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Arme nucléaire : Rififi dans la communauté internationale




Une résolution de l’ONU pour l’interdiction des armes nucléaires menace de chambouler le paysage des grandes puissances. Par un renversement de l’opinion mondiale, qui depuis soixante ans attribue la paix à l’équilibre de la tension entre les pays détenteurs de la bombe, on criminaliserait ces derniers. Mais les lignes peuvent-elles bouger ?

Le 27 octobre 2016, 123 pays de l’ONU ont voté une résolution pour lancer, dès 2017, un processus pour aller vers l’interdiction totale des armes nucléaires et leur complète élimination. Ce sont les pays dénucléarisés qui veulent criminaliser la détention de l’arme et en finir avec le chantage à la domination. Sans surprise, les grands pays détenteurs de l’arme atomique ont voté contre cette résolution : la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, avec leurs satellites qui « profitent » du parapluie nucléaire, plus Israël, soient 38 pays en tout.

Plus tôt dans la même journée, le Parlement européen avait voté très largement une motion d’encouragement en faveur du traité onusien, tandis qu’une centaine de parlementaires lançaient une procédure pour faire un référendum en France pour l’acceptation du traité. Cet enchaînement de procédures est sans précédent dans l’histoire du nucléaire militaire. En effet, vingt-quatre ans après l’interdiction des armes chimiques, les choses semblent enfin pouvoir bouger. Évidemment, rien n’est simple, et les grandes puissances nucléaires (qui sont les membres permanents disposant du droit de veto à l’ONU, exceptée la Chine qui s’est abstenue) ne sont pas prêtes à lâcher leur suprématie.

Par exemple, l’actuel gouvernement américain a clairement fait pression sur ses alliés pour qu’ils votent contre la résolution. Et Donald Trump, qui va toujours plus loin, semble tout a fait disposé à troquer l’actuelle « protection militaire » du Japon et de la Corée du Sud contre un développement local de l’arme atomique. Les autorités japonaises de leur côté n’ont jamais caché vouloir obtenir l’arme, et le pays possède déjà les infrastructures pour y arriver rapidement – manque l’opinion publique –, mais TEPCO (l’électricien japonais) y travaille. Ce genre d’initiatives, sous couvert de gestion locale de la défense, ferait voler en éclats le traité de non-prolifération et saperait complètement les bases du nouveau projet onusien.

Les Occidentaux endossent donc le rôle des méchants impérialistes, tandis que d’autres pays tirent leur épingle du jeu comme la Chine, qui s’est abstenue, ou comme l’Inde et le Pakistan (pourtant, un risque de conflit entre ces deux puissances nucléaires existe, du fait de graves problèmes existants concernant l’eau qui pourraient empirer).

La France toujours nucléocrate

Dans cette fronde, l’État français se distingue aussi, mais par son ambiguïté, avec un président qui déclare vouloir réunir les conditions stratégiques pour en finir avec le nucléaire, mais qui vote contre la résolution. Mais cela n’est pas nouveau, quand les autorités du nucléaire ont trouvé du MOX à Fukushima, les autorités françaises ont répondu qu’ils n’étaient pas responsables, puisqu’on le leur avait demandé. Les marchands de l’atome soulignent bien ainsi que la connaissance des risques (ici sismiques) ne rentre pas dans leurs calculs. L’ONU n’est pas au bout de ses peines si elle veut faire sourciller un pays où l’arme nucléaire est acceptée depuis le général de Gaulle et tous ses successeurs. Justement le projet de loi de finances 2017 en cours de discussion contient la proposition de consacrer 7 milliards d’euros à restructurer la filière nucléaire. Cette restructuration servira à recapitaliser EDF et Areva, or il est très compliqué de savoir ce qui entre dans le domaine militaire ou dans le civil. Par exemple, l’usine de retraitement de La Hague (Areva) est le plus gros site mondial de production de plutonium et de MOX (à base de plutonium), plutonium qui est utilisé pour fabriquer les bombes, et MOX qui doit être brûlé dans les centrales EPR. Financer l’un revient à financer l’autre.

Comme on n’en est pas à de petites dépenses près, la France a aussi décidé de moderniser son arsenal pour quelques milliards de plus par rapport aux autres années. Ainsi le budget annuel passera de 3 milliards actuellement à 6 milliards en 2022. Tout ceci sans compter les sous-marins, les avions et la formation tactique des pilotes, les satellites, etc. De quoi en finir avec toute vie sur terre, juste au cas où. Mais avec tous les « avantages que ça apporte », pourquoi se priver ! Ce n’est sûrement pas l’opinion internationale qui va faire fléchir nos dirigeantes et dirigeants, ni faire perdre leur sens aux 400 milliards investis depuis 1945. Ni encore empêcher de faire des raids avec des Rafale, violant ainsi le mandat onusien, comme ceux de Libye en 2011. Ces fameux Rafale de dissuasion...

La future présidence ne risque pas d’être plus intéressée par le sujet, vu le ton sécuritaire actuel. Le candidat Fillon par exemple était à l’initiative du dernier plan d’investissement pour Superphénix en 1994, ce surgénérateur censé révolutionner la production d’énergie grâce au plutonium. Aujourd’hui, son programme est explicite sur le soutien au nucléaire dit « de quatrième génération », qui fait miroiter la possibilité du recyclage des déchets des réacteurs actuels.

On voit donc mal pourquoi ­l’État se tirerait une balle dans le pied en acceptant le référendum voulu par des parlementaires. Mais cette action, et celle de ­l’ONU prévue pour mars 2017 (début des délibérations) auront le mérite de remettre en avant le sujet. En effet, l’hiver 2016-2017 est d’ores et déjà marqué par la fermeture de sept centrales, en plus de celles en maintenance. Ces centrales font partie des dix-huit sur lesquelles ont a trouvé des pièces non conformes, après la découverte en 2016 de la falsification de leurs certificats de conformité. Le mois de mars y ferait un écho judicieux.

Contestation muselée

Si l’État apprécie peu la contestation du nucléaire civil, il ne tolère pas du tout celle du militaire. Des militants contre l’arsenal viennent d’écoper de 500 euros d’amende pour huit autocollants et une inscription à la craie sur un bureau des Républicains pendant leur primaire. « Coller des autocollants est un acte de dégradation grave, et violent », selon le procureur...

En Allemagne se tient une campagne de dénonciation des financeurs du nucléaire, avec tractage devant les banques, qui donne de bons résultats. Le problème majeur étant que les banques ne financent a priori que la fabrication des missiles ou des avions (EADS ou Safran), la partie ogives étant à la discrétion de l’État. Un autre argumentaire de lutte se développe autour de la grande question du cycle de la matière. Si l’extraction de l’uranium reste un sujet lointain, la lutte contre l’enfouissement des déchets à Bure est à nouveau centrale. Car, avec tous ces milliards investis, le financement du démantèlement n’est, lui, toujours pas prévu.

Reinette noyée (AL Aveyron)

- image : cc vaXzine

 
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