Loi matraque au Québec : le gouvernement panique




Il y a quelques jours, le gouvernement québécois a adopté une loi visant à casser le mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité dans les universités. Retour sur une lutte qui dure depuis plus de trois mois avec le texte d’une camarade en première ligne.

Au moment où j’écris ces lignes, cela fait une semaine que le gouvernement a passé une loi spéciale visant à tuer le plus grand mouvement de grève étudiante de l’histoire du Québec. Cette grève, qui a vu se réunir dans les rues plus de 250 000 personnes le 22 mars dernier, dure maintenant depuis plus de 15 semaines et prend une tournure que personne n’aurait pu imaginer il y a encore quelques mois. La raison principale du conflit est la décision idéologique du gouvernement de faire passer les frais de scolarité universitaire de 2 168 à 3 793 dollars [1] par an, soit une hausse de 75 %, étalée sur 5 ans. Face au gouvernement, deux fédérations, la Fédération étudiante universitaire du Québec (Feuq) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (Fecq), ont un passif de collaboration et d’à-plat-ventrisme vis-à-vis du gouvernement, alors que la Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante (Classe) constitue l’aile la plus combative du mouvement [2]. La Classe, regroupant la majorité des étudiantes et étudiants en grève, a réussi à imposer un rapport de force sans précédent vis-à-vis des fédérations, à tel point que celles-ci ont été obligées de rester solidaires à son égard alors que la ministre de l’Éducation faisait tout ce qu’elle pouvait pour l’écarter des négociations.

[*Détermination des grévistes*]

Depuis plus de 15 semaines, le gouvernement refuse de négocier et reste campé sur sa position. Plutôt que de tenter de résoudre cette crise politique, il essayait jusqu’à présent de jouer la carte de la judiciarisation en laissant les injonctions [3], de la part d’administrations ou d’individus, se multiplier. Plusieurs collèges et universités ont alors tenté de forcer le retour en classe. C’était sans compter sur la détermination et la solidarité des grévistes, qui ne se sont pas laissé intimider par les menaces de sanction et les matraques. Partout, les gens se sont organisés, et se sont déplacés là où du renfort était nécessaire. La grève et la mobilisation n’ont donc pas faibli depuis des négociations carnavalesques. Tous les soirs (!), à 20h30, une manifestation réunit des milliers de personnes dans les rues de Montréal, en plus d’autres actions et manifestations organisées dans la journée. Mais le gouvernement ne bouge toujours pas. Au contraire, plutôt que de tenter de négocier – même pas pour un accord au rabais – le gouvernement vient de dégainer une loi spéciale, liberticide et antidémocratique. Cette loi, si elle suspend les semestres jusqu’en août, vient surtout attaquer toute la légitimité politique de la grève étudiante, de nos instances décisionnelles démocratiques ainsi que les droits fondamentaux d’une société minimalement démocratique. En pratique et dans les grandes lignes, cette « loi-matraque » abolit le droit de manifester, annihile le droit de grève étudiante – le gouvernement refuse d’ailleurs de parler de « grève » mais seulement de « boycott de cours » – prévoit des amendes allant de 1 000 à 125 000 dollars pour quiconque participe ou encourage une manifestation illégale ou un piquet de grève sur un campus. De plus, cette loi permet de retirer l’équivalent d’un semestre de cotisations aux associations étudiantes pour toute journée de grève effective [4]. On se rend vite compte que l’enjeu dépasse le cadre des droits de scolarité : c’est le mouvement étudiant en tant que force sociale combative que le gouvernement veut mater à court, moyen et long terme.

[*Une sacrée claque pour le gouvernement*]

Au moment où j’écris ces lignes, la loi-matraque (ou « Loi 78 ») est en vigueur depuis plus d’une semaine. Mais la résistance continue et se renforce. Loin de se laisser démonter par cette loi, les étudiants et les étudiantes ont redoublé d’ardeur à manifester et à tenir bon. Plus encore, la population dans son ensemble se joint de plus en plus à la lutte : c’est ainsi que le 22 mai dernier, plus de 250 000 personnes se sont une nouvelle fois retrouvées dans les rues de Montréal, battant un record historique d’affluence et faisant de cette manifestation de la Classe – qui a annoncé son intention de ne pas se conformer à la loi – l’acte de désobéissance civile le plus massif de l’histoire de la province, l’itinéraire n’ayant (évidemment) pas été donné aux autorités [5]. Le soir, les militants et militantes doivent faire face à une répression sans précédent, et à des arrestations de masse des plus brutales [6]. La réaction populaire est néanmoins inouïe, car ce sont maintenant des familles entières, des salarié-e-s, des enfants, des retraité-e-s, qui sortent par milliers dans les rues et manifestent TOUS les soirs en faisant régner un joyeux tintamarre en tapant sur des casseroles. Cette pratique, inspirée de ce qui se faisait au Chili lorsque l’État de Pinochet avait interdit les manifestations, fait naître une ambiance tout à fait incroyable dans les rues, certains la qualifiant même de « magique ». Si l’État veut nous marginaliser en nous faisant porter la responsabilité des violences nocturnes, force est de constater que cette tentative est un échec cuisant, et qu’elle n’a fait que renforcer son opposition. Politiquement, socialement et émotivement, le bilan est jubilatoire. Personne ne sait encore quel(s) chemin(s) la lutte va prendre. Mais une chose est sûre : une brèche a été faite et l’ordre établi a pris une sacrée claque, d’autant plus que toute une génération de personnes politisées et impliquées est en train de voir le jour. Moralement et politiquement, nous avons donc déjà gagné. À nous maintenant de consolider collectivement ces acquis, pour contrer toute mesure rétrograde et pourquoi pas, prendre un train d’avance en proposant des solutions alternatives au système en place !

Clémence, depuis le Québec

[11 673 à 2 928 euros.

[2Feuq et Fecq correspondraient en France à l’Unef, la Classe à un regroupement temporaire des syndicats étudiants tels que Sud-Étudiant et la FSE.

[3Recours juridiques contre la grève. Quiconque ne s’y conforme pas peut se faire accuser d’outrage au tribunal. Ce n’est donc pas anodin et les risques sont assez grands lorsqu’on décide de défier de telles décisions !

[4Au Québec, tous les étudiants, lors de leur inscription cotisent obligatoirement pour l’association étudiante qui les représente. Le budget des syndicats peut ainsi être considérable (plusieurs centaines de milliers d’euros).

[5Le droit de grève au Canada est des plus limités : n’ont droit de faire grève que les salarié-e-s en cours de négociation de conventions collectives. Pas question de faire grève sur des enjeux sociaux, au risque de s’exposer à des amendes particulièrement salées. C’est donc hors des cadres institutionnels que se poursuit la lutte populaire autour de la grève étudiante.

[6Il y a eu plus de 700 arrestations, environ 500 à Montréal et 200 à Québec la nuit du 22 au 23 mai.

 
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