Livre : Espagne 36, les affiches des combattants de la liberté




« Raconter l’histoire, les histoires de l’Espagne entre 1936 et 1939, à travers une lecture des affiches éditées lors de cette période, quelle drôle d’idée ? »

La guerre d’Espagne, plus que toute autre, a eu des implications idéologiques immenses. Parce qu’elle a suscité un immense élan de solidarité à travers le monde. Parce que ses lignes de front n’ont pas toujours été claires - "République" contre fascisme ? Prolétariat contre bourgeoisie ? Espagnols contre Italo-Allemands ? Parce qu’elle a été commentée, célébrée et maquillée dans le même temps, détournée de son sens véritable, la guerre d’Espagne a été le théâtre d’une intense propagande politique : 3 000 affiches ont été conçues entre 1936 et 1939 nous apprend le livre. Au total, plus de dix millions d’affiches auraient été collées sur les murs. C’est une partie de cet immense patrimoine pictural que les Éditions libertaires et du Monde libertaire ont rassemblé ici, pour la première fois de façon aussi exhaustive, avec un luxe de détails et de précisions parfois inédites.

Ces affiches, apprend-t-on, ne sont pas le fruit d’une génération spontanée d’artistes. Dès les années 20, les travailleurs des arts graphiques s’organisent en syndicats, affiliés à la CNT ou à l’UGT, forment des groupes politiques (l’Union des écrivains et des artistes prolétariens à Valence, El Nis à Barcelone) et mettent leur talent au service de la révolution.

Il n’est pas rare que ces militant(e)s aient travaillé, avant et pendant la guerre, pour des agences publicitaires. Leurs productions sont fortement ancrées dans leur époque. La symbolique y est aussi omniprésente que marquée par la division sexuelle des rôles. Le corps des hommes - parfois doté d’une musculature digne de la statuaire soviétique - incarne la force, le courage, la détermination, la solidarité, en un mot : l’héroïsme. Les figures du paysan, de l’ouvrier, du milicien, du marin, reviennent inlassablement. Le corps des femmes est plus fréquemment lié à la compassion, à la détresse, à la patience, bref, à un registre pathétique. Il nourrit également les allégories de l’émancipation et, finalement, si l’on s’en tenait à l’imagerie dominante, peu de femmes auraient pris part, au premier rang, à la guerre et à la révolution. Aux côtés des mères, des épouses, des infirmières et autres institutrices, on trouve malgré tout quelques miliciennes. Cette présence des femmes au combat est néanmoins progressivement gommée, comme le notait par exemple Georges Orwell, avec la "normalisation" de la situation dans le camp républicain, une fois étouffé le souffle révolutionnaire des premiers mois de la guerre.

L’ouvrage s’essaie à une réflexion typologique sur les affiches présentées, en fonction de leur commanditaire notamment, et à une réflexion plus générale sur le rapport entre le style employé et le message à transmettre. Néanmoins la plus belle innovation de cet ouvrage est de nous offrir quelques notices biographiques des auteurs de ces affiches. Pour finir, et c’est bien la moindre des choses vu le sujet traité, bien loin d’être un austère produit universitaire, ce livre est avant tout un bel objet, à la conception graphique somptueuse.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

  • Espagne 36, les affiches des combattants de la liberté, les Éditions libertaires/Éditions du Monde libertaire, 33 euros. Conception et coordination par Wally Rosell.
 
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