Maroc : Face à l’arbitraire patronal




Cet article est paru dans le quotidien marocain Albayane du 31 mars 2006. Le titre et les intertitres sont de la rédaction d’Alternative libertaire.


Nous publions un article d’un syndicaliste de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA) affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT) qui retrace la lutte des ouvriers et ouvrières de l’exploitation agricole La Clémentine suite au licenciement de 150 d’entre eux.

Les ouvrier(e)s de l’exploitation agricole La Clémentine sise dans la région d’Azemmour ont organisé le jeudi 23 mars 2006 un sit-in devant la ferme, spécialisée dans la production et l’exportation des fleurs. Il s’agit d’un bras de fer qui dure depuis déjà plusieurs mois entre la société Delassus appartenant à Bennani Smirès et les ouvrier(e)s licencié(e)s pour avoir adhéré au syndicat. Les militant(e)s de l’UMT (Union marocaine du travail) [1], de l’AMDH (Association marocaine des droits humains) [2] et d’autres organisations des droits de l’Homme sont mobilisés pour défendre ces ouvrières et ouvriers démuni(e)s, surexploité(e)s et abusivement renvoyé(e)s.

Près de 50 syndicalistes et membres des organisations des droits de l’homme se sont déplacés le jeudi 23 mars 2006 de Rabat, de Casablanca, de Benslimane, de Settat et d’El Jadida pour manifester leur solidarité avec les 150 travailleuses et travailleurs renvoyé(e)s abusivement de la ferme. Et malgré la présence des gendarmes et les représentants des autorités locales, les camionneurs empruntant la route côtière d’Azemmour-Casablanca ont spontanément exprimé ce jeudi matin leur soutien à travers les klaxons et les signes « V » avec les doigts. D’ailleurs, l’écho du haut parleur utilisé au sit-in a drainé une foule nombreuse venue des douars avoisinants pour apporter leur soutien inconditionnel aux filles, garçons, pères, mères et autres membres de familles illégalement exclu(e)s de la ferme. Et qui des Marocains n’ose pas défendre la cause juste de ces jeunes ruraux qui protestent contre le bafouement des droits des travailleur(e)s et le non-respect du Code du travail.

Pour dénoncer cette injustice, divers slogans ont été répétés le matin au sit-in, surtout quand les camions chargés de fleurs sortaient de la ferme en direction de l’aéroport Mohammed V. La foule scandait sans arrêt : « Non aux fleurs de la surexploitation, oui aux fleurs de la paix ».

Exploitation féodale

Présent à ce sit-in, Abderrahim Handouf, secrétaire général de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA-UMT) déclare que la société Delassus constitue un modèle de violation flagrante du Code du travail et du droit syndical. Il ajoute que La Clémentine illustre l’exploitation sans pitié des jeunes filles et garçons qui travaillent dans des conditions lamentables, et ne jouissent d’aucun des droits garantis par le Code du travail. Pour lui, la bataille avec le patron Bennani Smirès a commencé en 2004 mais la fédération est décidée à aller jusqu’au bout pour faire respecter le Code du travail et le droit à la grève comme stipulé dans la constitution. Le secrétaire général de la FNSA-UMT a d’ailleurs tenu à rappeler que des milliers d’ouvrier(e)s du groupe Delassus sont traité(e)s comme des esclaves : aucun droit à l’exception des salaires. Il estime que l’empire Bennani Smirès a réussi jusqu’à présent, avec la connivence des autorités locales, à interdire toute existence de syndicats dans ses fermes et usines, ce qui lui a permis de continuer à surexploiter des milliers d’ouvriers et ouvrières agricoles.

Concernant la ferme La Clémentine, M. Handouf estime que les autorités locales interviennent à chaque grève ou sit-in non pas pour faire respecter la législation du travail et le droit syndical, mais pour bafouer, par la violence et en collaboration directe avec le patron, le droit constitutionnel à la grève. Il tient à rappeler que les forces de l’ordre et les gendarmes sont intervenus violemment en novembre 2004 et novembre 2005 contre les travailleurs agricoles de la ferme La Clémentine, et à chaque fois, plusieurs ouvriers et ouvrières ont été blessé(e)s, d’autres sont licencié(e)s et les syndicalistes arrêté(e)s et condamné(e)s.

Concernant les ouvrier(e)s de la ferme La Clémentine, la FNSA-UMT a sorti dernièrement un communiqué, qui a été distribué à la presse, dans lequel elle :
 condamne l’exploitation sauvage des ouvrier(e)s agricoles de la part des féodaux qui se mettent au-dessus de la loi et ne respectent aucun article du Code du travail et du droit syndical ;
 proteste contre le mutisme et la complicité des autorités locales qui, au lieu de veiller à l’application de la loi, se rangent aux côtés des patrons en réprimant les ouvrier(e)s et en les incarcérant tout simplement par ce qu’ils ont revendiqué leurs droits légitimes et constitutionnels ;
 demande aux autorités gouvernementales d’assumer leur responsabilité pour garantir le respect des droits des ouvriers agricoles ainsi que le droit syndical, et mener une campagne nationale pour généraliser la déclaration des ouvrier(e)s agricoles à la CNSS (caisse nationale de sécurité sociale) surtout que cette année connaît le démarrage de l’Assurance maladie obligatoire ;
 revendique la levée des inégalités dont sont victimes les ouvrier(e)s agricoles par rapport à ceux d’autres secteurs en les faisant bénéficier des allocations familiales, du volume horaire de travail de 44 heures par semaines, du salaire minimum en vigueur dans l’industrie et les services (SMIG) ;
 demande au gouvernement de donner plus de moyens aux inspections régionales de travail pour qu’elles contrôlent les entreprises en général et les exploitations agricoles en particulier, et sanctionnent le cas échéant les patrons qui ne respectent pas le Code du travail ;
 affirme son engagement total pour continuer la lutte jusqu’à obtention des droits bafoués des ouvriers.

Répression antisyndicale

L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a également sortie un communiqué dans lequel elle condamne l’arrêt arbitraire et la condamnation de quelques ouvriers syndiqués par le tribunal d’El Jadida. Ces syndicalistes ont été accusés selon les articles 263, 267, 288 et 400 du code pénal. L’AMDH condamne ces répressions qui ne reflètent ni l’état de droit auquel aspire le peuple marocain ni le nouveau concept de l’autorité. D’ailleurs cette instance milite sans cesse pour l’annulation de l’article 288, la libération des ouvriers inculpés et leur retour au travail. Elle exhorte la solidarité de toutes les forces démocratiques nationales avec les syndicalistes de la ferme La Clémentine poursuivis, condamnés ou renvoyés pour avoir participé aux grèves.

Selon le secrétaire général de la FNSA, les deux chaînes nationales de télévision ont été sollicitées il y a quelques mois pour venir préparer des reportages sur le calvaire des ouvrier(e)s de cette ferme. Cependant, les deux chaînes marocaines ont brillé par leur absence et seule la TVE (chaîne de télévision espagnole) a répondu présent.

A signaler que la ferme La Clémentine emploie environ 1000 travailleurs, pour la plupart des femmes et des jeunes filles. Elle est affiliée au groupe Delassus, dirigé par la famille Bennani Smirès, qui produit et exporte 70% de la production nationale en fleurs coupées. Ce groupe exploite plus de 2 000 hectares irrigués au Maroc, gère 11 stations d’emballage et possède plusieurs filiales en Europe.

Concernant l’aspect de sensibilisation de l’opinion nationale et internationale, la FNSA compte saisir les clients européens et les acheteurs des fleurs de La Clémentine, en particulier les marchés de grande surface.

Abbès Tanji

[1L’Union marocaine du travail est une organisation syndicale marocaine fondée en 1955, avant l’indépendance du Maroc, affiliée à la CISL-ICFTU. Mail de la FNSA-UMT : fnsa_umt2000@yahoo.fr.

[2L’AMDH (Association marocaine des droits humains) : ONG constituée en 1979, vouée à la défense et la promotion des droits humains au Maroc, reconnue d’utilité publique, affiliée à la FIDH. (Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme).

 
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