« Prévention de la délinquance » : Contre le populisme pénal et sécuritaire




Les sénateurs ont adopté jeudi 21 septembre le projet de loi de Sarkozy sur la prévention de la délinquance en pleine polémique sur les accusations du sinistre de l’Intérieur évoquant la “ démission de la justice ” face aux délinquants en Seine-Saint-Denis.

Loin d’intervenir dans le champ de la “ prévention ”, la loi concerne le champ de la répression pénale, puisqu’il modifie 73 articles du Code pénal et 10 articles du Code de procédure pénale !
Cette future loi concerne aussi l’action sociale, l’action éducative, et la psychiatrie publique dont les objectifs sont radicalement transformés : leur finalité est la lutte contre “ l’insécurité ” et non plus l’aide et l’assistance aux familles et le soin aux malades.
Ainsi, après avoir articulé la police et la justice dans une même “ chaîne pénale ” au terme de dix lois pénales entièrement vouées, à lutter contre “ l’insécurité ”. Sarkozy attache donc ces secteurs à cette chaîne pénale dont le premier maillon est la police.

Surveiller et punir

Il y a la confusion volontaire entre la prévention des problèmes sociaux et la répression des problèmes sociaux. Les principales mesures ne font qu’augmenter l’attirail répressif : nouvelles compétences du procureur, pouvoir d’admonestation du maire, création de fichiers éducatifs et psychiatriques et liaison du fichier éducation nationale, CAF, CCAS...
Le maire coordonnera tous ces fichiers et partagera avec les professionnel- le-s de l’action sociale et éducative leur secret professionnel. De plus le maire a le pouvoir d’installer des dispositifs de vidéosurveillance dans les lieux privés et locatifs.
Le populisme pénal et sécuritaire repose sur des postulats déjà présents dans les précédentes lois :
 Chacun-e est responsable. Il n’est plus question d’égalité des droits (article 1 de la déclaration des droits de l’homme) mais d’égalité des chances. Selon cette vision, les conditions sociales d’origine ou d’existence sont largement ignorées et la responsabilité individuelle est seule responsable dans la détermination à la délinquance, le chômage, la folie, la misère ou les difficultés éducatives des enfants.
 Il suffit d’exclure le noyau dur d’individus responsables de ces troubles ; c’est la parabole du Kärcher qui doit nettoyer la racaille. L’objectif final de réinsertion où l’aide éducative n’a plus de raison d’être puisque certains individus doivent être isolés du reste de leur groupe social (d’où les mesures d’exclusion que sont les centres fermés pour mineur-e-s, la prison, l’hospitalisation d’office, les expulsions d’étranger-e-s, les expulsions locatives).
 Tous les professionnels de la justice, de l’action sociale et de protection de la jeunesse qui analysent les actes de délinquance comme des symptômes d’un malaise social ou d’autres travailleur-se-s sociaux/les, certains actes comme des rites de passages, sont largement disqualifié-e-s comme incompétent-e-s et laxistes. D’où la charge contre la justice en Seine-Saint-Denis ; il faut punir les individus et non pas rechercher les causes sociales ou psychologiques de leurs difficultés [1]
 Seuls les responsables de proximité sont efficaces pour mener la lutte contre l’insécurité et appliquer cette morale qui entérine les inégalités sociales et les discriminations : les policiers et les hommes politiques locaux sont aptes à traiter en temps réel les problèmes sociaux. D’où les écoles de la deuxième chance encadrée par l’armée, la police, et les cadets ainsi que le retour à un service civil de préférence dans la police.
Nous sommes bien sur un combat de projet de société, et sur le terrain des valeurs. Certaines personnes, individu-e-s, professionnel-le-s sensibilisé-e-s au projet de loi mais pas dans l’action avaient du mal à y croire, pensaient que le projet de loi serait amendé, édulcoré... Bref, restaient dans l’attente de voir venir...
Le Sénat a adopté le texte mais renforcé la quadrature “ contrôle - délation - répression - exclusion ”. En tout 69 amendements ont été adoptés, voici quelques amendements : (en italique dans le texte) :

Du côté des enfants

Article 5 : levée du secret professionnel renforcé par une information au maire et au président du conseil général.
Article 6 : le maire peut demander la mise en place d’un accompagnement en économie familiale et sociale avec une information systématique à l’inspecteur d’académie, au chef d’établissement, à la Caf et au préfet.
Article 9 : le maire est au courant des absentéismes et des avertissements. Création d’un fichier en mairie alimenté par des infos de l’E.N. et de la Caf. Le maire sera au courant des exclusions temporaires et des abandons en cours d’années.

Du côté des logements

Article 11 bis : Obligation de gardiennage et de surveillance des immeubles. Les communes et groupements de communes peuvent y contribuer. De plus la notion de trouble de voisinage est mise en avant et permet l’expulsion locative.
Article 12 Bis : permet au maire d’euthanasier plus facilement les chiens.
Article 12 Ter : institue une nouvelle procédure d’évacuation forcée des gens du voyage sans autorisation du juge. Etc.
Sur le service civil, l’incitation à la violence, aux actes sexuels, aux stupéfiants mais instaure aussi le droit des flics de provoquer aux passages à l’acte pour faire tomber des personnes. La justice des mineurs est désormais calquée sur celle des adultes avec la comparution immédiate.
Des pouvoirs de plus en plus importants sont donnés à la police ou aux élus locaux pour intervenir dans la vie ou dans les libertés des citoyen-ne-s, par aussi des opérations spectacles se substituant aux autres institutions (justice, aide sociale, protection judiciaire de la jeunesse) qui agissent au contraire discrètement et sur le long terme.
Dans cette conception de la loi de la jungle libre et non faussée, chacun-e est seul-e responsable de son malheur social et le paye, par l’acceptation de la précarité pour le chômeur, l’hospitalisation sous contrainte du malade, ou par la prison ferme, pour le délinquant. C’est l’évidente traduction dans les champs sociaux, sanitaires et pénaux d’une vision ultralibérale sur le plan économique : comme un actionnaire est responsable de ses gains ou de ses pertes en bourse, l’individu doit assumer le risque social de la pauvreté, de la maladie, ou de la délinquance.
Au plan professionnel, il faut repasser l’information et les analyses partout en utilisant les relais associatifs, syndicaux, et en s’appuyant sur les documents d’analyse du CNU (Collectif national unitaire de résistance à la délation) et de la LDH (Ligue des droits de l’homme). Participer et organiser des débats locaux, et tout faire pour que les journées d’actions et de rassemblement voire de grève comme le 10 octobre soient connues.

En attendant le chef charismatique

Il s’agit bien de seuils, de bornes pénales qui sont dépassées. Se mettent en place les structures d’un nouvel État qui, au regard de celui qui existait il y a seulement cinq ans en France, peut être qualifié de totalitaire en ce que :
 il remplace l’accompagnement social par un contrôle tous azimuts des personnes suspectées de déviance ;
 il place au rang de l’élite de la nation une police d’ordre public qui embrigade la jeunesse pour la former... à quoi ?
 il transforme la mission éducative en procédés de redressement, notion moderne des camps de ce type ;
 il instaure la peur comme mode de relations entre les citoyens au profit d’un État décentralisé en féodalités liées entre elles...
Ce projet sera très probablement amendé par d’honorables parlementaires, qui pourront puiser dans les versions précédentes. Les débats seront instructifs à suivre, juste avant la campagne présidentielle... Le leader charismatique et choyé des médias pourra y exercer à hautes doses son populisme de la peur.
Nous sommes oposé-e-s :
 aux aspects répressifs du contrat de responsabilité parentale avec notamment la suspension des prestations familiales et la pénalisation des parents,
 à un plan de prévention de la délinquance qui s’inscrit dans une logique de surveillance et de défiance à l’égard des familles en difficulté,
 à la place du maire directement impliqué dans les situations individuelles avec un partage de l’information imposé aux travailleur-se-s sociaux-ales.
 aux pratiques qui se développent sur le terrain et qui demandent aux travailleur-se-s sociaux-ales de déroger au secret professionnel et de transmettre des informations nominatives à des tiers sans que les familles en soient informées ;
 à l’enfermement des mineurs dans les prisons et les centres éducatifs fermés.
Et bien sûr, plus que jamais, pour passer à l’offensive, il faut, face à l’individualisme, instaurer les luttes pour la solidarité et la lutte des classes.

Noel (AL Paris Nord-Est)

Pour en savoir plus :
 www.ldh-toulon.net
www.abri.org/antidélation
 http://anas.travail-social.com/
 Le texte intégrale de la loi en intégrant les amendements est consultable avec les liens suivants :
http://ameli.senat.fr/publication_pl/2005-2006/433.html
 Pour une synthèse des nouveaux amendements (faite par le sénat) :
http://www.senat.fr/dossierleg/ts/ts_pjl05-433_1.html

[1Rappelons que le nombre de jeunes jugés en Seine-Saint-Denis ont été relaxé par les juges car les dossiers d’accusation étaient vides et les témoignages à charge de la police inconsistants. Ces relaxes se sont multipliées à l’issue de nombres de procès d’anti-CPE. Cette faillite de l’instruction est directement liée à la politique du chiffre voulue par Sarkozy.

 
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