journal de bord

Un communiste libertaire dans les YPG #15 : « Nous avons une immense responsabilité politique »




« Le véritable défi sera d’implanter le confédéralisme démocratique dans la région de Raqqa, où les djihadistes ont réussi à se créer une base populaire. »


Alternative libertaire reproduit les billets du blog Kurdistan-Autogestion-Révolution, carnet de voyage d’un camarade engagé au sein des YPG.

Au fil des semaines, il témoignera de la vie au sein des milices combattantes, des débats qui s’y mènent et de l’expérience du confédéralisme démocratique dans les zones libérées.


Front Est de Raqqa, le 20 septembre 2017

Suite de mon précédent billet.

Moins d’un quart d’heure après que la caravane des djihadistes en fuite a quitté mon champ de vision, la ville de Mansoura a subitement repris vie. Les gens sont sortis de leur maison, ont retrouvé leurs voisins, et ont commencé à se balader dans les rues avec prudence. Dans un premier temps, en arborant un drapeau blanc.

Peu après, les habitantes et les habitants qui s’étaient réfugiés aux abords de la ville dans des campements de fortune sont revenus pour retrouver leurs maisons. Les gens semblaient heureux. Difficile de savoir si c’était parce qu’ils étaient délivrés de Daech ou parce que les combats étaient terminés, sans avoir été ni trop longs ni trop destructeurs.

Certains sont venus nous voir pour nous inviter à partager le thé, ou simplement nous raconter comment Daech les traitait. C’était loin d’être la majorité. La plupart se contentaient de manifester leur satisfaction en nous saluant quand ils passaient non loin de nous… Difficile de démêler ce qui relevait de l’adhésion et des précautions que l’on prend avec les vainqueurs.

Implanter le confédéralisme démocratique

Nous avons une immense responsabilité politique vis-à-vis des populations libérées.

La guerre, c’est la continuation de la politique par d’autres moyens (Clausewitz, à lire !). En dernière instance, toute action militaire n’a de sens que liée à un objectif politique. C’est une chose que les FDS ont bien intégré. On nous l’a assez répété durant toute notre formation : le véritable défi pour la révolution commencera une fois Daech vaincu.

Or Daech est déjà, virtuellement, vaincu. Ce n’est plus qu’une question de temps. L’anéantissement de ses troupes est assez secondaire, et c’est pourquoi nous avons préféré négocier leur départ de Mansoura.

Le véritable défi sera d’implanter le confédéralisme démocratique dans la région de Raqqa, où les djihadistes ont réussi à se créer une base populaire.

Si nous y parvenons, non seulement la révolution aura fait un pas de géant autour d’un modèle de société anti-étatique et égalitaire, mais nous aurons éliminé le terreau favorable à une éventuelle résurgence du djihadisme. De ce point de vue, la prise de Mansoura est un coup de maître. Les FDS ont évité un maximum de dégâts et de pertes civiles, ce qui a montré à la population que nous nous soucions d’elle. D’autre part, en limitant les combats urbains, nous avons préservé nos troupes, ce qui était indispensable avant la bataille de Raqqa.

Quant à l’État islamique, à Mansoura, il a été battu sur plusieurs plans. Primo, il a dû nous abandonner pas mal de matériel – des dizaines de tonnes d’explosifs, des chars, etc. Secundo, il ne pourra pas tabler sur le mécontentement de la population. Tertio, comme ses combattants ont choisi de sauver leur vie, comme le commun des mortels l’auraient fait, il ne pourra pas produire son habituelle narration mystique autour du martyre.

Arthur Aberlin

 
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