Rwanda : Justice française et raison d’État




En démocratie, la justice est censée ne pas se plier à la raison d’État. Or l’affaire de Bisesero montre comment les massacres au Rwanda ont été ignorés par l’armée française il y a plus de vingt ans et comment la justice refuse d’enquêter sur les responsables français des crimes commis à l’époque.

Dans la théorie de notre système prétendument démocratique, la justice se devrait d’être indépendante afin de prévenir les dérives du pouvoir exécutif. Sans être naïfs sur la réelle indépendance de ce pouvoir, des associations et des militant.es tentent d’utiliser les rouages du système judiciaire pour faire reconnaître des crimes et condamner leurs coupables. C’est notamment le cas de plusieurs associations mobilisées sur l’implication française aux côtés des génocidaires rwandais.

Ces actions en justice visent d’une part à faire payer les responsables pour leurs crimes, mais également à rendre officiel les crimes de génocide ou de complicité  ; tout du moins, à avoir au cours des procès différentes occasions de faire du bruit et de mobiliser sur ces questions si peu populaires.

Le déni face aux massacres

C’est le cas notamment pour l’affaire Bisesero, une plainte déposée par Survie, la FIDH, la LDH et des plaignants rwandais.

En 1994, alors que les tutsis sont massacrés depuis plus de deux mois dans tout le Rwanda, la France déclenche l’opération Turquoise le 22 juin avec l’objectif officiel de mettre fin aux massacres.

Le 27 juin, un petit détachement de militaires français découvre des survivants sur la colline de Bisesero, sur laquelle ils et elles sont quelques milliers de Tutsis à être traqué.es quotidiennement. Il en informe sa hiérarchie, et l’information remonte rapidement jusqu’à Paris. Or, l’armée française ne bouge pas jusqu’à ce qu’un autre détachement « redécouvre » les rescapés de Bisesero le 30 juin. Pendant trois jours, la France laisse donc les génocidaires agir en toute connaissance de cause !

Pire, certains témoignages accusent également l’armée française d’avoir sciemment laissé passer aux points de contrôles de Turquoise des militaires rwandais et miliciens se rendant à Bisesero pour participer aux massacres.

Qui, dans la chaîne de commandement militaire et civil, a décidé de cette non-intervention, c’est là tout l’enjeu de cette procédure, qui pourrait mener au plus haut de la hiérarchie militaire et probablement de l’État..



L’inaction de la justice

Or, les juges d’instruction du pôle « crimes contre l’humanité » du TGI de Paris s’apprêtent à enterrer l’affaire en refusant des demandes d’investigations supplémentaires des parties civiles… qui visaient justement à déterminer à quel niveau de la hiérarchie militaire ou civile il a été décidé de laisser le génocide se poursuivre à Bisesero. Ces demandes concernent des auditions d’officiers de terrain, de journalistes présents à l’époque des faits, et surtout de hauts gradés militaires et de responsables politiques (François Léotard, alors ministre de la défense, et Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée).

Par cette décision, les juges d’instruction mènent la procédure vers un non-lieu, consacrant une fois de plus l’impunité des responsables français pour les crimes commis en Afrique, et mettant à bas la possibilité de faire reconnaître officiellement la complicité de génocide de l’État français et de ses décideurs de l’époque.

Noël Surgé (AL Carcassonne)

 
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