Violences sexuelles : Vers une justice au rabais pour les victimes




Le 5 août était promulguée la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ce titre est trompeur tant les demandes des associations féministes n’ont pas été entendues. Retour sur les prémices et les ratés de ce texte pourtant tant attendu après Metoo et Balancetonporc.

Il y a un an, l’affaire Weinstein mettait en lumière l’ampleur des violences sexistes et sexuelles à Hollywood. L’occasion pour de nombreuses femmes, enfin, de dénoncer et décrire les violences subies, actuelles et passées, avec les désormais célèbres #Metoo et #Balancetonporc, y compris en France. Loin d’une prise de conscience massive et d’une condamnation sans appel des agresseurs comme on était en droit de s’y attendre, ces dénonciations ont donné lieu à des procès d’intention contre les victimes. Ces dernières ont été sommées de se taire, niées et traitées de «  délatrices  » par celles et ceux qui défendent «  un droit d’importuner  », au nom de la gauloiserie et d’une certaine tradition française.

À l’origine, entre mobilisations et indignation

Dans la même période, on apprenait que deux hommes étaient pour l’un relaxé, pour l’autre jugé en correctionnelle, bien qu’accusés de viol sur des fillettes de 11 ans. Ces deux décisions ont provoqué un tollé et ont mis en lumière la faiblesse du système judiciaire à condamner ce qui relève pourtant d’un crime et donc de la cour d’assises.

Au cœur de toutes ces affaires, la question du consentement des plaignantes revient en boucle. Et c’est toujours à ces dernières que l’on demande inlassablement de prouver qu’elles n’étaient pas consentantes. On comprend mieux pourquoi neuf femmes victimes de viol sur dix ne poussent jamais la porte du commissariat. Au-delà de la banalisation des violences sexuelles, une majorité des victimes sait déjà à quoi s’attendre  : remise en cause de leur témoignage, de leur comportement, de leurs pratiques sexuelles… qui pourraient faire tomber leur statut de victime tout en dédouanant l’agresseur. Pour peu que l’agresseur soit un conjoint (ou ex), et le tour est joué  ! «  Consentante un jour, consentante toujours  » semble être le maitre-mot des enquêteurs et des magistrats (90 % des plaintes pour viol conjugal sont ainsi classées sans suite). Car la définition pénale des agressions sexuelles en France, dont le viol, reprend l’idée que ces actes doivent avoir été imposés par violence, contrainte, surprise ou menace. Dans les faits, la victime doit également prouver qu’elle a clairement exprimé un refus (soit qu’elle l’ait dit, soit qu’elle se soit débattue). La notion de contrainte, morale notamment, n’est finalement que peu reprise par les magistrats peu formés sur la problématique des violences faites aux femmes et les mécanismes empêchant des victimes de notifier un quelconque refus. La loi du 5 août était donc attendue par les associations et organisations féministes comme pouvant réparer les manques des lois passées.

Il aura fallu 5 mois de débats et de polémiques pour que finalement la montagne accouche d’une souris. Car le texte final est expurgé des questions essentielles. En effet, contrairement à ce qu’avaient annoncé Macron et Schiappa, aucun âge minimum de consentement n’a été fixé, et l’appréciation de la peine (et donc de la qualification des faits) reviendra aux magistrat.es ou au juré.es. Tout juste est-il indiqué que la différence d’âge entre un.e mineur.e et un majeur pourra (et non devra) constituer une contrainte en soi. Par ailleurs, l’imprescriptibilité des faits n’a pas été retenue et les délais de prescription passent de 20 à 30 ans à compter de la majorité pour les viols commis sur des mineur.es. Délais améliorés mais toujours problématiques au vu des avancées sur l’amnésie traumatique, dont on sait qu’elle peut parfois se prolonger très tard dans la vie d’une victime de violences sexuelles pendant l’enfance. Ce texte, qui se voulait ambitieux, n’aura finalement pas été au bout.

Un texte de loi frileux et insuffisant

Alors que la Suède votait en juin de cette année une loi sur le consentement sexuel (qui considère comme viol tout acte sexuel sans accord explicite, même en l’absence de menace ou de violence), le gouvernement et les parlementaires ont préféré le statu quo. La charge de la preuve continue de reposer sur la victime, et ce n’est donc toujours pas à l’accusé d’apporter la preuve qu’il s’est bien assuré du consentement de cette dernière. Pire, la future réforme de la justice prévoit des tribunaux criminels départementaux pour juger «  les crimes les moins graves  » (selon les propos de la ministre de la Justice) dont le viol. À la différence des cours d’assises, les procès se feront sans juré.es et seront plus vite expédiés (en l’absence d’expert.es, voire de témoins), «  offrant  » aux victimes de viol une justice au rabais, sous prétexte d’accélérer les procédures et d’éviter la correctionnalisation.

Évidemment, ces différents textes font système et s’intègrent complètement dans le patriarcat et la culture du viol. Le viol devient un crime déqualifié, toujours aussi difficile à prouver, notamment quand il est le fait d’un proche ou d’une connaissance de la victime. Les agresseurs peuvent continuer de dormir tranquilles, d’autant plus que les programmes de prévention des violences sexuelles dans l’éducation nationale (pourtant obligatoires) sont le plus souvent ignorés, faute de moyens et de personnels formés. De même, l’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons est aléatoire d’un établissement à l’autre et est souvent le fruit de la volonté de l’enseignant.e d’aborder ce sujet avec ses élèves, au risque d’être accusé.e par les réactionnaires (qui ont à nouveau le vent en poupe) de pervertir les enfants. Ce manque généralisé de volonté politique de prévenir et d’agir en matière de violences sexuelles doit être dénoncé. C’est ce que nous ferons à nouveau le 24 novembre prochain, en manifestant pour l’élimination des violences faites aux femmes.

Gaëlle (AL Saint-Denis)

 
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