UJFP-JJR : Le nœud des divergences




Depuis plusieurs années, des désaccords existaient entre l’Union juive
française pour la paix (UJFP) et le groupe Juives et Juifs révolutionnaires (JJR). Récemment, le débat s’est brutalement avivé. Éclairage.

Le 19 février à Paris, en réaction à la profanation du cimetière juif de
Quatzenheim, mais aussi aux expressions antisémites ayant émaillé le mouvement des gilets jaunes, un rassemblement aussi large qu’équivoque (de LR au PCF, en passant par LRM, le PS et LFI) se tient place de la République, incluant des racistes notoires (Wauquiez, Ciotti, Valls...). En parallèle, à l’appel de l’UJFP, rejointe par diverses associations (Comité Adama, collectif Rosa Parks, FUIQP, AFA, etc.), près de 400 personnes se retrouvent à Ménilmontant « contre les actes antisémites, contre leur instrumentalisation ».

Une belle réussite antiraciste unitaire, néanmoins troublée par un incident assez consternant : deux personnes juives ayant protesté, au micro, contre la minimisation de l’antisémitisme ordinaire par le mouvement social et antiraciste, se sont fait huer par une petite partie du public ! Gros malaise [1] .

Le matin même, un communiqué des JJR avait critiqué le rassemblement institutionnel... mais aussi celui de Ménilmontant, en des termes très
durs [2] . Une semaine plus tard, ils et elles détaillaient leurs griefs [3] , avant que l’UJFP y réplique avec virulence [4] .

« Injonction » et « Philosémitisme d’état »

Que reprochent, en substance, les JJR à l’UJFP ? Primo, un discours selon lequel, pour ne pas subir l’antisémitisme, les Juives et Juifs devraient au préalable se dissocier du sionisme, ce qui, pour les JJR, relève de la même « injonction » illusoire (et raciste) que celle faite aux musulman.es de se dissocier de l’islamisme pour ne pas endurer l’islamophobie ; secundo, le partenariat de l’UJFP avec le Parti des indigènes de la république (PIR), dont les JJR jugent les positions sur l’antisémitisme problématiques ; tertio, une tendance à minimiser les actes antisémites en France pour ne pas faire le jeu des sionistes, mais qui, en ne répondant pas à l’inquiétude de la communauté juive, ferait au contraire le lit de la droite et des sionistes ; quarto, l’usage de l’expression « philosémitisme d’État », jugée dangereuse car une partie du grand public la traduit nécessairement par « privilège juif ».

« Que les choses soient claires, affirme un militant des JJR : ce ne sont pas les positions de l’UJFP concernant Israël et la Palestine qui sont en cause.
Mais nous pensons qu’elle se fourvoie sur la question de la lutte contre l’antisémitisme en France. »

Que répond l’UJFP, en substance ? Que l’« injonction » vient en premier lieu d’Israël et du Crif qui prétendent parler au nom des Juifs et Juives, et exigent une allégeance au sionisme, et qu’affirmer au contraire un clair soutien à la Palestine est le meilleur rempart contre l’antisémitisme ; qu’il n’y a nul « partenariat » avec le PIR, diversement apprécié au sein de l’UJFP, mais considéré comme une composante de l’antiracisme politique ; qu’on peut user de l’expression « philosémitisme d’État » pour désigner une forme perverse d’antisémitisme ; qu’il n’a jamais été question de minimiser la montée de celui-ci.

« Au sein de l’UJFP, il y a diverses sensibilités, précise Pierre Stambul, mais unanimité pour dire qu’il est faux de dissocier l’antisémitisme des autres formes de racisme. Je regrette que les JJR se taisent sur le racisme des dirigeants israéliens, qui mettent sciemment les Juifs en danger. »

La controverse est à présent sur la place publique. Espérons qu’elle ne dissuadera pas l’action conjointe, au moment opportun, de deux organisations qui ont en commun leur opposition au sionisme et à l’antisémitisme.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

[2JJR, « Larmes de crocodile », 19 février 2019.

[3JJR, « Quel antiracisme politique ? », 3 mars 2019.

 
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