Universités : Sélection, la ligne rouge à ne pas franchir




Le gouvernement a lancé une «  concertation  » visant à mettre en place la sélection à l’entrée de l’université, sous la forme de prérequis pour intégrer les différentes filières, à la rentrée 2018. Il se pense suffisamment fort pour attaquer conjointement les salarié.es, avec la réforme du Code du travail, et la jeunesse scolarisée, en détruisant un acquis qu’elle a toujours défendu avec succès. Détrompons-le.

Le projet de sélectionner les étudiants et étudiantes qui auraient le droit d’entrer à l’université est aussi vieux que la massification scolaire. Forcément  : les études supérieures sont l’un des moyens les plus efficaces pour légitimer les inégalités sociales dans des sociétés prétendument égalitaires. Ce n’est donc qu’avec réticence qu’on laisse les classes populaires y accéder. Dès les années 1960, un ministre, Fouchet, propose des mesures sélectives. Mais c’est surtout en 1986 que Devaquet tente de mettre en place la sélection et la hausse des frais d’inscription. Devaquet, ou le traumatisme des «  réformateurs  » de l’enseignement supérieur  : une mobilisation monstre des lycées et universités, Malik Oussekine assassiné par la police à la suite d’une manifestation, la démission du ministre et l’abandon du projet.

Depuis, c’est la ligne rouge pour les gouvernants comme pour les étudiants et étudiantes  : impossible en France de sélectionner ou d’augmenter les frais d’inscription dans les universités sans allumer l’étincelle de la révolte.

APB : faillite organisée

Diverses voies de contournement existaient cependant, largement favorisées par les réformes néolibérales de l’enseignement supérieur  : sélection dans certaines filières, frais d’inscription illégaux... Et une première brèche en décembre 2016  : la sélection en première année de master devient possible. Pas avare de recyclage de vieilles lubies sous couvert d’«  innovation  », le gouvernement Macron a rouvert le dossier. La sélection sera effective dès la rentrée 2018, sous la forme de prérequis pour intégrer les différentes filières. Le bac, bientôt réformé lui aussi, ne suffira plus. Après une mascarade de «  concertation  », la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal annoncera ses décisions en novembre.

Le gouvernement est bien aidé par la faillite organisée du système existant. Depuis 2008, l’accès des futur.es bacheliers aux études supérieures est géré par un algorithme nommé APB, pour admission post-bac. Les lycéens entrent des vœux sur un site internet, les universités leurs places dans chacune de leurs formations. Secouez-bien, et vous obtenez une répartition des étudiants dont personne ne maîtrise les critères et qui mécontente tout le monde  : les personnels des universités et de l’Éducation nationale, les lycéens et leurs familles...

À cet algorithme est déléguée la gestion de la pénurie  : on a en effet asphyxié financièrement les universités sans leur permettre de créer les locaux et les postes suffisants pour accueillir toutes celles et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études. On aboutit ainsi à la catastrophe de 2017  : recours croissant au tirage au sort pour sélectionner les candidats, 87 000 étudiants sans affectation le 15 juillet...

On pourra bien changer l’algorithme, «  orienter  » les lycéens et lycéennes, pousser les murs, 87 000 étudiantes et étudiants, cela veut dire qu’il faut construire au minimum trois universités. Au lieu de quoi, gouvernement et présidents d’université s’emploient à rendre la situation inacceptable, de façon à légitimer la sélection au «  mérite  ». Comme si elle n’était pas aussi injuste que le tirage au sort dans un pays où l’accès à l’université est un droit. Comme s’il était pertinent de demander à des jeunes de 18 ans d’avoir déjà fait leurs preuves, alors qu’ils ont commencé leur vie dans des conditions radicalement hétérogènes en termes d’environnement social, économique et scolaire.

Alors, la sélection, on les laisse la faire  ? Défendre l’égalité d’accès à l’université, ce n’est pas dire qu’il n’y a pas de salut en dehors des études. C’est exiger leur démocratisation pour qu’en cessant d’être réservées à certains, elles perdent aussi le rôle qui leur est attribué  : permettre de donner moins à ceux qui n’en font pas. C’est en faire une voie d’émancipation, parmi d’autres, pour celles et ceux qui le souhaitent. Aujourd’hui comme en octobre 1967, les murs craquent sous l’afflux d’étudiantes étudiants. La colère peut exploser. Pour les militants lycéens, étudiants, de l’éducation, l’enjeu est de mettre toutes les forces dans le travail d’information, de mobilisation, de faire converger cette lutte avec celle contre les ordonnances travail. Le gouvernement se croit capable de mener de front une réforme du Code du travail et l’instauration de la sélection à l’entrée de l’université. Chiche.

Julie (AL Saint-Denis)


Idées reçues sur la sélection

Il y a trop d’échec en premier cycle, parce qu’il n’y a pas de sélection à l’entrée.

Faux. Un étudiant sur deux ne valide pas sa première année. Mais un étudiant sur deux, c’est aussi la part de celles et ceux qui doivent exercer un emploi salarié en parallèle de leurs études, pendant l’année universitaire (si l’on ajoute celles et ceux qui travaillent seulement pendant les vacances, on atteint une proportion de 73 %). C’est cela qui diminue leurs chances de réussir.

L’échec en premier cycle, ce sont les bacs pros qu’on laisse s’inscrire à l’université.

Faux. Les titulaires d’un bac professionnel représentent 4 % des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur. Une goutte d’eau. Cela ne devrait pas être sorcier de leur donner les moyens de réussir, notamment par un accompagnement méthodologique.

On ne peut pas accueillir tous les étudiants qui le souhaitent dans des filières qui n’ont pas assez de débouchés.

Faux. À terme, les étudiants diplômés du supérieur trouvent plus facilement des emplois stables que les autres. Bien souvent, il ne travaillent pas dans le débouché «  naturel  » de leur filière  : l’université dispense une formation généraliste permettant d’exercer des métiers différents. C’est ensuite aux entreprises d’apprendre aux salarié.e.s ce qu’ils ont à faire sur le poste précis qu’ils occupent, même si elles essaient de sous-traiter cette tâche au service public à travers l’impératif de «  professionnalisation  » des formations. Contrairement à une autre idée reçue, les étudiants des universités ne souffrent pas d’une méconnaissance du monde de l’entreprise, puisqu’ils y travaillent déjà pour beaucoup (voir supra)  !

Source des données chiffrées  : enquête Conditions de vie des étudiants 2010 de l’Observatoire national de la vie étudiante.

 
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