Lire : Sembene, « Les Bouts de bois de Dieu »




D’Ibrahima Bakayoko, le sage et charismatique leader du mouvement de grève, à Ramatoulaye, Mame Sofi et toutes les femmes de Dakar, chacune et chacun affronte la répression et la faim, les dissensions et les doutes pour faire, enfin, triompher la solidarité…

Publié en 1960, c’est un classique qui ne prend pas une ride. Les Bouts de bois de Dieu ont été écrit par Ousmane Sembene. Un écrivain, réalisateur et acteur né au Sénégal en 1923, qui sera tirailleur avant d’être docker syndiqué CGT à Marseille dans les années 1950.

Il livre ici le récit romancé de cinq mois de grève des cheminots de la ligne ferroviaire Dakar-Niger en 1947. A l’origine du mouvement, les trop bas salaires payés aux cheminots noirs, salaires sans commune mesure avec ceux que perçoivent leurs homologues blancs. Les cheminots portent également d’autres revendications telles que les allocations familiales, les congés annuels, etc.

Le 10 octobre 1947, les 20 000 cheminots de la ligne Dakar-Bamako, qui s’appellent entre eux les Bouts de bois de Dieu, déclenchent la grève. Mais le conflit est dur et il s’éternise. La faim asphyxie les familles et, avec l’ennui, c’est l’alcool qui finit par gagner les grévistes.

Au fil du récit, les pièges et les faux amis se dévoilent  : les imams tentent de démobiliser, affirmant que c’est s’opposer à la volonté de Dieu que de défier les patrons  ! Ces derniers, eux, tentent de corrompre certains grévistes pour diviser le mouvement tandis que l’administration coloniale réprime violemment pour servir les intérêt de la compagnie ferroviaire. Les cheminots et leurs familles ne peuvent compter que sur eux-même et l’auto-organisation de leur lutte.

Au delà de l’écriture captivante de Sembene, c’est une lecture instructive qui montre comment les luttes peuvent changer la vie ainsi que celles et ceux qui les vivent. D’Ibrahima Bakayoko, le leader gréviste, à Ramatoulaye, Mame Sofi et toutes les femmes de Dakar, chacun affronte la répression et la faim, les dissensions et les doutes… Ainsi, d’abord en second plan, on voit comment les femmes finissent finalement par prendre un rôle de plus en plus important dans la lutte. Celle qui était méprisée pour ses mœurs devient une militante respectée de toutes et tous.

La lutte, malgré ses épreuves douloureuses, permet des avancées dans les droits comme dans les rapports sociaux. C’est là un des le plus grand intérêt de l’œuvre de Sembene, une bonne illustration de cette phrase de Marx  : « De temps à autre, les ouvriers triomphent  ; mais c’est un triomphe éphémère. Le véritable résultat de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union de plus en plus large des travailleurs ». A lire, relire et faire lire.

Benjamin (AL Angers)

  • Ousmane Sembene, Les Bouts de bois de Dieu, Pocket, 1960, 416 pages, 5,95 euros
 
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