Entretien

Philippe Ogouz (comédien) : "La Rafle du Vel d’Hiv est une pièce qui dérange"




Nous nous sommes entretenus avec Philippe Ogouz, metteur en scène et acteur unique de la pièce La Rafle du Vel d’hiv, adaptation des ouvrages de Maurice Rajsfus.

Alternative Libertaire : Comment vous est venue l’idée de créer ce spectacle ?

Philippe Ogouz : Je suis tombé un jour sur le livre de Maurice Rajsfus, Opération étoile jaune et me suis dit qu’il y avait un spectacle magnifique à monter. La Rafle du Vel d’hiv, on connaît. Mais bon, tout le monde ne connaît pas vraiment dans quelles conditions ça s’est passé. Puis j’ai rencontré Maurice Rajsfus, je lui ai parlé de mon projet, il m’a alors proposé de travailler également sur d’autres livres dont il était l’auteur comme La Rafle du Vel d’hiv et Chronique d’un survivant.

L’adaptation a duré 4 à 5 mois. Quand je lui ai présenté mon travail, il était emballé et il m’a dit : « On y va ».

L’histoire de René Bousquet [NDLR : ancien chef de la police de Vichy devenu par la suite un grand ami de François Mitterrand] me hante depuis longtemps. Jusque-là j’avais voté Mitterrand, je faisais alors partie de la section spectacle du Parti socialiste dirigée par Roger Hanin [maintenant au Parti communiste]. Mitterrand parlait de Bousquet comme quelqu’un de sympathique. C’était totalement inadmissible. Pour moi cela a été le déclic.

J’ai participé à l’histoire de Monsieur Klein. Je connaissais donc cette histoire. Un vrai thriller, sur lequel on se devait de faire quelque chose. Frédéric de Rougemont est le coscénariste et l’éclairagiste de ce spectacle. J’ai demandé à Marian Courcel de travailler sur une musique proche de celle d’Astor Piazzola, un peu tango, latino. Et on a mélangé tout cela.

Sur cette période de l’Occupation, j’avais déjà monté Une petite fille privilégiée avec Mireille Perrier, au Lavoir moderne parisien. Pour La Rafle du Vel d’hiv, j’ai été soutenu par la Fondation pour la mémoire de la shoah et L’Europe de la mémoire basée à Drancy. L’aide de la mairie de Paris est en vue. Quant aux politiques, d’une manière générale, ils n’ont pas bougé le petit doigt. J’ai envoyé le programme du spectacle à Chirac. Il m’a répondu qu’il trouvait cela formidable mais n’a rien fait pour soutenir cette pièce. Les politiques ne veulent pas se mouiller en faveur de ma pièce, car elle parle de la responsabilité de la police française dans l’organisation de cette rafle et cela ne passe toujours pas.

Ce n’est pas évident d’adapter un ouvrage historique au théâtre. Comment avez-vous réussi ?

Philippe Ogouz : Je n’ai pas de talent d’auteur mais plutôt d’adaptateur. Je me suis livré à un véritable collage, un patchwork avec une montée dramatique, des éléments historiques. J’ai voulu doser des éléments historiques, d’autres plus drôles. Et puis il y a la musique qui apporte une véritable respiration à d’autres moments. Le point de départ, c’est l’histoire de Maurice Rajsfus à 14 ans.

Je voulais expliquer comment la rafle avait été organisée.
Je suis arrivé à un spectacle de deux heures, mais je craignais que cela soit trop long pour le spectateur, alors je l’ai réduit à 1h20.

Le cinéma a produit d’innombrables films sur la deuxième guerre mondiale et l’occupation, le théâtre beaucoup moins de pièces en rapport. Comment expliquez-vous cela ?

Philippe Ogouz : Parce que c’est difficile, compliqué, que c’est encore trop proche, que c’est un grand génocide. Parce qu’aussi au théâtre on insiste parfois trop sur le pathos, les pleurs. Primo Levi est un des rares à avoir su porter cette période au théâtre. On ne trouve pas vraiment d’auteur(e)s en dehors de lui et de quelques historiens.

Ah si seulement j’avais les moyens de faire un film, de convaincre la télé pour cela ou une chaîne comme Arte… Mais là encore je doute qu’une chaîne française investisse dans un film qui mette ouvertement en accusation la police française.

Le théâtre peut-il être un outil d’éducation populaire ?

Philippe Ogouz : Oui je le crois, si on fait une belle pièce. Pour cela, je crois qu’il faut que les gens se servent de tels spectacles. À ce jour, seules quatre écoles ont effectué des réservations pour ce spectacle.

Nous avons proposé au ministère de l’Éducation nationale de travailler en partenariat pour La Rafle du Vel d’hiv. Ils nous ont répondu négativement au motif qu’ils n’avaient pas d’argent, pas de moyens. La rafle, ça leur fait peur.

Regardez, Monsieur Daniel Vaillant (NDLR : ancien ministre de l’Intérieur de Jospin et maire PS du XVIIIe arrondissement de Paris) Il habite à quarante mètres du Lavoir moderne parisien. Et bien il n’est pas venu. Son adjointe m’a donné rendez-vous et elle ne s’y est pas même pointée.

Je repense sinon à ce qui s’est passé avec des roms sans papiers qui ont été raflé(e)s, il y a quelques mois près de Paris. Bien sûr cette rafle-là ne s’est pas soldée par une extermination. Mais c’est quand même le même système. Ce même système alors incarné par des fonctionnaires. Des fonctionnaires comme Papon qui sont allés jusqu’à dire qu’ils avaient mené un double jeu et que leur action avait aussi permis de sauver des juifs de la mort !!

Comment vivez-vous la montée de l’extrême droite dans le monde et en France ?

Philippe Ogouz : Mal. J’ai voté Chirac au deuxième tour de l’élection présidentielle. On s’est bien fait avoir en avril 2002. Cela dit, si c’était à refaire, je le referais parce qu’on ne peut pas accepter un FN à 20 %. Déjà qu’à 2 % c’est beaucoup trop, mais alors à 20 % !!! ça peut encore monter et ça va monter du fait de l’échec de la droite au pouvoir. En tout cas, ça risque de se stabiliser à un niveau élevé.

Propos recueilli le 12 novembre 2003

  • La Rafle du Vel d’hiv doit tourner en France à partir d’avril 2004.
 
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