politique

Revue Ballast : « Militer, ce n’est pas affaire de folklore »




Depuis l’hiver 2014, une nouvelle revue, Ballast , a publié deux numéros. La même équipe anime un site web. Militante sans être partidaire, elle se nourrit de sa diversité pour tenter de toucher au-delà des cercles déjà convaincus. Rencontre.

Alternative libertaire – Ballast existe depuis un an. Qu’est-ce qui a motivé le lancement de la revue ? Sur quelle ligne éditoriale ? Avec quels objectifs ?

Ballast : L’idée de départ était celle du croisement, de la fourche : casser les vases clos, ouvrir les petites cases. Tramer ensemble la politique et la poésie, l’économie et la peinture, la sociologie et le carnet de route. Nous n’avons rien inventé : « "Transformer le monde", a dit Marx ; "Change la vie", a dit Rimbaud : ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un. » (Signé : André Breton). Mêler la « pensée », avec les guillemets qu’elle implique, et le ras de terre ; la « théorie » et le plan serré sur l’ordinaire. Avec pour seul axe le commun et non la division. Le noyau dur des mouvements d’émancipation et non ce qui les disloque. Plutôt la Première Internationale (avec ses divers courants contradictoires ô combien féconds !) que les sectes dévotes. La politique est aussi histoire de situations et d’affects. Mettez un anarchiste et un réformiste dans deux cortèges différents d’une manifestation, et notez les insultes qui pleuvent ; dites-leur de travailler sur un projet commun et les ponts se tracent. Le pinaillage doctrinal demeure l’art des privilégiés et de ceux qui font de la politique comme d’autres des châteaux de cartes.

Les couvertures des deux premiers numéros

Et, dans les faits, les collaborateurs et collaboratrices de la revue viennent de quels horizons politiques ?

Certains sont encartés, d’autres refusent d’appartenir à quelque organisation que ce soit – nous sommes plusieurs au Front de gauche, à Alternative libertaire, au Parti du travail de Belgique, dans des syndicats. Plus largement, on pourrait sans doute relever trois tendances dominantes : ceux qui évoluent au sein de la tradition anarchiste et/ou communiste libertaire ; ceux qui se revendiquent du marxisme, de l’héritage trotskyste et/ou léniniste ; ceux qui se sentent proches de ce qu’on pourrait appeler le « réformisme radical », c’est-à-dire, aujourd’hui, des formations telles que Syriza ou Podemos (jadis, l’Unité populaire ­d’Allende). En précisant que cela ne recoupe pas l’ensemble des participants : certains se disent « conseillistes » ou « zapatistes » quand d’autres n’entendent vraiment pas se définir par des étiquettes aussi strictes – pour ne rien dire de ceux qui s’affilient, avant toutes choses, aux espaces féministes, écologistes ou anticolonialistes. Des communistes nous trouvent trop anarchistes ; des anarchistes trop réformistes ; des réformistes trop anarcho-communistes : bonne pioche ! Restent, on l’espère les plus nombreux, tous les « partageux » de bonne volonté.

Y a-t-il une vraie diversité et si oui qu’est ce que cette diversité apporte concrètement ?

Une réelle diversité, oui. Sur des questions parfois techniques, stratégiques (l’État, les élections, la représentation, etc.) ou moins strictement politiques – certains n’entendent rien à la poésie et d’autres se méfient férocement des approches purement théoriques. Le choix de certains entretiens est parfois sujet à de francs débats. L’apport nous semble évident : les positions se frottent, s’esquintent, maintiennent leur cap ou se croisent de façon inattendue – c’est une pluralité à l’image des mouvements sociaux et contestataires, à l’image des gens, du peuple, tout simplement. Nous savons tous qu’il n’est pas de pureté dans les grands chambardements : personne, sauf à courir au désastre, n’a jamais pensé qu’un courant, archiminoritaire et sûr de sa solitude, était dépositaire de la vérité.


Qu’est-ce qui distingue Ballast des revues mainstream d’un côté et de la presse militante de l’autre ?

Nous nous passons fort bien de patron, de publicités et d’actionnaires, d’une part ; nous pensons qu’il faut militer, oui, mais que ce n’est pas affaire de folklore, de l’autre. La question n’est pas de savoir qui a le drapeau le plus grand ou le plus rouge : nos contours sont fermes mais nous préférons nous mettre à la même table, avec nos étiquettes, nos sigles ou nos partis désaccordés, pour mieux la renverser ensuite – et ensemble. Nos ennemis n’ont pas peur de se salir les mains : la « gauche radicale » donne parfois l’impression qu’elle n’en possède pas. Nous n’y parvenons pas toujours mais avons sans cesse à l’esprit que nos textes doivent être lisibles par tous (nous ne parlons donc pas des salariés de la politique, des activistes convaincus et des universitaires). Ce « tous » qui, bien souvent, n’a pas besoin de notes de bas de page pour savoir ce qu’il faut fiche en l’air.

La presse militante, ou plutôt partidaire (car le mot « militant » nous convient), que nous lisons régulièrement, a tendance à s’exprimer en circuit fermé. Des codes d’initiés, des slogans pour affiliés, un vocabulaire automatique. Cette consanguinité, qui peut s’entendre et se défendre, ne nous parle pas plus que ça. Orwell écrivit que bien des gens, prêts à « franchir le pas », furent stoppés dans leur élan face au folklore militant et révolutionnaire : heureuse mise en garde !

Et donc, que faites-vous pour être accessibles au plus grand nombre ? Et est-ce une réussite ?

Le « grand nombre », nous n’y sommes pas... Le jargon, encore une fois, est une passion bien partagée dans notre famille politique : c’est parfois à qui se comprendra lui-même le moins. Nous veillons farouchement à ça. Non pas vulgariser, mais clarifier : c’est la moindre des politesses quand on cause du commun et du collectif. Soyons clairs : nous aimons mieux être lus par des personnes qui n’ont jamais entendu parler de Marx que par des spécialistes qui s’écharpent pour savoir lequel des Manuscrits de 1844 ou du Capital dit le mieux la pensée dudit Marx... Cela passe aussi par une attention – qui peut sembler dérisoire, à tort – à l’esthétique : rendre la lecture agréable, ne pas enliser le lecteur sous des fleuves de textes sans images, ne pas mettre des poings levés à chaque page. Et, ce que nous tenons à faire de plus en plus : ouvrir les colonnes à des personnes qui n’ont rien à voir avec le monde académique ou strictement politique (ce que nous sommes, pour nombre d’entre nous).

Avez-vous une idée de la constitution de votre lectorat ?

Question difficile, puisque nous n’avons pas mené d’enquête. Mais ne nous payons pas de mots : les réseaux sociaux ont cette caractéristique que les contenus politiques circulent d’abord dans des cercles a priori déjà « réceptifs ». Néanmoins, certains papiers nous ouvrent les portes d’autres espaces et, par là même, rendent possibles et pensables l’élan fédérateur à la base de notre projet.

Comment fonctionne la revue, qui l’anime et par quels biais est-elle diffusée ?

Nous sommes un collectif ­d’une quarantaine de personnes, à présent. Tout le monde est bénévole et les éditions Aden se chargent de l’impression et de la diffusion en librairie. Nous n’avons pas de locaux mais essayons, autant qu’il est possible, à distance (nous vivons à Lyon, en Moselle, à Bruxelles, au Québec, en Normandie et à Paris), de décider collectivement des publications.

Ballast , c’est aussi un site web actif. Pourquoi sortir sur papier en parallèle ?

Cela avait été conçu ainsi depuis le début. Le papier, car on n’a jamais crayonné les marges d’un écran ni senti l’encre d’une tablette ; Internet, car le temps est ce qu’il est et que la politique est un plat qui parfois se mange chaud. Les deux espaces sont cohérents mais autonomes.


Propos recueillis
par Vincent (AL Paris-Sud)

Plus d’informations sur : www.revue-ballast.fr

La revue est disponible en librairie au tarif de 15 euros. La prochaine sortie est prévue en novembre.

le n° 3 est bientôt disponible
 
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