Brésil : 2016 : un cirque d’horreurs




L’année qui s’achève aura vu le Brésil en proie à une crise politique majeure, avec un coup d’État parlementaire contre la Présidente Dilma Rousseff.

La jeune démocratie brésilienne a pris un grand coup dans la gueule cette année. Le Brésil, un pays à peine sorti d’un moment historique de redémocratisation qui a commencé en 1985 – la dictature militaire a duré entre 1964 et 1985 –, a subi un nouveau coup d’État. Cette fois-ci, il n’était pas militaire, mais parlementaire, et prenait comme prétexte l’impeachment de la Présidente élue Dilma Rousseff – elle-même militante et torturée pendant la dictature militaire. Le pouvoir judiciaire et la plus grande chaîne de télévision du Brésil, la Globo – qui supportait la dictature militaire –, étaient derrière le cirque d’horreurs qui s’est formé.

Pour expliquer rapidement l’affaire d’impeachment, Dilma Rousseff a été accusée d’avoir maquillé des comptes pendant sa dernière campagne électorale à la fin de l’année 2014, mais malgré le fait que cela soit vrai et que son parti, le PT (Parti des travailleurs) a été corrompu, l’ex-Présidente n’était pas accusée d’un crime de responsabilité (c’est-à-dire portant atteinte à la Constitution) et, pour cette raison, elle ne pouvait pas légalement subir un impeachment.

Cet impeachment est le fruit de la manœuvre d’un certain groupe politique, qui gravite notamment autour du président de la Chambre de députés, Eduardo Cunha et le vice-président Michel Temer (maintenant Président). Ensemble, ils ont planifié et orchestré la sortie de ­Dilma Rousseff et la prise du pouvoir, avec un coup de main du judiciaire et de l’opinion publique, manipulée par les grands médias – notamment la Globo et la revue Veja. Il est important de souligner que tous ces politiques ont été impliqués dans des affaires de corruption moralement bien pires que celui dont Dilma Rousseff a été accusée. Notamment Eduardo Cunha, qui a été révoqué de son mandat juste après l’impeachment et après avoir été arrêté par la police fédérale pour corruption.

Les raisons du coup d’État sont multiples : l’actuel Président illégitime Michel Temer est un représentant du grand patronat brésilien et international, et est là pour mettre en pratique ce qu’il a appelé « un pont vers le futur » – qui a commencé le jour même de l’impeachment et qui est en train de couper tous les investissements dans le social (surtout éducation et santé) et son objectif est d’arriver à tout privatiser et de mettre le pays complétement dans le mains de l’initiative privée.

Plusieurs mouvements de gauche contestent cette situation, avec manifestations et occupations, malgré la forte répression de la part de la police militaire envers eux. Ce qu’amène le gouvernement de Temer est aussi un soutien tacite à des propos racistes, machistes, homophobes et à l’idée que ces minorités et les pauvres ne doivent pas avoir accès à la « grande maison » (allusion au nom de la maison où habitaient les seigneurs d’esclaves et propriétaires de grandes plantations à l’époque du Brésil colonial, et aussi le nom d’un grand classique en sciences sociales : Casa-Grande & Senzala [1]
). Il s’agit d’un héritage idéologique de cette même élite économique, qui n’a jamais laissé le pays se démocratiser complétement avec sa domination de classe.

Haine de classe

Il est important de dire aussi qu’il y a une forte haine de classe au Brésil, une bonne partie de la bourgeoisie et de la petit bourgeoisie n’a jamais vraiment accepté le fait que l’ex-Président Lula da Silva soit un ancien métallo et syndicaliste, même si, pour arriver au pouvoir, Lula et le PT ont fait des accords politiques avec n’importe qui, et que son gouvernement ne représentait pas un danger pour les intérêts du grand patronat. En fait, il y a beaucoup à critiquer dans les deux mandats de Lula et de Dilma, mais avec ce coup ­d’État parlementaire un autre niveau a été atteint. On parle ­d’une droite dure qui a pris le pouvoir, et qui d’ailleurs est aussi supportée par « la bancada evangélica » – partie du Congrès et du Sénat, tenue par de politiciens évangélistes (du courant néopentecôtiste) très réactionnaires et rétrogrades.

La sensation maintenant est que le pays a fait un retour dans le temps. Malgré tous les reproches qu’on peut faire au PT – sa politique néolibérale, le fait qu’il ne se comportait plus en parti de gauche car il a négligé les mouvements sociaux après la prise de pouvoir –, maintenant il y a encore plus d’oppression sociale et envers les minorités.

En quelques semaines, le gouvernement illégitime de Temer a coupé de nombreux projets sociaux, comme le secrétariat des droits des femmes et des Noirs, celui contre l’illetrisme, et le plus polémique et révoltant entre tous : la PEC 241 (devenu PEC 55), une proposition de modification de la constitution qui limite les dépenses du gouvernement brésilien – notamment sur l’éducation et la santé –, et qui entrera bientôt en vigueur. Annoncé par le gouvernement et les grands médias comme la grande « sortie de crise » économique. Sans parler de la privatisation du droit d’extraction du pré-sel (un type de pétrole qui se trouve dans la mer et qui vaut une fortune) et la suppression du salaire pendant les jours de grèves des fonctionnaires publics, un droit qui a pourtant été garanti par la constitution.

Les pas en arrière ont été innombrables en si peu de temps… Chaque jour, de plus en plus de droits acquis sont supprimés et la répression est de plus en plus forte contre les manifestations publiques et les occupations d’étudiants qui ont eu lieu dans tout le pays.

Temer a déjà récompensé ses « collaborateurs » dans l’impeachment : les salaires de la justice ont été augmentés de 41,4 % – ce qui avait reçu un veto de l’ancienne Présidente Dilma Rousseff l’année dernière –, et les ventes publicitaires aux médias qui l’ont supporté ont connu une hausse de 900 %.

Reste à voir ce que donnera la prochaine élection présidentielle, qui aura lieu en 2018. Mais pour que le Brésil se sorte de cette sombre situation politique et économique, il y a encore des obstacles à dépasser et des leçons à tirer. D’un côté, la gauche a besoin de se reconstruire et de trouver un nouveau dialogue avec le peuple, et d’apprendre qu’il faut rester fidèle à ses propos avant de faire des alliances politiques douteuses. Une analyse doit être faite pour le PT et la gauche brésilienne. De l’autre, la société brésilienne doit se poser des questions, une partie d’entre elle est aussi conservatrice et libérale que le gouvernement actuel et le supporte même dans ses actions. Or cette partie de la population va justement payer la facture de cette crise. Ne reste plus qu’à espérer qu’elle puisse retirer une leçon de tout ça et un jour être capable de créer plus de conscience de classe.

Karla (AL Paris Sud)

[1Casa-Grande & Senzala
de Gilberto Freyre, 1933. Senzala :
là où habitaient les esclaves.

 
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