Lire : Pascale Fautrier, « Les Rouges »




Roman historique, roman familial et autofiction, ce livre est aussi un pamphlet politique où le peuple de l’Yonne parle vrai et fort dans une filiation, celle « des Rouges » dont on suit la trace de 1789 à maintenant. Le roman se découpe en trois grandes séquences. Une séquence plus historique de 1789 à la Libération qui offre des pages magnifiques sur les insurrections méconnues (1851) ou sort de l’oubli un « maquis des Algériens » dont l’histoire est à écrire. À défaut de bastion ouvrier dans l’Yonne on découvre une France d’artisans et de petits paysans « rouges » dont l’historiographie a été négligée au profit du prolétariat industriel. Hommage à la grand-mère de l’auteur qui racontait inlassablement à l’heure d’éplucher la soupe l’histoire de la famille, du village et du PCF avant-guerre.

Une seconde séquence, centrée sur le PCF d’après-guerre jusqu’aux années 1970, est l’occasion d’un hommage au père, dirigeant local du Parti. Et ­d’une description fine et intelligente du bastion cheminot autour de la gare de Migennes, de sa confiscation par les ­cadres intermédiaires issus de la fonction publique, de la tornade intellectuelle et morale ouverte par Mai 68, des débats entre dirigeants et intellectuels autour ­d’Althusser… Dans la dernière séquence, l’auteur se dévoile, pense poursuivre l’histoire « des Rouges » en rejoignant l’OCI (lambertiste). Si elle est trop jeune pour raconter l’entrisme dans le PS des années 1960/1970 et la campagne pour faire élire Mitterrand en 1981 portant cette organisation à son zénith, on suit avec intérêt les mœurs et les pratiques, partiellement dévoilées, jusqu’aux exclusions et scissions dont elle ne se ­relève pas.

Reste une énigme qui agacera sans doute plus d’un lecteur. L’auteur qui restitue ici une fresque documentée et émouvante des rêves et des défaites « des Rouges » propose que se retrouvent au sein du Front de gauche tout ce petit peuple militant, travaillant et espérant, dont elle est une remarquable interprète. Y compris, dit-elle, les anarchistes, en évoquant la richesse des débats au sein de la Première Internationale. Comme si elle n’osait pas aller au bout de la logique de ses critiques du stalinisme et du lambertisme. Comme si finalement elle n’avait pas compris vraiment le livre qu’elle nous offre.

Jean-Yves (AL 93)

Pascale Fautrier, Les Rouges, Le Seuil, 2014, 560 pages, 23 euros.

 
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