Antifascisme : A Lyon, une manifestation symptomatique




Ce samedi 29 novembre le FN choisissait Lyon, laboratoire des groupuscules fascistes, pour tenir son Congrès et tenter d’illustrer sa dédiabolisation politique en prenant de la distance par rapport à ces groupuscules d’extrême-droite violents. En réponse à cette provocation, divers collectifs ou organisations ont appelé à manifester dans la rue pour rappeler une évidence : non le FN n’est pas un parti comme les autres ! Ce parti est et restera un parti pétainiste, réactionnaire, xénophobe et antiféministe ! Malheureusement, la manifestation ne s’est pas passée comme prévu.

Les forces réactionnaires n’ont pas attendu le congrès du FN, le 29 novembre dernier, pour mettre la pression. Quelques jours avant la manifestation, les identitaires ont voulu faire dans la surenchère sécuritaire en proposant aux commerçants leur « service de protection gratuit contre les anarchistes et antifascistes », vaste hypocrisie. Cette manœuvre a servi de prétexte à la préfecture pour durcir, encore plus, le dispositif policier : Carenco, le préfet du Rhône, a répliqué en déclarant que les mesures de « sécurité » seraient renforcées, et ce bien évidement afin de protéger les honnêtes citoyens et citoyennes des heurts entre anarchistes et fascistes.

Un dispositif policier sur mesure

Le jour J, le dispositif préventif était impressionnant. Avant même d’arriver à Lyon, beaucoup de cars affrétés pour l’occasion ont été immobilisés pendant une heure, le temps de fouiller et de ficher, pardon, de « vérifier » l’identité de tous les passagers. Partout dans Lyon, les flics patrouillaient et contrôlaient également les identités des personnes considérées comme suspectes, leur confisquant au passage leurs autocollants. Aux abords du départ de la manif, les fouilles des sacs étaient systématiques, certaines personnes connues comme étant des militants et militantes radicaux ont été préventivement emmené-e-s au poste. Finalement, avec plus d’une heure et demi de retard, à cause des différents contrôles, la manifestation a pu démarrer. Venait en premier le cortège de la CONEX et du collectif de vigilance 69, puis les syndicats et partis politiques, le cortège libertaire (AL/CNT) et enfin, le cortège dit « radical ».

Alors que des groupes de manifestants radicaux ont attaqué les vitrines des banques et des agences d’intérim, la riposte policière ne s’est pas faite attendre et une pluie de grenades lacrymogènes s’est abattue sur l’arrière du cortège. Une charge policière a suivi, dispersant l’arrière de la manifestation.

La SO AL/CNT a alors fait face aux robocops CRS assez de temps pour que le SO du NPA et une partie de celui de Solidaires arrive en renfort. La ligne a tenu jusqu’à la Place du pont, où tant les obstacles posés par les « inorganisé-e-s » que les manœuvres policières ont coupé la manifestation en deux.

La police a ordonné à la tête de cortège de courir pendant qu’elle prenait place au milieu du trou ainsi creusé, dissolvant le cortège de tête après l’avoir harcelé sur une certaine distance. La seconde moitié, composée des cortèges d’AL/CNT, NPA et une partie de Solidaires a été isolée et encerclée sur le pont de la Guillotière une trentaine de minute, puis devant l’Hôtel-Dieu, le temps d’une heure. Finalement, les manifestants et manifestantes ont a pu rejoindre la gare de Perrache, sans cesser de scander des slogans, sous escorte policière, photographié-e-s par les fascistes et sous surveillance attentive de l’hélico.

Un premier bilan

Si la mobilisation n’était pas ridicule, elle n’était clairement pas à la hauteur des enjeux. Encore une fois, nous avons pu constater le recul du mouvement social, qui s’observe de manière concrète, rassemblant environ 4000 manifestants de France et des pays voisins. Elle a eu le mérite d’exister dans un contexte de recul des luttes sociales et d’accélération de la répression. Elle a montré qu’une opposition nationale (voir internationale) au FN et au racisme d’Etat, existait.

Malgré la volonté policière et politique et de faire tomber des têtes, il y a eu relativement peu d’arrestations dans la manif et aucune dans notre cortège. Grâce, notamment à la coordination entre AL, la CNT, Solidaires et le NPA. On compte malheureusement 18 arrestations faites en marge du cortège de la CONEX, deux personnes passées en comparution immédiate qui ont obtenu le report de leur procès au 8 janvier, trois autres ayant refusé la comparution immédiate sont convoquées au tribunal au mois de mars. Les autres sont sorti-e-s avec des rappels à la loi.

Évoquons à présent l’importance du dispositif policier : des dizaines de camions de CRS, un hélicoptère pendant toute la manif, un canon à eau, etc. La police, sans surprise, a joué son rôle de milice capitaliste, violente et disciplinée. Il est légitime de s’interroger sur la raison de ce dispositif : effrayer ? Oui. Réprimer ? Bien sûr. Mais avant tout, comme toujours, la police était là pour protéger les intérêts de l’Etat et du capital. En ces temps de crise économique, l’importance du dispositif policier traduit la peur des classes capitalistes d’un mouvement social radicalisé. Si les autorités et leur porte-voix, les médias, récitent leur discours bien rodé sur les « casseurs », nous ne regrettons pas que les symboles du capitalisme et de la précarisation des travailleurs et travailleuses soient attaqués. Nous nous interrogeons plutôt sur l’utilité la destruction des abris-bus, qui abritent de la pluie et du vent, dans un quartier populaire où l’antifascisme avait bonne presse.

Toutefois, ces problèmes matériels restent mineurs à nos yeux. En effet, c’est avec l’attitude du « cortège » des « inorganisé-e-s » que nous sommes en désaccord. En effet, au moment de la charge policière, ces personnes ont courageusement couru vers l’avant de la manif laissant les autres, à l’arrière, gérer la charge et tenir la ligne ; faisant ainsi la preuve d’un courage politique incroyable. Le fait de fuir la charge policière, pour des personnes appelant clairement à l’affrontement dans leurs tracts et affiches, nous a paru quelque peu incohérent et peu honnête. Mais le problème de l’attitude des « inorganisé-e-s » ne s’arrête pas là. Non contents de trouver refuge dans les cortèges en amont de la manifestation, ils et elles ont placé des obstacles derrière leur passage, désorganisant ainsi toute la ligne qui faisait face à la police. L’absence de solidarité est une chose, la mise en danger de camarades en est une autre. Cette attitude là est inadmissible. Nous dénonçons également le fait d’imposer une stratégie à tout le monde. Que certaines personnes aient envie de péter des banques ne nous dérange pas, mais nous devons respecter les différences et capacités de chacun : tout le monde n’a pas l’envie ou la possibilité d’en assumer les conséquences immédiates (lacrymo et coup de matraque). Les actions « violentes » sont une autre manière de manifester mais ne doivent pas empêcher le reste de la mobilisation de continuer de la manière dont ils et elles le souhaitent.

Néanmoins, ne nous trompons pas d’ennemis, ceux qui nous ont jugulé sur le pont, ne sont pas les "inorganisé-e-s". Ce ne sont pas eux-elles non plus qui nous ont gazés et arrêté des camarades, ce ne sont toujours pas eux-elles qui expulsent des sans paps et réduisent les droits des travailleurs. C’est bel et bien l’Etat, et son bras armé la police, qui encore une fois nous à réduit au silence. L’autorisation de la manifestation n’a servi au PS que de caution démocratique. La décision de nous empêcher de défiler était prise avant, la casse leur a juste servie de justification pour mettre en œuvre cette décision.

Compte tenu du dispositif répressif mis en place, il était évident qu’ils ne nous laisseraient pas terminer la manif ; s’il n’y avait pas eu le bris de vitrine, les flics s’en seraient chargés eux même pour que les choses dégénèrent, en témoigne le flic infiltré qui s’est fait repérer et dégager du cortège.

Pour un antifascisme sans concession

Cette manifestation ne serait qu’une manifestation réprimée de plus si elle ne révélait pas autre chose. D’abord, elle marque une rupture, entre deux conceptions de l’antifascisme : l’antifascisme institutionnel, qui pense que l’on combat le fascisme en appelant à l’aide l’Etat ; et l’antifascisme radical qui adopte différents moyens d’actions pour combattre le fascisme au quotidien et sur le terrain [1]. Les communiqués de la CONEX et du Collectif de vigilance, que nous condamnons par ailleurs, appelant à réprimer les « casseurs » illustrent parfaitement ce fossé.

Ces communiqués et cette manifestation sont symptomatiques de l’insuffisance de l’antifascisme « républicain ». Tout cela illustre très bien le paradoxe qu’il y a à en appeler à un Etat pour régler une situation dont il est lui même à l’origine. Ce « militantisme » institutionnel est à chaque fois un échec cuisant pour la lutte antifasciste, et révolutionnaire de manière générale ; mais entraîne également de lourdes répercussions sur le reste du mouvement social. La faiblesse idéologique de ces organisations et leur « manifs promenades » ne font que décourager les travailleurs et travailleuses et que les nouvelles générations à s’engager politiquement contre l’Etat et le capital. De manière logique, la faiblesse des organisations dites de gauche et l’absence sur le terrain de la lutte des classes profitent de manière symétrique à la croissance de l’extrême droite et du racisme et sexisme ordinaire. Plus nous nous montrons faible, plus ils seront forts.

Cette absence de radicalité n’est pas qu’institutionnelle, en tant que libertaires, nous devons également nous remettre en question. Pourquoi notre cortège n’a-t-il compté qu’une centaine de personnes, alors que celui des « inorganisé-e-s » était jusqu’à 5 fois plus nombreux ? Malgré tous les écueils et défauts de cette mouvance très hétéroclite, nous devons reconnaître la supériorité de sa force de mobilisation et nous interroger sur nos propres pratiques. Plus que jamais, il paraît important de dialoguer avec eux-elles, non seulement afin d’assurer au mieux la sécurité collective (ce qu’ils et elles n’ont absolument pas fait lors de cette manif) mais également discuter et trouver des points de convergences avec eux-elles car le 29 a démontré qu’il faudra compter avec eux et elles à l’avenir sur le terrain de la lutte sociale.

Seul un antifascisme radical de masse, permettrait un rapport de force physique et idéologique suffisant pour faire reculer et écraser le fascisme. Néanmoins, cet antifascisme radical ne peut pas exister qu’une fois tous les trois mois dans la rue. Il se doit d’être là, présent au quotidien, dans les quartiers populaires, dans les boites, à la fac, à l’école, etc. Ce combat est un combat qui se mène au quotidien, à chaque fois que l’on entend une petite remarque sur les Roms à la boulangerie ou lorsque que l’on discute avec ces voisins. Il est nécessaire de recréer des espaces de solidarité et de discussions où nous pourrions déconstruire toute la désinformation de l’Etat policier qui ne cesse de nous diviser afin de se protéger. Ces solidarités concrètes, ce discours que nous portons est à présent plus difficile à mettre en place avec les habitants de la Guillotière maintenant que leur environnement de vie est pété... C’est tout un lien de confiance et de solidarité qu’il nous reste à reconstruire et nous l’avons vu le 29 novembre, on part de très loin.

Collectif AL de Lyon

[1Voir l’article « 1990 : l’antifascisme au tournant » dans Alternative libertaire de septembre 2013, qui rappelle que le problème se posait déjà début des années 1990 pour la construction d’un antifascisme de masse.

 
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