sur des considérations plus générales – sur la question de la violence, sur le syndicalisme... Il consacre également quelques pages amères à la vogue postmoderniste des années 1970 qui, lovée dans la contre-révolution libérale, a œuvré à désarmer la pensée révolutionnaire.

Guillaume Davranche
(AL Montreuil)

  • Freddy Gomez, Éclats d’anarchie – Passage de mémoire, conversations avec Guillaume Goutte,
    éd. Rue des cascades, 2015, 496 pages,
    18 euros.
 
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