Technocratie financière : les marchés tentent leur coup d’Etat




La crise de la dette retire aux cyniques et aux naïfs le dernier argument idéologique qui leur permettait d’affirmer que la démocratie européenne était encore vivante : la représentation politique. Avec les nominations de Lucas Papadémos au poste de Premier ministre en Grèce et de Mario Monti comme président du conseil italien, la technocratie financière prend les commandes.

Le reflux démocratique contemporain est un mécanisme à double détente : condamnation sans appel de toute démocratie directe d’une part ; éviction des élus de la démocratie représentative d’autre part. L’offensive technocratique triomphe aujourd’hui sur ces deux fronts.

En ce qui concerne la démocratie directe, l’épisode du référendum de 2005 sur la Constitution européenne a rendu les choses très claires : l’oligarchie politique s’affranchit du « non » parce qu’elle n’accepte aucune alternative au néolibéralisme. La consultation populaire devient sans objet.

Pour ce coup en Grèce, le référendum n’a donc tout simplement pas eu lieu. Son annonce a été dénoncée comme la pire des catastrophes. Libération titrait en une le 2 novembre « Le chaos ». Christian Estrosi qualifiait la décision du Premier ministre grec de « totalement irresponsable ». Ambiance.

[*Démocratie à géométrie variable*]

Papandréou s’est ensuite vu « convoqué » par le président français et la chancelière allemande afin d’expliquer sa décision, convocation assortie d’un « ultimatum » qui eut finalement pour effet de stopper net le processus référendaire.

L’épisode grec révèle donc une chose : les différentes formes de démocraties directes (référendum, initiative populaire…) sont appelées à disparaître au profit des seules formes représentatives. La classe politique sélectionne les procédures démocratiques qui lui sont les plus favorables. Les élections, lorsqu’elles sont cadrées par la compétition traditionnelle gauche/droite, sont utiles pour avaliser systématiquement les contre-réformes néolibérales tout en donnant l’illusion de l’alternance . En dehors de ces castings politiques convenus, sur des questions spécifiques qui mettent en avant la contradiction des intérêts entre une extrême minorité de privilégiés et le reste de la population, elles deviennent impensables, parce que beaucoup trop risquées pour la classe dominante. La démocratie directe est condamnée, les élections sont promues comme seule forme véritablement démocratique.

[*La population comme variable d’ajustement*]

Or c’est justement l’hypothèse selon laquelle la démocratie se maintient avantageusement au travers des seules élections qui n’est plus opposable aujourd’hui. C’est là la véritable nouveauté qu’apporte la crise de la dette en Europe, et que la Grèce inaugure. Car après avoir reculé sur le référendum, Papandréou a démissionné en dehors de toute élection et sans être formellement désavoué par le Parlement grec. Son successeur, Lucas Papadémos, est un banquier ! Comment expliquer un tel dénouement ? Papandréou a été poussé vers la sortie parce qu’il n’était pas représentatif, non pas de la population, mais des marchés financiers. La Grèce n’est plus présentée que comme une équation comptable déséquilibrée : cela implique de passer d’un gouvernement politique à une « gouvernance » financière. Papandréou devait être remplacé par un homme appartenant à l’establishment financier, suffisamment intime des marchés pour les rassurer et susceptible de restaurer la rentabilité du pays aux yeux des agences de notation.

Nous avons donc assisté à un véritable transfert de souveraineté lié à la dette publique : les mesures prises par le nouveau Premier ministre s’adressent avant tout aux investisseurs, la population servant de variable d’ajustement. De manière somme toute logique, la financiarisation de l’économie débouche sur la financiarisation de la politique.

L’effet domino qui s’est alors mis en place n’a rien à voir avec les faillites nationales. C’est avant tout à une contagion technocratique que nous assistons. Après la Grèce, c’est au tour du gouvernement italien d’être renversé par les marchés financiers. Berlusconi quitte le pouvoir, aussitôt remplacé par un comité d’experts dirigé par Mario Monti. Eurocrate, Monti n’appartient bien évidemment à aucun parti politique et n’a présenté de candidature à aucune élection. La composition de son gouvernement en dit long sur ce coup d’État technocratique : que des technocrates ! Explication du nouveau président du conseil italien : « Je suis parvenu à la conclusion que l’absence de responsables politiques dans le gouvernement faciliterait la vie à l’exécutif (sic !) enlevant des motifs d’embarras » .

[*La démocratie du plus fort est toujours la meilleure*]

Alors, après la Grèce et l’Italie, à qui le tour ? L’Espagne peut-être ? Le nouveau Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a déclaré que « les gouvernements européens devraient être des représentants élus de leur peuple plutôt que des technocrates cooptés par Bruxelles. »

M. Rajoy sait pertinemment les difficultés qui l’attendent. Dans un pays où le taux de chômage frôle les 20 %, annoncer le gel des salaires, des coupes budgétaires massives et l’augmentation des impôts relève du suicide politique. Si en revanche il ne parvient pas à faire passer ces mesures d’hyperaustérité au pas de charge et sous la surveillance de la « Troïka » [1], il risque d’être débarqué à son tour.

Finalement, si la disqualification de la démocratie directe était devenue une évidence en 2005 avec le contournement du résultat référendaire, la crise a eu un effet inattendu : celui de discréditer la classe politique « démocratiquement » élue. Victime d’un processus qu’elle a elle-même initiée, la classe politique zélée (qui avait ainsi dénié toute légitimité au référendum) se trouve aujourd’hui elle-même en difficulté face à des représentants plus « directs » des intérêts de l’oligarchie. La technocratie européenne remplace donc un personnel politique jugé trop timoré et inefficace dans la marche des « réformes ». Juste et prévisible retour des choses probablement. Quoiqu’il en soit, la démocratie représentative, dernier paravent derrière lequel s’abritait l’idéologie dominante pour justifier l’ordre actuel, vient de s’effondrer, laissant paraître une réalité crue, inavouable et sans concession : la suspension d’une démocratie même formelle au profit des plus forts.

Eloi (La Grande Relève)

La Grande Relève et l’économie distributive

La Grande Relève est un mensuel, fondé en 1935 (toujours aussi vivace) pour proposer une alternative à l’économie capitaliste : l’économie distributive.

Dans ce système économique, la monnaie n’est pas créée pour rapporter mais seulement pour pouvoir produire et distribuer entre tous, actifs et inactifs, la richesse produite : elle rend financièrement possible ce qui, au terme d’un débat démocratique, est jugé à la fois humainement souhaitable, matériellement et écologiquement réalisable.

Cette monnaie « distributive », émise par une institution publique, n’est donc qu’un pouvoir d’achat qui s’annule quand on l’utilise : la masse monétaire est créée et détruite au même rythme que la production.

Ce sont les citoyens qui décident, à l’échelle appropriée de ce qui sera produit et dans quelles conditions, et de l’importance relative des trois parts à faire dans la masse monétaire : financer la production, assurer les services publics (car impôts et taxes n’existent plus), et verser à chacun un revenu garanti pour pouvoir vivre libre.

l Site internet : economiedistributive.free.fr

[1L’attelage Union européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne.

 
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