Syndicats-gouvernement : tensions sociales et faux-semblants




Depuis septembre, plusieurs conflits sociaux ont fait la une de l’actualité. Au-delà de leurs développements les plus spectaculaires, ils ont mis en lumière les contradictions qui se multiplient entre les équipes syndicales de terrain et les intérêts des appareils bureaucratiques.

On a jamais autant parlé de la CGT. Grèves de 2003, journées d’actions, grèves à la SNCM, à la RTM, à la SNCF, la première organisation syndicale est sur tous les fronts et y joue un rôle moteur au point d’éclipser pratiquement toutes les autres centrales.
Les médias confortent cette idée en renvoyant cette idée d’une CGT souhaitant en découdre un peu partout face au Medef et au gouvernement.

Cette focalisation médiatique a du reste pour effet de laisser dans l’ombre la grande discrétion des responsables confédéraux de la CGT qui s’emploient à tenir la confédération CGT à l’écart de ces grèves qui posent la question de l’affrontement de classe avec le Medef et le gouvernement.

C’est si vrai qu’on a pas vu une seul fois Thibault aller à la rencontre des grévistes de la SNCM, de la RTM et de la SNCF (il n’est pas le seul dans ce cas et on peut dire la même chose de Mailly alors que FO est également en pointe dans pratiquement tous ces conflits). En revanche, on l’a vu à deux reprises (SNCM, SNCF) se rendre à toute vitesse chez de Villepin pour essayer de négocier un compromis au rabais à l’abri du regard des grévistes, quitte à désavouer ouvertement les équipes de la CGT (SNCM).

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir que la CGT n’ait à aucun moment mis tout son poids pour déclencher un conflit majeur dans la branche des transports urbains en proie aux appétits des compagnies privées.

La stratégie actuelle de la confédération CGT permet de jouer et de gagner pour l’instant sur deux tableaux.
Elle apparaît auprès des travailleuses et travailleurs comme l’organisation la plus combative, et se pose auprès du pouvoir comme un interlocuteur incontournable avec lequel il vaut mieux s’entendre.

Deux CGT ?

Le conflit à la SNCF est venu toutefois en partie contrarier cette stratégie.
Pour la première fois la CGT cheminots a pris l’initiative d’une grève reconductible répondant positivement à une proposition de SUD Rail. Alors que tous les autres grands conflits sociaux ont débouché sur des reculs sociaux, la grève à la SNCF a permis de faire reculer le pouvoir, même si cela est temporaire. Le démantèlement de la SNCF est toujours à l’ordre du jour, mais il se fera plus par le développement de la filialisation et de la sous-traitance que par une ouverture de capital comme à EDF-GDF et à France Télécom.

L’autre leçon des conflits qui ont marqué l’actualité sociale depuis septembre, c’est qu’ils dessinent en creux la coexistence de deux CGT, de deux logiques contradictoires : celle qui conduit à affronter les politiques patronale et gouverrnementale dans toute leur violence et celle du pragmatisme, prête à sacrifier les intérêts de ses adhérent(e)s pour éviter le débordements et une logique d’affrontement direct avec la bourgeoisie.
Pour autant, cela ne signifie pas qu’il y ait une orientation alternative à celle de Thibault. D’abord parce qu’il n’est pas dans la culture très légitimiste de la CGT de remettre en cause ses dirigeants (le débat sur la constitution européenne constitue en cela une première) ensuite parce qu’on ne peut que constater le verrouillage du congrès confédéral de mars 2006, qui donnera certainement lieu à des explications vigoureuses mais ne devrait a priori pas déboucher sur de grands bouleversements.

Toujours est-il que la politique de guerre sociale du Medef et de la droite va entraîner d’autres conflits durs dans plusieurs secteurs. Et il n’est pas sûr que l’harmonie règne indéfiniment entre des dirigeants confédéraux favorables à un rapprochement avec la CFDT, et dont certains étaient des partisans du Oui au référendum sur la constitution européenne, et des équipes militantes qui se battent seules sur le terrain sans pouvoir bénéficier de tous les relais qui font la force d’une organisation interprofessionnelle.

La mise en minorité de Thibault sur la position de la CGT face à la constitution avait sonné comme un coup de tonnerre.

L’initiative de la CGT cheminots va assurément donner plus de poids à toutes celles et ceux qui dans la CGT se battent pour une stratégie d’orientation revendicative plus offensive. Parce que cette stratégie a permis de faire reculer le gouvernement et à permis d’obtenir des résultats concrets à la SNCF, elle va également renforcer la crédibilité de Solidaires dont l’existence et la capacité d’action dans certains secteurs deviennent incontournables, non seulement pour la CGT mais aussi pour les autres organisations syndicales.

Si la donne syndicale ne s’en trouve pas bouleversée, ces derniers développements doivent permettre aux préoccupations des syndicalistes révolutionnaires (action directe, grève générale, convergence des luttes, construction d’un véritable front social) de trouver un plus grand écho auprès de celles et ceux qui se battent et souhaitent donner un débouché à leur action par la victoire des luttes.

Laurent Esquerre

 
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