Stratégie : Pour une reconstruction du syndicalisme de lutte




Alors que le mouvement social est marqué par les défaites, les anticapitalistes ne prennent pas suffisamment la mesure de la « normalisation » du syndicalisme. Recréer une solidarité de classe, travailler dans l’unité, des pistes pour faire avancer le débat stratégique.

La victoire de Sarkozy n’est pas que la victoire d’un projet, elle s’explique aussi et surtout par l’effondrement idéologique de la gauche gouvernante. Elle est le fruit d’une dépolitisation qui résulte principalement de cette faillite.

Cette crise de la gauche institutionnelle est aussi celle du syndicalisme qui lui est lié, une crise dont le syndicalisme de lutte n’a su que faiblement tirer profit.

Certes l’émergence de l’Union syndicale Solidaires chez les salarié-e-s et le renforcement d’un pôle de lutte dans les facs ont montré la possibilité d’un syndicalisme capable d’impulser des luttes en dépit de l’opposition des directions syndicales majoritaires. Malgré son recentrage, la CGT incarne le principal pôle de résistance des salarié-e-s dans le privé comme dans le public.

Il n’en demeure pas moins que le contexteactuel est caractérisé par une normalisation rampante du syndicalisme et que l’absence de réponse à cette tendance lourde hypothèque toute possibilité de riposte organisée à l’offensive du capital.

Trois défaites majeures

Ces cinq dernières années ont été marquées par trois défaites majeures : en 2003 sur les retraites (ce qui a amené le plan de casse de la Sécu), en 2006 avec la Loi sur l’égalité des chances (ce qui a ouvert la voie à la refonte du code du travail), en 2007 sur les régimes spéciaux de retraites (ce qui a rassuré la droite sur son agenda de destruction sociale en 2008).

Il n’est pas possible pour les anticapitalistes de faire comme si de rien n’était. Après la défaite de 2003, il était de bon ton d’affirmer pour se rassurer qu’il existait des « réserves de radicalité » [1]. La victoire de la jeunesse pour l’abrogation du CPE a amené à relativiser la défaite d’ensemble sur la Loi sur l’égalité des chances liée au refus de la quasi-totalité des organisations syndicales d’en découdre. Enfin, le revers de cet automne pousse de trop nombreux syndicalistes à estimer qu’il ne s’agit pas vraiment d’une défaite étudiante dans la mesure où les cheminots, agents de la RATP et étudiants se sont battus et que c’est cela qui compte.

S’il est légitime de ne pas vouloir désespérer les syndiqué-e-s, raisonner ainsi, c’est se condamner à reconduire l’échec et refuser d’envisager avec lucidité le débat sur des stratégies syndicales qui font cruellement défaut.

Non. On ne peut se contenter d’attendre des jours meilleurs en se disant que le ras-le-bol des travailleurs et travailleuses finira par prendre le dessus, car cette non-stratégie est bien celle du pire.

Reconstruire dans l’unité des anticapitalistes

Bien évidemment, les bureaucraties syndicales ont une responsabilité écrasante, mais cela n’explique pas tout.

Il y a d’autres constats à pointer, à commencer par le fait que l’organisation des travailleurs et travailleuses n’a jamais été aussi faible et que c’est entre autres cela qui explique le recul de l’auto-organisation (car dans auto-organisation, il y a organisation !).

Face à une telle crise, la reconstruction d’un syndicalisme de lutte de classe et de masse, internationaliste et féministe, passe par trois exigences :

– la capacité à organiser des luttes et à les gagner à l’échelle locale, professionnelle et interprofessionnelle ;

– la capacité à incarner une solidarité et donc une protection pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs ;

– la capacité à contribuer au combat idéologique et à incarner la transformation radicale de la société.

Pour mener à bien ces trois tâches, il est nécessaire que les courants révolutionnaires se renforcent car plus il y a de militantes et militants politisé-e-s, plus cela facilite la discussion sur les enjeux stratégiques. Mais cela ne saurait suffire, car cela ne répond pas à l’enjeu stratégique de l’indépendance de classe et à la capacité autonome des exploité-e-s à peser.

Par ailleurs ce renforcement n’a de sens que s’il se conjugue avec une plus grande unité des anticapitalistes qui militent à la CGT, à Solidaires, à la CNT, à la FSU et à FO. Cette unité ne peut que contribuer à accroître leur poids et à affaiblir le poids du patriotisme d’organisation qui, d’une manière générale, stérilise l’action syndicale.

L’exemple des grèves dans la grande distribution

Pour cela, il faudra impulser des cadres de débats et d’initiatives à tous les niveaux (pas seulement avec les responsables nationaux) en associant non pas des individus isolés, mais des militants et des militantes représentatives de leurs structures syndicales.

La reconstruction syndicale passe par une dynamique qui s’élabore de bas en haut, c’est-à-dire par la pratique, et c’est donc une démarche bien différente de la recomposition syndicale qui repose sur l’initiative des seuls appareils.

La meilleure démarche est celle des syndicalistes CGT, Sud, FSU et CNT qui agissent dans UCIJ (voir page 4), qui ont suscité le désir d’un nombre croissant de travailleurs et de travailleuses immigrées de se syndiquer.
Les luttes dans la grande distribution pour des augmentations de salaire et contre les temps partiels imposés, encouragées par les confédérations CGT, CFDT et FO, même si elles se limitent à des journées de vingt-quatre heures, créent des brèches dans lesquelles certaines sections syndicales essaient de s’engouffrer (Carrefour, Fnac, Fabio Lucci) pour engager des mobilisations plus décisives.

Ces luttes ont d’autant plus le vent en poupe que les syndicalistes qui les animent ont fait le choix de se situer là où le Medef et le gouvernement ne les attendaient pas, et qu’elles permettent de déconstruire le discours officiel sur l’immigration ou sur le pouvoir d’achat. D’autres brèches mériteraient d’être ouvertes sur les inégalités hommes-femmes au travail, sur la surexploitation des jeunes apprenti-e-s payé-e-s entre 45 et 79 % du Smic, des stagiaires de collège, lycée professionnel et de l’enseignement supérieur ou sur la précarisation de masse dans le secteur public.

Car c’est en se donnant les moyens d’organiser les plus opprimé-e-s que le syndicalisme parviendra à combattre plus efficacement les divisions de classe qui l’affaiblissent.

Laurent Esquerre (AL Paris Nord-Est)

[11. C’était une des analyses du VIIIe congrès d’AL (Angers, 2004).

 
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