Panthères roses : Ni hommes ni femmes : gouines et pédés, féministes radicales




Les Panthères roses sont un collectif avec lequel il arrive à AL de se retrouver dans les mobilisations antipatriarcales. Il nous a semblé intéressant de leur donner la parole afin qu’ils et elles présentent ici leur démarche et leur orientation.

« Notre démarche politique est identitaire. Gouines et pédés, nous nous définissons en renversant les catégories et les insultes qui nous sont imposées par l’ordre moral. Ces catégories sont distinctes, mais ont des origines communes. Partant de la lutte contre l’homophobie, la lesbophobie et le sexisme, nous tentons d’analyser les systèmes politiques à l’origine des oppressions. Ce qui nous amène à nous interroger sur les moyens de concilier les combats quotidiens pour nos droits et l’abolition de l’hétéropatriarcat. Parcours semé d’embûches, de pièges et de divisions ...

La mixité gouine et pédé n’est pas une évidence

La négation et l’invisibilisation des lesbiennes n’est pas équivalente au dégoût de l’homosexualité masculine. Par exemple, l’homoparentalité serait peut-être moins problématique si elle ne concernait que les lesbiennes (qui seraient bien sûr « naturellement maternelles »). L’oppression des gouines et des pédés résulte pourtant d’un même système : l’hétéropatriarcat. Mais ce système d’oppression ne s’exprime pas de la même manière pour les un(e)s et les autres. Les gouines sont socialement vues comme des femmes : elles vivent les salaires « féminins », l’espace public colonisé par les hommes, la possession des femmes par les hommes (violences verbales et physiques), etc. L’invisibilité des lesbiennes n’a pas les mêmes effets que l’opprobre jeté sur ces pédés « qui ne sont pas des hommes » et qui fuient leur responsabilité de géniteurs. Les stratégies de résistances à ces différentes formes d’oppression ne sont donc pas les mêmes.

Or nous ne croyons pas que la convergence des luttes des différentes catégories d’opprimé(e)s soit quelque chose de « naturel ». L’alliance gouines et pédés pose donc la question des moyens à mettre en œuvre pour construire cette convergence.

Sans nier les différences des manifestations concrètes de la haine à l’encontre des pédés et de l’invisibilisation des gouines, nous nous attachons à décortiquer et à combattre les origines communes de ces oppressions. L’hétérosexualité n’est pas une préférence sexuelle. C’est un système politique qui repose sur l’établissement de la différence et de la complémentarité des sexes. L’humanité est divisée en deux catégories d’individus, les hommes et les femmes, définies par des caractéristiques différentes qui sont données comme « naturelles ». L’homme « viril » est « naturellement » apte au pouvoir, il domine la sphère publique. Il domine aussi sa femme, douce et « naturellement » destinée à être mère. Ainsi définis, ces deux individus sont appelés à vivre ensemble selon des rapports soigneusement hiérarchisés et couronnés par le statut matrimonial.

De fait, les gays et les lesbiennes sont donc exclu(e)s des privilèges qui sacralisent le couple hétérosexuel producteur d’enfants, en premier lieu desquels, le mariage. Il en va de même pour la filiation, socle de la famille (hétérosexuelle).

Mais l’hétérosexualité définit aussi les relations sexuelles. A ce titre, les gais et les lesbiennes sont catégorisé(e)s comme pervers(e)s, terme utilisé par les sexologues de la fin du XIXe siècle pour décrire celles et ceux qui n’ont pas la sexualité adéquate.

Nous avons en commun d’être des « rebelles sexuelles », des individu(e)s à la sexualité pas comme il faut. Nous faisons de notre sexualité une affirmation, un truc central, un truc volontairement à expérimenter, à interroger, une base de départ pour nos réflexions politiques. Nos sexualités sont non assimilables. Les représentations acceptables de l’homosexualité, sont d’ailleurs systématiquement désexualisées. Parce que, en définitive, des femmes qui jouissent sans bite, des hommes qui prennent du plaisir à se faire enculer, cela doit rester inconcevable.

Ni hommes, ni femmes, féministes radicales

Nous refusons l’identification aux étiquettes « homme » et « femme » : nous ne sommes ni l’un ni l’autre parce que nous refusons l’assignation à la féminité ou à la virilité. Quand bien même, nous sommes féministes, parce que les femmes existent vraiment en tant que personnes discriminées.

La perspective de l’abolition du genre influe sur nos positionnements et nos luttes féministes. Par exemple, les droits à la contraception et à l’ IVG ne sont pour nous pas dissociables de l’assignation du genre féminin à la maternité. La lutte pour ces droits doit se mener sans perdre de vue le cadre dans lequel elle se situe : l’horizon est pour nous l’abolition de la féminité comme construction sociale.

Les lesbiennes peuvent dire à la fois : « Nous les femmes, notre corps nous appartient » et « nous ne sommes pas des femmes ». C’est-à-dire revendiquer des droits depuis la catégorie sociale à laquelle elles sont assignées – place de femme – tout en refusant l’assignation à cette catégorie, et donc aller vers son abolition.

D’autre part, il s’agit de ne pas se limiter à une position défensive, mais d’être également dans une construction d’offensive libératrice. Prenons par exemple le slogan bien connu « Quand une femme dit non, c’est non ». Le discours en creux n’est pas dit : que se passe-t-il si elle dit oui ou si elle propose ? Quand on exige la liberté de choix -la possibilité de dire non - il s’agit d’affirmer en même temps qu’une femme a aussi le droit de proposer, de dire oui, bref, d’être une salope. On exprime alors une absence de jugement sur ces choix, et c’est important aussi.

De même, nous revendiquons l’égalité des droits, notamment l’accès au mariage pour toutes et tous, tout en souhaitant l’abolition de ce dernier. Revendiquer l’égalité des droits n’est en effet pas pour nous une légitimation des droits en question, c’est exiger d’avoir des choix que l’on n’a pas. C’est un moyen d’interroger l’hétéropatriarcat, ce n’est pas une fin en soi. C’est un premier pas vers la remise en cause des privilèges (y compris celui de s’illusionner), réservés aujourd’hui aux seul(e)s hétérosexuel(le)s : un moyen de contester la suprématie de l ’hétérosexualité.

Pour un féminisme d’émancipation, pas d’exclusion

Ces dernières années, les mouvements féministes ont été traversés, en France, par diverses divisions, focalisées en particulier, autour de la prostitution (au moment des lois Sarkozy) et du voile (suite au vote de la loi interdisant les signes religieux à l’école). De même qu’il y a opposition aux États-Unis entre féministes antipornographie et féministes pro-sexe.

Construire un point de vue féministe sur des questions qui elles-mêmes font partie de l’oppression des femmes est en effet problématique. Dans ce cadre, beaucoup semblent perdre de vue que le féminisme est une démarche politique d’émancipation.

Ainsi, sans préjuger de telle ou telle vision sur la prostitution (nous ne sommes pas en mesure de nous dire abolitionnistes, réglementaristes ... ou autrement), nous pensons qu’il faut avant tout favoriser l’auto-organisation des prostituées, en particulier lorsqu’elle font face à une répression gouvernementale particulièrement violente et moraliste.

À propos du voile islamique

Qui demande ou a jamais demandé aux femmes mariées de renoncer à l’aliénation du mariage pour « rentrer en féminisme » ? Car, s’il fallait être libéré(e) de toute aliénation sexiste pour avoir l’agrément féministe, la question du mariage devrait être posée à toute personne qui s’engage dans ce combat. C’est pourtant ce qui est exigé aujourd’hui des femmes qui portent le voile et souhaitent prendre part au combat contre les violences faites aux femmes, pour le droit à l’IVG et à la contraception... Nous pensons qu’il n’existe pas de préalable à l’engagement féministe : chacun(e) arrive avec ses expériences, ses exigences, sa culture ... et ses aliénations ! C’est dans la lutte et par le débat qu’on prend conscience des mécanismes d’oppression. Le collectif politique doit permettre de trouver les outils de libération ... à condition qu’il soit bienveillant et à l’écoute des limites de chaque personne à un moment donné. La signature de textes explicites et fermes quant à leurs exigences féministes, la participation à des manifestations non ambiguës dans leurs objectifs féministes sont des actes suffisants pour être considérés féministes. Le port du voile par des femmes est une aliénation, ce n’est pas une raison pour dénier le droit d’être féministe aux femmes voilées.

Nous sommes des gouines et des pédés et nous sommes féministes. Parce que nous combattons la hiérarchie entre les sexes et l’assignation de genre. Parce que nous refusons l’hétérosexualité obligatoire à l’exclusion de tout autre mode de vie. Notre ennemi demeure l’hétéropatriarcat, ses pièges, ses tentatives de divisions. Cette résistance s’organise avec toutes celles qui veulent lutter contre les effets de la domination masculine, sans exclure, dans le débat et la diversité des références culturelles, historiques, politiques, quotidiennes."

Les Panthères roses, 15-05-2005

  • Maison des associations du XIXe, 20, rue Édouard-Pailleron, 75019 Paris.
 
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