Luttes climatiques : Le siècle des marches




Mouvement de jeunesse ou bien d’ONG, les marches pour le climat se multiplient. Mais au-delà de l’évènement il est nécessaire de clarifier les objectifs recherchés et de faire le lien avec les luttes sur le terrain qui donnent du concret à un évènement pour faire en sorte que ces mobilisations ne soient pas que « du vent ».

La marche du 8 septembre 2018, initiative lancée après la démission de Hulot, avait déjà rassemblé beaucoup de monde [1]. Mais numériquement ce rassemblement a été de loin surpassé le 16 mars par la coordination de quatre grosses ONG – Oxfam, Greenpeace, les Amis de la terre et WWF –, soutenue par toute la sphère écolo citoyenne. Malgré la participation importante à cette initiative, appelant l’État à accélérer la « transition écologique », on peut douter qu’il aura une réelle efficacité pour infléchir la politique du gouvernement.

A contrario semblent bien plus intéressants les mouvements de collégien.nes, lycéen.nes et étudiant.es qui font la grève de l’école les vendredis. Faire la grève pour avoir un enseignement qui ne mène pas qu’à des promesses de boulots, revendiquer une formation menant à une émancipation de cette société de destruction, une société égalitaire…

Là aussi le mouvement possède ses quelque personnalités controversées (comme la Suédoise Greta Thunberg), mais les mouvements de jeunesse construisent un nouvel axe de revendications qui promet un avenir de lutte. L’État – qu’Hulot et consorts supplient d’agir – ne s’y trompe pas : il a envoyé la gendarmerie pour faire place nette dès le premier vendredi de grève des lycéen.nes [2]. Il faut croire que la jeunesse fait toujours peur au pouvoir.

Une politisation dépolitisée

La marque de fabrique de ce mouvement est la conjonction des revendications concernant la justice sociale et la justice climatique. Le lien entre les « fins de mois » et la « fin du monde » est en effet essentiel dans la construction de revendications, et l’écologie sort enfin du ghetto de la dépolitisation totale dans laquelle elle était entrée depuis deux décennies. Si on peut s’en féliciter et reconnaître le travail politique d’un certain nombre d’organisation, il faut pour autant se méfier de la tournure que peut prendre cette émergence.

Le collectif L’Affaire du siècle qui a lancé la marche du 16 mars, compte quand même deux anciens ministres « écolos », des ONG qui placent des thunes en bourse comme Greenpeace, des acteurs et actrices riches et célèbres, et en tête de gondole le roi de la dépolitisation : Cyril Dion, fondateur des colibris et du film Demain.

Leur vidéo d’appel à la manif [3] a utilisé très clairement des arguments en vogue comme taxer le kérosène de la même manière que l’essence pour une raison d’égalité (depuis quand la TVA est elle égalitaire ?), et omet complètement de parler de la question du nucléaire ou de la remise en cause des transports imposés aux prolétaires. Rien sur les luttes contre la colonisation des terres par l’industrie éolienne, géothermique, photovoltaïque, de méthanisation ou de biomasse. Rien sur les grands projets privés ou étatiques d’infrastructures de vente d’énergie. Rien de concret sur la biodiversité… Bref du vent. Concernant les questions essentielles, quel habitat ? Quel travail, Comment sont prises les décisions ? Rien. Seules sont avancées quelques mesurettes volontairement choisies pour être consensuelles et inefficaces.

Le fond du discours reste d’ailleurs toujours le même : la somme des pratiques individuelles changera le système ! Ce qui change, c’est le mode d’expression : exit Rabhi le prophète de la simplicité volontaire dans son Ardèche immuable. Coucou cette pléiade de jeunes tel le groupe Il est encore temps qui disent de bouger dans leur coin avec quelques phrases choc et des applis smartphone écolo.

Si nous ne pouvons faire l’impasse sur ce qui se joue dans cette rue-là, l’urgence climatique n’est pas d’augmenter les taxes et de forcer l’État à produire des mesures injustes pour installer de nouvelles infrastructures. Sur ce sujet il n’y a pas de débat et ce mouvement est tellement proche du pouvoir qu’il est impossible d’aller chercher un lien direct avec nos luttes, malgré les convergences apparentes des slogans.

Des Initiatives avec du fond

Pourtant des luttes écolo – allant au-delà d’un procès ou d’une marche – existent et se développent. Prenons l’exemple du mouvement des coquelicots, mais aussi de la campagne « les pisseuses et pisseurs involontaires de glyphosate » [4] qui s’attaquent concrètement à l’industrie des pesticides : pétitions, siège des mairies et fédération des luttes locales, ou encore les analyses d’urine accompagnées d’actions pour prouver que le glyphosate est partout.

Le combat contre l’appropriation des territoires par l’industrie de l’énergie dépasse aujourd’hui largement les ZAD et les associations de lutte. Ainsi la confédération paysanne s’intéresse de près au devenir des paysans producteurs d’énergie, et à la prédation des terres par les industriels. La relance du nucléaire prétendument « pivot de la transition énergétique » fera probablement elle aussi refleurir les luttes, même si les pronucléaires se font beaucoup entendre ces derniers temps.

Dans ce contexte l’appel « Pour une Assemblée constituante de l’écologie populaire et sociale »  [5], publié le 23 mars 2019, se propose de créer un front large de l’écologie contre le capitalisme vert. L’appel acte le fait qu’un parti écologiste comme Les Verts n’a plus de raison d’être, mais qu’une coordination des forces progressistes, aujourd’hui éparses, est nécessaire. Et aujourd’hui encore la contestation des gilets jaunes a fait son entrée dans les manifs écolos.

Tentatives politiques, occupations, syndicalisme… Les initiatives ne manquent pas. Construisons les luttes, et « alimentons » les jeunesses qui se bougent avant que le soufflé ne retombe. Le moment est peut-être venu de construire un fond politique commun derrière la façade des grandes déclarations.

Reinette noyée (AL Aveyron)

[1Alternative libertaire d’octobre 2018.

[2« Grève lycéenne et étudiante pour le climat : une mobilisation réussie, un État qui réprime » sur attac.org.

[3« L’affaire du siècle #2. Dépôt du recours au tribunal ! » sur Youtube.

[4Voir le site www.campagneglyphosate.com.

[5« Pour une Assemblée constituante de l’écologie populaire et sociale » sur les blogs de Mediapart.

 
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